Des doutes ont été émis sur les statistiques économiques
chinoises affichant des taux de croissance en hausse. Les évaluations du
produit intérieur brut (PIB) effectuées le 1er août par 31
gouvernements provinciaux et municipaux s’élevaient à 15,38 billions de yuan
sur la première moitié de cette année, un chiffre nettement supérieur au
chiffre de 13,99 billions de yuan publié par le Bureau national des statistiques
de Chine (NBS).
Les gouvernements locaux subissent la pression de Beijing pour
maintenir cette année la croissance du PIB à plus de 8 pour cent même si leurs
économies continuent d’être maltraitées par la crise financière mondiale. En
conséquence, de nombreux dirigeants de partis ont tout simplement décidé de
fournir des statistiques fausses pour impressionner leurs supérieurs, et ce,
jusqu’au secrétaire général du Comité central, Hu Jintao, au plus haut niveau
de l’échelle. Vu l’importance grandissante de la Chine pour l’économie
mondiale, ces données font l’objet d’un examen minutieux en Chine et
internationalement.
Les incohérences des statistiques sur le PIB soulèvent des
questions quant à l’ampleur des manipulations auxquelles s’est livré le régime
chinois pour dissimuler la situation réelle de l’économie. Le Financial Times
avait prévenu qu’ : « alors que le reste du monde considère la Chine
comme un phare en matière d’expansion, cet écart est un rappel de ce que les
statistiques n’y sont souvent pas fiables pour être régulièrement manipulées
par les mandataires à des fins personnelles et politiques. »
Le mois dernier, Derek Scissors, un économiste du centre de
réflexion conservateur Heritage Foundation, avait suscité une polémique en
critiquant le NBS. « Malgré des moyens fortement limités et une économie
dynamique complexe, il n’aura fallu au Bureau national des statistiques que 15
jours pour se faire une idée du progrès économique réalisé par 1,3 milliard de
personnes [au premier trimestre] », avait-il écrit. « Dans le
meilleur des cas, les activités antérieures sont évaluées. Au pire, les
résultats sont fabriqués dans le but de plaire au Parti communiste. » Le
NBS a répondu en publiant un long commentaire dans China Daily, pour
rejeter les arguments de Scissors comme « faux » vu que le bureau
employait 100 000 statisticiens.
Le secrétaire du comité du Parti communiste de la province du
Guangdong, Wang Yang, avait dernièrement critiqué les homologues des autres
provinces pour s’être livrés à une course en vue de produire de forts taux de
croissance et de bonnes statistiques. Il avait signalé la manière absurde avec
laquelle des mesures de relance liées à l’infrastructure gonflaient les
chiffres du PIB. « Par exemple, la construction d’un pont augmente le
PIB ; sa démolition y contribue aussi : reconstruire ensuite le pont signifie
encore du PIB. Un seul pont a contribué trois fois au PIB, en gaspillant une
grande quantité de ressources sociales tout en ne produisant qu’une seule fois
vraiment de la richesse sociale. »
Et pourtant, dans la province du Guangdong fortement tributaire
des exportations, le chiffre de 7,1 pour cent du PIB, pour la première moitié
de cette année, est tout aussi douteux que la moyenne nationale. L’un de ses
principaux centres industriels, la ville de Gongguan, avait enregistré un taux
de croissance d’à peine 0,6 pour cent pour la première moitié de l’année, un
chiffre largement en-dessous de l’objectif de croissance officiel de 10 pour
cent. Durant la même période, la ville qui compte dix millions d’habitants a vu
sa main-d'oeuvre baisser de 10 pour cent en raison d’un déclin de 24 pour cent
des exportations.
Au deuxième trimestre, le taux de croissance officiel du PIB
chinois était de 7,9 pour cent par rapport à l’année précédente, où il se
situait à 6,1 pour cent au premier trimestre. La production industrielle avait
progressé de 7 pour cent sur la première moitié de l’année, malgré une chute
dans les secteurs clé, y compris les exportations de 21,8 pour cent et la
production d’électricité de 2,24 pour cent.
En essayant d’expliquer les anomalies dans la production
d’électricité, le NBS a affirmé que la baisse de la consommation d’électricité
était due au ralentissement des industries intensives en énergie, en acier, en
métaux non ferreux et en produits chimiques, alors que la croissance
industrielle a eu lieu dans les industries moins intensives en énergie.
