« Des actes
infâmes engendrent des tragédies sans fin », écrivait le World
Socialist Web Site, au sujet de l'exécution de Jean Charles de Menezes par
des policiers en civil agissant sur ordre, dans le métro londonien le 22
juillet 2005.
Les événements ont
confirmé cet avertissement d'une triste manière. Au cours des années qui ont
suivi le meurtre de Menezes, pour lequel personne n'a jamais été inquiété, les
bases légales d'un Etat policier ont été promulguées en Grande-Bretagne.
Les implications
de cette évolution ont été mises en évidence ces dernières semaines.
Depuis le début du
mois d'avril, pas moins de 300 personnes ont été arrêtées et mises en garde à
vue au cours de seulement trois opérations de police. La grande majorité
d'entre eux ont été appréhendés durant deux de ces opérations, toutes deux
visant une supposée menace contre « l'ordre public ».
Le maintien de
l'ordre public est devenu un euphémisme pour la criminalisation de la
contestation politique.
Avant même
l'ouverture à Londres du sommet du G20 rassemblant des dirigeants mondiaux,
cinq personnes ont été arrêtées à Plymouth en application de la Loi sur le
terrorisme [Terrorism Act], accusées de posséder « des documents
liés à une idéologie politique ».
Elles ont toutes
été relâchées sans mise en accusation, mais le fait que le militantisme
politique soit considéré comme un crime dans la Grande-Bretagne du 21e siècle a
été brutalement révélédans les rues de la capitale par la suite.
Commençant le 1er
avril, une grande opération de police était organisée autour du lieu où se
tenait le sommet du G20. Des centaines de gens, usant légalement de leur droit
de manifester, ont été « coincés » – retenus par la force derrière
des cordons de police parfois durant sept heures – dans les petites rues du
centre-ville de Londres.
C'est derrière
l'un de ces cordons que Ian Tomlinson – tentant de rentrer chez lui après le
travail – a été frappé dans le dos par un policier masqué utilisant sa
matraque. Il est décédé quelques instants après.
Des témoignages,
des vidéos et des photos apportent la preuve que l'attaque de la police contre
Tomlinson n'est pas une bavure.
Les actions de la
police n'avaient rien à voir avec la garantie de la « sécurité
publique ». Elles constituaient une tentative délibérée de provoquer le
désordre pour fournir un prétexte à une répression plus poussée. Ceci est bien
mis en évidence par les preuves de policiers en civil armés de matraques
frappant les manifestants, ainsi que la participation du Territorial Support
Group – une unité spéciale de la police, quasi-paramilitaire, qui a été
impliquée dans plusieurs des incidents les plus remarqués, et dont les numéros
d'identification étaient cachés.
Il paraît que les
téléchargements de vidéos des actions de la police lors des manifestations
contre le G20 sont particulièrement nombreux au Brésil – le pays d'origine de
Menezes, un pays qui a déjà subi la sauvagerie policière contre les opposants
politiques.
Le gouvernement
avait de bonnes raisons de tenter de s'assurer que sa politique « d'ordre
public » ne serait pas révélée au grand jour. Alors que la police
photographie de manière routinière et demande l'identité et les adresses des
gens qui participent à des manifestations légales, contrôler l'activité de ces
surveillants n'est pas légal dans la contre-utopie orwellienne créée par New
Labour, le Parti travailliste.
Moins d'un mois
avant les manifestations, la section 76 de la Loi anti-terroriste de 2008 est
entrée en vigueur, fournissant une base légale à l'arrestation et à
l'emprisonnement de tous ceux qui prendraient des photographies de policiers.
Dans un cas,
filmé, lors des manifestations du G20, des policiers ont donné l'ordre à des
photographes et des équipes de télévision de quitter les abords de la
manifestation dans les 30 minutes s'ils ne voulaient pas être arrêtés.
