L’élection nationale tenue dimanche au Honduras a été marquée par une
répression systématique contre les opposants au régime du coup d’Etat et un
taux record d’abstention. Néanmoins, l’administration Obama à Washington a
acclamé les résultats comme étant « un grand pas en avant pour le Honduras »
et une « porte de sortie légitime » à la crise qui a débuté par le
renversement militaire du président élu, Manuel Zelaya, le 28 juin.
L’élection s’est tenue une journée seulement après la date qui
représentait la fin du cinquième mois du coup. Zelaya était toujours coincé
à l’ambassade brésilienne à Tegucigalpa où il avait cherché refuge deux mois
plus tôt après avoir planifié un retour clandestin au Honduras.
Des mois de médiation appuyée par les Etats-Unis, qui ont mené d’abord à
l’accord de San José et ensuite à l’accord de Tegucigalpa, n’ont pas pu
ramener Zelaya à la présidence. Ils ont plutôt permis au régime du coup
dirigé par le leader du Congrès hondurien, Roberto Micheletti, de temporiser
jusqu’aux élections, qui étaient vues comme le moyen de rendre légitime le
coup d’Etat.
Tout porte à croire que cela était l’intention de l’administration Obama
qui, malgré des critiques verbales portées contre le renversement de Zelaya,
a exercé peu de pression réelle contre les auteurs du coup. Il est de plus
très improbable que l’élite dirigeante hondurienne, qui est totalement
dépendante des Etats-Unis pour le commerce et les investissements et qui
possède une armée des plus loyales au Pentagone (l’armée américaine possède
au Honduras sa plus importante base d’Amérique latine), eût agi sans d’abord
obtenir le feu vert de Washington.
Le vote de dimanche s’est déroulé dans des conditions où le pays était
essentiellement sous contrôle militaire, plus de 30.000 soldats et policiers
ayant été mobilisés pour intimider les opposants du régime.
Dans la ville du nord du pays de San Pedro Sula, la deuxième ville en
importance et le centre industriel du Honduras, une manifestation contre
l’élection a été dispersée par la police et des soldats. Plus de 1000
personnes avaient marché jusqu’à la place centrale et à la cathédrale de San
Pedro Sula, où ils ont chanté l’hymne national et transporté des croix
symbolisant les dizaines de personnes qui avaient été tuées durant les cinq
derniers mois de répression.
Les forces de sécurité ont répliqué par de nombreuses grenades
lacrymogènes, le tir d’un canon à eau installé sur un char d’assaut et le
matraquage de manifestants. Après que les manifestants ont été dispersés,
des soldats ont entrepris de démolir un camion qui transportait de
l’équipement de sonorisation et des affiches protestant contre le vote
illégitime.
Ce n’était que la manifestation la plus visible de la répression qui
s’est progressivement intensifiée dans les jours précédant les élections.
Les villes et les villages à travers le pays étaient occupés par la
police et des soldats, les personnes connues faisant partie de l’opposition
étant arrêtées ou menacées. Selon le réseau de télévision vénézuélien
Telesur, dans la communauté insulaire de Zacate Grande, les résidents
étaient conduits aux urnes par des groupes d’hommes armés vêtus en civils
après que des opposants locaux au régime ont été chassés par l’armée et que
les maisons ont été prises d’assaut par les forces de sécurité.
Dans la capitale, la police a battu des gens qui remettaient des tracts
qui préconisaient un boycott du vote.
« Les troupes et la police ont fait des descentes dans les quartiers
généraux des associations », a rapporté le Comité des proches des détenus
disparus (COFADEH), une organisation de défense des droits de l’homme. « Une
intense chasse aux sorcières a été organisée depuis samedi contre des
membres des organisations et des membres de la résistance par l’armée et la
police nationale. » L’organisation a rapporté qu’un opposant avait été
arrêté pour avoir marché dans la rue avec un porte-voix et que lors d’une
descente d’un quartier général d’un des groupes, des ordinateurs et d’autres
équipements ont été saisis.
« Nous parlons d’environ 30 personnes arrêtées », a dit la coordonatrice
de COFADEH, Bertha Olivia. « Il y a eu des descentes arbitraires contre les
bureaux et les résidences des activistes soutenant le président légitime [Zelaya],
et toutes sortes d’actions intimidantes et de sièges militaires contre les
sièges sociaux des syndicats et les quartiers pauvres [colonias] qui sont le
bastion de la résistance. »
Porfirio « Pepe » Lobo, âgé de 61 ans, le candidat du parti de droite, le
Parti national, a été déclaré vainqueur de cette élection tenue à la pointe
du fusil. Selon le décompte officiel, il a gagné par une large avance contre
son principal rival, l’ancien vice-président Elvin Santos, qui était le
candidat du Parti libéral dans lequel Zelaya et Micheletti sont des
personnalités politiques importantes.
