Il y a quelques semaines les salariés de New Fabris qui fabriquent
des pièces mécaniques pour l’automobile à Châtellerault dans la Vienne, avaient
fait la une des médias. Ils avaient menacé de faire sauter leur usine si les
366 salariés qui avaient reçu quelques jours plus tôt leurs lettres de
licenciement, n’obtenaient pas une indemnité de 30 000 euros.
Fin juillet, le personnel décidait de mettre fin à sa lutte et
d’accepter la proposition du gouvernement d’une prime de départ de 12 000
euro. C’est à peine plus que ce qui leur avait été offert auparavant.
C’est ainsi que s’achève une lutte qui avait clairement montré
le degré d’énergie et de détermination à lutter dont ont fait preuve les
travailleurs. Dans le même temps, il devint aussi évident que les syndicats, en
étroite collaboration avec des organisations politiques, comme entre autres
Lutte ouvrière (LO), ont isolé les luttes sociales en les menant dans une
impasse et en les forçant à se soumettre.
Un sous-traitant de Renault et de Peugeot
Le 16 juin les salariés avaient appris que l’équipementier
automobile New Fabris, un sous-traitant de Renault et Peugeot serait fermé. Les
deux principaux constructeurs automobiles français avaient réduit de 90 pour
cent leurs commandes. Les travailleurs avaient refusé une première proposition
du gouvernement et des deux groupes automobiles prévoyant aune prime de départ
de 11 000 euros par salarié.
Les travailleurs avaient adressé leur revendication aux deux
grands groupes et au gouvernement. Ils avaient fixé un ultimatum au 31 juillet
en réclamant 30 000 euros par personne, menaçant de faire sauter l’usine.
Ils installèrent sur le toit de l’établissement des bonbonnes de gaz en les reliant
entre elles et ils firent brûler une machine d’usinage de 1,2 tonne pour
montrer leur détermination.
Les
travailleurs rejetèrent l’argument selon lequel il n’y aurait pas d’argent pour
payer les primes de licenciement. L’Etat français détient 15 pour cent des
parts de Renault et en février dernier le gouvernement avait débloqué un
soi-disant « plan de sauvetage de l’automobile » prévoyant trois
milliards d’euros respectivement pour Renault et pour Peugeot, en plus d’une
aide de 600 millions d’euros aux sous-traitants.
Officiellement
ce plan de sauvetage prévoyait la préservation de l’emploi. En réalité, l’aide
publique servit à renflouer la trésorerie des entreprises sévèrement malmenées
par la crise. Depuis le début de la crise, les banques ont resserré le crédit
et les ventes de voitures neuves ont régressé. « En dépit de cet effort,
le groupe doit faire face à un besoin de liquidités de près de 4 milliards
d’euros pour l’année 2009 », a déclaré Christian Streiff, l’ex-président
du directoire de PSA Peugeot Citroën.
Les salariés ne veulent pas admettre que les deniers publics
soient uniquement réservés aux actionnaires et aux PDG des entreprises. Ils
revendiquent expressément que cet argent du contribuable bénéficie également
aux travailleurs.
Mais pendant des semaines les syndicats ont isolé la lutte,
comme ils l’avaient fait ces derniers mois dans le cas des autres conflits
contre les licenciements et les fermetures d’usines. Ils avaient même mis en
garde les salariés qu’en cas de refus de la nouvelle proposition, ils seraient
obligés d’en subir les conséquences en ne recevant que les indemnités légales.
Face à cette pression, les salariés de New Fabris acceptèrent
finalement une offre à peine supérieure à l’ancienne. Les 12 000 euros net
que chaque salarié doit percevoir à présent, s’ajoutent à l’indemnité légale
qui est versée en fonction de l’ancienneté.
Le 31 juillet, lors d’un vote à bulletins secrets en assemblée
générale, 204 salariés ont accepté la proposition, 24 ont voté contre. Il y eu
sept bulletins nuls ou blancs et 131 salariés n’ont pas participé au vote. Guy
Eyermann, le délégué CGT qui n’a pas participé au scrutin s’était plaint auprès
des médias du manque de solidarité de la part du syndicat. « J’ai
l’impression d’avoir été abandonné par ma direction syndicale… la CGT New
Fabris est morte…Les directions syndicales nationales ne se sont pas
déplacées ? L’odeur des machines qui brûlent doit leur être
insupportable. »
Le syndicat CGT, proche du Parti communiste (PC) stalinien, est
majoritaire chez New Fabris. Maryse Dumas, secrétaire confédérale de la CGT,
s’est rangée du côté du gouvernement en condamnant la détermination des
travailleurs de faire sauter leur usine en déclarant notamment : « Ce
sont des modalités d’action que je ne conseillerais pas aux salariés parce
qu’elles conduisent à des impasses. »
Les « impasses » dont parle la secrétaire de la CGT
sont le résultat de la politique droitière de la CGT qui collabore étroitement
avec le gouvernement et qui étouffe dans l’œuf la moindre initiative pour une
lutte commune des travailleurs en France, en Europe et de par le monde, en
trahissant une lutte après l’autre. En réalité, c’est cette camisole de force
qui empêche les travailleurs d’unir ces nombreuses luttes individuelles dans un
vaste mouvement politique contre le gouvernement.