C'est un des pays
dont la population est la plus surveillée au monde. Le Royaume-Uni a le plus
grand nombre de caméras de surveillance par habitant. De plus, sans aucun
débat parlementaire, sans même parler du consentement du public, des lois
récentes obligent tous les fournisseurs d'accès Internet à conserver les
données des emails et des visites de sites Web pendant un an. De même, les
détails des appels téléphoniques et des SMS peuvent être conservés et mis à la
disposition du gouvernement et d'autres organisations officielles.
Comme si de tels
pouvoirs ne suffisaient pas à la police pour être au courant des mouvements de
n'importe quel individu potentiellement « important », le 13 avril la
police de Nottingham a procédé, pour la première fois, à l'arrestation
« préemptive » de 114 personnes. Aucun crime n'avait été commis. Les
arrestations n'ont été menées que sur la base des « suspicions » de
la police quant à un plan des environnementalistes de cibler une centrale
électrique à Nottingham. Même si aucune mise en accusation n'a encore été
déposée, ces arrestations ont servi à monter un coup de filet permettant de
perquisitionner chez les gens et saisir des papiers et des ordinateurs
personnels.
Entre les
opérations à Londres et à Nottingham, la police au nord-ouest de l'Angleterre a
organisé d'importants raids « antiterroristes », mettant en œuvre des
dizaines de policiers en armes. Douze hommes, principalement des étudiants
étrangers, ont été mis en garde à vue au cours de cette opération qui visait
prétendument à empêcher une attaque terroriste imminente.
Une fois de
plus, il n'y a eu aucune mise en accusation. Selon les lois
anti-terroristes britanniques, les suspects peuvent être gardés à vue pendant
28 jours sans mise en accusation. Tous les reportages indiquent qu'aucune
preuve n'a encore été trouvée pour confirmer les allégations quant à une
urgence terroriste.
Toutes les
opérations de police récentes sont organisées sur la base des plus de 200
textes de loi anti-terroristes distincts promulgués par le gouvernement
travailliste au cours des dernières années, et renforcées par le Terrorism
Act de 2006 qui criminalise la simple expression d'une opinion que le
ministre de l'Intérieur jugerait inacceptable.
À cette époque, le
Premier ministre Tony Blair défendait ces mesures en expliquant que les
exigences politiques signifiaient que les « règles du jeu » avaient
changé.
Cela a posé un
nouveau principe juridique – la culpabilité par décret du pouvoir en place. Les
« règles » actuellement en vigueur sont celles qui permettent à la
police en armes d'intervenir sans prévenir et où il est de routine de s'en
prendre à la contestation politique. En février de cette année, dans un
remaniement qui n'a reçu pratiquement aucune couverture médiatique,
l'Association des commissaires de police a créé l'Unité des renseignements
confidentiels [Confidential Intelligence Unit – CIU], qui vise les
« extrémistes de l'intérieur ». Prenant en charge les fonctions de
« contre-subversion » habituellement menées par le MI5, le CIU
s'occupe de la surveillance des groupes radicaux, y compris du placement
d'informateurs en leur sein.
Ces atteintes aux
libertés fondamentales ne sont pas cantonnées à la Grande-Bretagne. C'est une
tendance qui s'observe dans toutes les prétendues « démocraties
avancées ». En fait, les déclarations sur la « démocratie » ne
sont de plus en plus qu'un vernis bien mince, derrière lequel l'État s'est
octroyé un pouvoir quasi-autocratique.
Que cela ne
rencontre aucune opposition de principe dans les rangs de l'establishment
au pouvoir ou parmi ses « critiques » libéraux doit servir
d'avertissement.
Le moteur de
l'adoption de ce genre de méthodes dictatoriales n'est pas le maintien de
« l'ordre public », mais le besoin de défendre l'ordre existant,
de préserver la richesse et la puissance d'une minorité privilégiée aux dépens
de la population laborieuse dans les conditions du plus grand effondrement de
l'économie capitaliste mondiale depuis les années 1930.
La défense des
droits démocratiques nécessite de briser le monopole de l'oligarchie financière
et de ses représentants sur la vie politique. Cela ne peut être réalisé qu'à
l'initiative indépendante de la classe ouvrière, luttant pour la réorganisation
de la société sur des bases socialistes.