Les résultats des sondages préliminaires donnaient 52 pour cent du vote à
Lobo, comparé à 34 pour cent pour Santos.
Comme Micheletti et Zelaya, Lobo et Santos sont de riches membres de
l’oligarchie hondurienne. Lobo est un important propriétaire terrien et
vacher, alors que Santos dirige l’une des grandes compagnies de construction
du pays.
Le taux de participation total était cependant plus important que la
supposée marge de victoire. Le Tribunal suprême électoral (TSE) du régime a
prétendu que le taux d’abstention était de 38,7 pour cent. L’opposition
insistait cependant qu’entre 65 et 70 pour cent des électeurs honduriens
n’étaient pas allés voter.
Des rapports anecdotiques provenant de la capitale Tegucigalpa ont
indiqué que, alors que la participation était élevée dans les quartiers des
couches riches et de la classe moyenne supérieure qui avaient appuyé le coup
d’Etat, les bureaux de vote étaient pratiquement vides dans les bidonvilles
[colonias] ouvriers qui entourent la ville.
Il y a de nombreux signes pointant vers une fraude électorale. Alors que
les urnes ont été fermées à 17 heures, il n’y a eu aucun compte-rendu du
décompte des votes avant 21 heures, à cause d’un « problème technique » dans
le comptage des votes selon les responsables des élections. Ils ont aussi
rapporté qu’ils avaient manqué d’encre pour marquer les doigts des personnes
ayant voté, une procédure utilisée pour empêcher qu’une personne puisse
voter plus d’une fois. Des sources proches de l’opposition au sud du pays
ont aussi signalé que des partisans du parti de droite du El Salvador, le
Parti arena, traversaient la frontière et se rendaient dans les bureaux de
votes pour tenter de faire basculer le vote.
Le processus électoral dans son ensemble a été organisé avec le soutien
de Washington. Environ 800 Américains se trouvaient officiellement au
Honduras pour superviser les élections. L’Institut républicain international
(International Republican Institute, IRI) et l’Institutut national
démocrate (National Democratic Institute, NDI) ont envoyé des
observateurs pour tenter de donner de la légitimité au vote. Ces deux
organisations sont chapeautées par les deux principaux partis américains et
financés par le National Endowment for Democracy qui a été créé en
1980 pour assumer les fonctions politiques à l’étranger qui étaient
auparavant dévolues à la CIA.
Aucune des autres agences qui monitorent habituellement les élections
dans les Amériques (les Nations unies, l’Organisation des Etats américains,
la Fondation Carter) n’a déployé d’observateurs. Parmi les autres groupes
qui étaient présents au Honduras, on trouve un regroupement des exilés
cubains anti-castristes de Miami. Les rares critiques du régime qui se sont
rendus au Honduras pour y observer les élections ont été soumis à des
fouilles par les forces de sécurité et menacées de violence par les
partisans des partis de droite du Honduras.
La majorité des gouvernements qui se rencontraient au Portugal lundi
dernier au sommet annuel ibéro-américain qui réunit l'Espagne, le Portugal
et la plupart des pays d'Amérique latine ont indiqué qu’ils ne
reconnaissaient pas la légitimité des élections.
Le Brésil, la principale puissance en Amérique latine, a fortement
insisté sur ce point. Sa position reflète les tensions grandissantes entre
Brasília et Washington alors que le Brésil devient une puissance
incontournable et un rival des Etats-Unis pour l’influence dans une région
du globe que les Etats-Unis considèrent depuis longtemps comme leur
arrière-cour. De hauts responsables américains ont vivement critiqué les
gestes du gouvernement brésilien visant au retour de Zelaya au Honduras
avant que les Etats-Unis n’obtiennent un accord avec les dirigeants du coup.
Luiz Inacio Lula da Silva voit les élections « comme une tentative de
blanchir un coup » a dit le conseiller du président brésilien Marco Aurelio
Garcia devant des journalistes au Portugal. Voulant signifier que le Brésil
adoucissait sa position, il a ajouté que « pour maintenant, nous devons
attendre » et « discuter avec la communauté internationale ».