Le 30 juillet, la veille de la proposition finale du
gouvernement, en tout 3.500 personnes participèrent à une manifestation à
Châtellerault en solidarité avec les salariés licenciés. La détermination des
travailleurs avaient suscité de nombreuses réactions positives. Selon un
sondage IFOP, 50 pour cent des personnes interrogées comprennent les actions
des salariés de vouloir faire sauter leur usine et 16 pour cent les approuvent.
Des délégations d’autres usines menacées de fermetures
participèrent également à la manifestation du 30 juillet, par exemple, de
l’usine Continental de Clairoix. La liste des équipementiers et sous-traitants
automobiles qui licencient est très longue. En font partie Caterpillar, Goodyear,
Valé, Molex, Arcelor Mittal, Motorola, Tyco, Johnson Controls, Treves,
Continental Rambouillet, Mahle, et bien d’autres.
Le cas de Continental-Clairoix et le rôle joué par Lutte
ouvrière
La lutte des travailleurs de New Fabris à Châtellerault met en
évidence le rôle réactionnaire joué par Lutte ouvrière dans le cas présent.
Cette organisation avait à la mi-juin conseillé aux travailleurs de Continental
à Clairoix d’accepter une prime de 50 000 euros et de mettre fin à leur
lutte.
Ce faisant, elle a brisé l’élan de la lutte au moment précis
où elle prenait des dimensions internationales et politiques et qu’elle
jouissait d’un fort soutien des travailleurs en Allemagne et en France. Elle a
délibérément stoppé un mouvement international commun basé sur une perspective
socialiste des travailleurs contre les attaques des patrons, des gouvernements
et de l’Union européenne. Ceci a considérablement contribué à réduire la
résistance des travailleurs au niveau de protestations individuelles comme à
Châtellerault.
Lutte ouvrière est étroitement lié aux couches inférieures et moyennes
de la bureaucratie syndicale et amorce avec celle-ci un net virage politique à
droite. Un simple regard jeté sur les événements survenus chez Continental à
Clairoix le montre clairement.
Les 1120 salariés de Continental-Clairoix avaient à la mi-juin
mis fin à leur lutte contre la fermeture de l’usine en échange d’une indemnité
de 50 000 euros pour chacun et d’autres concessions. En ce qui concerne
ces salariés, Lutte ouvrière s’était fortement impliquée. Le délégué CGT
dirigeant la grève chez Continental était, Xavier Mathieu, est un sympathisant
de LO et son conseiller est Roland Szpirco, dirigeant LO et conseiller
municipal dans la région.
L’hebdomadaire de LO, Lutte ouvrière, avait salué
l’accord final de grande victoire et de percée en disant : « … la
lutte arrache de nouveaux reculs [du gouvernement et du patronat], peut-être
décisifs. »
En réalité, c’est le contraire qui est le cas : en
conséquence de cet accord plus d’un millier d’emplois seront à nouveau
supprimés en Picardie, une région où le chômage progresse rapidement. La fin de
la résistance chez Continental a isolé et affaibli la lutte des travailleurs de
New Fabris et ailleurs et qui se sont également mobilisés contre les fermetures
d’usine.
Au départ, on aurait pu croire que la direction de la grève
chez Continental à Clairoix prendrait le chemin d’une lutte principielle. Elle
avait réagi à la détermination des travailleurs de lutter en organisant le 23
avril une manifestation commune rassemblant au-delà des frontières les
collègues allemands de Hanovre où une usine Continental sera également fermée. (Voir:
Les travailleurs
français et allemands de Continental protestent contre les fermetures d’usines)
Les travailleurs allemands de Continental avaient réagi avec
enthousiasme à cette manifestation internationale. Ils avaient accueilli leurs
collègues français en brandissant des pancartes bilingues disant :
« Chers collègues de Clairoix, bienvenus à Hanovre » ainsi que
« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » Il devint
immédiatement évident quelle pourrait être l’issue d’une lutte internationale
et principielle. Elle aurait brisé le contrôle de la bureaucratie syndicale.
C’est précisément pour cette raison que les dirigeants de la
grève, des membres de longue date du syndicat, décidèrent à ce point
d’interrompre la lutte. Ils se sont laissé acheter, car avec l’acceptation de
l’indemnité, quel qu’en soit le « montant », c’est la direction de
Continental qui s’est imposée.
Pour le groupe Continental, cet accord valait bien quelques
millions d’euros. Le groupe mondial impose dans le monde entier des réductions
de salaire, des licenciements et des fermetures d’usines et a déjà fermé au
cours de ces derniers mois onze sites sur les 200 implantés dans 36 pays
différents. En Allemagne, Continental impose pour l’heure avec l’aide des
syndicats (IG Metall et IG Chemie), le Parti social-démocrate (SPD) et le parti
La Gauche, une baisse de salaire de 17 pour cent.
Lutte ouvrière avance cet argument : « C’est une
lutte d’ensemble de la classe des travailleurs qui serait nécessaire. Mais tant
qu’on ne s’est pas engagé dans cette voie, les travailleurs… qui se battent
dans leur entreprise, ont mille fois raison de vendre leur peau le plus cher
possible. » La citation est révélatrice, car en réalité les travailleurs
sont tout à fait prêts à mener une lutte commune et ils l’ont prouvé à maintes
reprises, et pas seulement le 23 avril lors de la manifestation
franco-allemande à Hanovre.
La lutte unifiée des travailleurs dont l’organisation Lutte
ouvrière ne cesse d’invoquer la nécessité, elle l’a elle-même empêchée à
Continental-Clairoix.