Le gouvernement espagnol a été encore plus équivoque. Le ministre
espagnol des Affaires étrangères Miguel Angel Moratinos a dit que son
gouvernement « ne reconnaît pas les élections » au Honduras, ajoutant
« qu’il ne les ignorait pas non plus ». Le vote, a-t-il dit, a comme
résultat qu’il y a « de nouveaux acteurs politiques » intéressés à « une
solution de réconciliation nationale ».
Le président du El Salvador Mauricio Funes qui a récemment été élu avec
le soutien du FMLN, un ancien front de guérilla, a aussi appelé au
« dialogue national » déclarant « Qu’il ne s’agit pas de reconnaître ou non
des élections, mais de stimuler les processus qui permettent à la démocratie
de se renforcer. »
Parmi les pays de l’Amérique latine, seuls les alliés proches des
Etats-Unis — la Colombie, le Costa Rica, le Panama et le Pérou — ont
publiquement endossé le vote de dimanche dernier.
A Washington, Arturo Valenzuela, l’adjoint au secrétaire d’Etat pour
l’hémisphère ouest des Etats-Unis a félicité Lobo au nom de l’administration
Obama, déclarant « Il sera le prochain président du Honduras… Nous
reconnaissons ces résultats. »
Affirmant que le vote représentait « un très important pas de l’avant
pour le Honduras », Valenzuela a insisté que ce « n’est pas le dernier ».
Il a dit que le régime du Honduras doit aussi mettre en œuvre l’accord
entre les partis de Micheletti et de Zelaya obtenu avec la médiation des
Etats-Unis à Tegucigalpa en octobre dernier. Cet accord prévoit la formation
d’un gouvernement « d’unité nationale et de réconciliation » et un vote du
congrès hondurien sur le retour de Zelaya à la présidence pour les deux mois
restant avant la passation des pouvoirs.
Zelaya a accepté cet accord réactionnaire, tout en protestant plus tard
lorsque Micheletti a formé un régime « d’unité nationale » qui ne comprenait
pas un seul partisan du président déchu, et le congrès a annoncé qu’il ne se
réunirait pas pour considérer le retour de Zelaya avant le 2 décembre,
c’est-à-dire après les élections.
L’accord prévoyait aussi que la Cour suprême du Honduras, qui avait
déclaré le coup du 28 juin comme étant légal, devait produire un avis sur le
retour de Zelaya pour le congrès. Jeudi dernier, la cour a fait connaître
qu’elle avait trouvé que Zelaya ne pouvait revenir au pouvoir tant qu’il
n’avait pas été arrêté et jugé pour avoir prétendument violé la constitution
du Honduras.
Le coup était une réponse à la tentative de Zelaya d’organiser un vote
consultatif qui aurait établi si la population du Honduras soutenait la
tenue d’un référendum portant sur l’appel d’une assemblée constituante pour
modifier la constitution du pays. Cette constitution est une charte
réactionnaire imposée au Honduras par l’ancienne dictature militaire et
l’ambassade américaine en 1983.
Zelaya s’était déjà mis à dos l’oligarchie du pays et Washington en
implémentant une hausse modeste du salaire minimum et en formant une
alliance huilée par du pétrole à bon marché avec le président du Venezuela
Hugo Chavez.
Depuis le coup, Zelaya a pris ses distances d’avec Chavez alors que le
président vénézuélien a suivi le Brésil sur la question de la crise
hondurienne. Au cours des cinq derniers mois, les deux ont dit espérer que
le président américain Barack Obama interviendrait pour résoudre la crise et
pour forcer le régime né du coup à abandonner le pouvoir.
Il ne peut avoir d’exposition plus dommageable de la faillite politique
de toutes les sections de la bourgeoisie nationale de l’Amérique latine, peu
importe leurs prétentions d’être à gauche. Tout comme en Irak et en
Afghanistan, saupoudrant ses déclarations de mots comme « changement » et
meilleures relations internationales, l’administration Obama défend les
intérêts impérialistes des Etats-Unis en Amérique latine de façon aussi
impitoyable que son prédécesseur.
Dans le cas de Zelaya, sa dépendance à une intervention de la
Maison-Blanche a été traduite dans sa tentative (avec la collaboration des
bureaucrates syndicaux et des nationalistes de gauche à la direction du
Front national de résistance) de subordonner les luttes de plus en plus
militantes des travailleurs, des paysans et des étudiants du Honduras aux
négociations ayant lieu sous la tutelle des Etats-Unis qui ont servi de
couverture politique au régime né du coup.
(Article original anglais paru le 1er décembre 2009)