Cette argumentation n’est toutefois pas convaincante. En mai,
l’Agence internationale de l’énergie (AIE) avait mis en doute le taux de
croissance de 6,1 pour cent du PIB au premier trimestre en remarquant qu’il y
avait eu un recul de 3,5 pour cent de la demande de pétrole.
La « reprise » de la Chine est activée par un vaste
plan de sauvetage, à savoir un flot de crédits bancaires qui a atteint un
chiffre record de 7,1 billions de yuan (1,1 billion de dollars américains) sur
la première moitié de l’année. Une part considérable de ces crédits n’a pas été
investie dans la production, mais a servi à spéculer sur les actions en bourse
et sur le marché de l’immobilier. La bourse de Shanghai s’est déjà envolée de
près 90 pour cent cette année alors que le volume des ventes immobilières de
janvier à juin a grimpé de 31,7 pour cent par rapport à la même période l’année
dernière.
Il est significatif de noter que les entreprises du textile,
du médicament et des appareils ménagers spéculent de plus en plus sur le marché
de l’immobilier pour compenser la faible rentabilité et le déclin de
profitabilité de la production industrielle. Vu que les investisseurs
immobiliers chinois dépendent pour 50 pour cent de crédits bancaires, bien plus
que la moyenne internationale, les experts économiques et les politiciens sont
profondément préoccupés par la perspective d’une crise bancaire. D’après la
banque centrale chinoise, pour ce qui est des nouveaux crédits bancaires contractés
durant la première moitié de 2009, 538,1 milliards de yuan (78,7 milliards de
dollars) ont été consacrés à l’immobilier. Un montant identique a atterri en
bourse.
Dans un article paru le 5 août dans le magazine Caijing,
Andy Xie, un éminent économiste chinois a estimé que les marchés boursier et
immobilier étaient surévalués de l’ordre de 50 à 100 pour cent et ressemblaient
à « un schéma de Ponzi » [escroquerie de type pyramidal]. Il a
comparé la bulle d’actifs de la Chine à celle de Hong Kong en 1997 au moment de
la crise financière asiatique.
Le Bureau national des statistiques de Chine est confronté à
de plus en plus de critiques concernant ses données sur le chômage et les
salaires. Le journal officiel Global Times a rapporté que l’opinion
publique avait réagi par « des railleries et du sarcasme » à la
publication des chiffres du NBS indiquant que le salaire urbain moyen avait
augmenté de 13 pour cent durant la première moitié de l’année pour passer à
2,142 dollars américains. Le journal avait cité une enquête en ligne montrant
que 88 pour cent des personnes interrogées mettaient en doute la validité des
statistiques. Le sentiment des gens ordinaires était tout autre, les salaires
sont réduits et les niveaux de vie sont en baisse. Un article paru dans le China
Daily avait fait état d’un autre sondage qui avait trouvé que 91 pour cent
des répondants étaient sceptiques face aux données officielles, contre 79 pour
cent en 2007.
Le directeur du NBS, Ma Jiantang, avait tenu la semaine passée
une conférence de presse pour appeler le personnel à restaurer la crédibilité
des statistiques officielles. Il a souligné l’importante disponibilité de
données en ligne et le fait que la population était à présent plus consciente
de ses droits démocratiques. « La manière avec laquelle nous allons réagir
aux défis de l’internet et de la mondialisation sera un test pour nous
tous », a déclaré Ma.
Un scandale national provoqué par le trucage des statistiques
de l’emploi de jeunes diplômés universitaires avait été dévoilé le mois dernier
sur internet. Dans le but d’afficher un taux d’emploi élevé de leurs diplômés,
un nombre d’universités avaient obligé les étudiants à apporter la
« preuve » d’un emploi avant de pouvoir quitter le campus. Certains
étudiants qui avaient signé des contrats avec des entreprises fictives furent
recensés comme actif ayant un emploi.
Le ministère des Ressources humaines et de la Protection
sociale a affirmé que le scandale n’impliquait qu’un faible nombre d’étudiants
et de campus et que 68 pour cent des diplômés universitaires avaient trouvé un
emploi. Toutefois, en juillet le journal officiel Beijing Youth Daily
avait remarqué que même si les statistiques officielles étaient exactes, le
nombre des diplômés au chômage cette année et l’année dernière s’élevait à près
de trois millions. « Etant donné que le ministère du Travail et de la
Sécurité sociale n’a pas fourni des éléments statistiques précis pour étayer [ses
arguments], les doutes restent difficiles à dissiper dans l’esprit des
gens. »
Les données concernant les travailleurs migrants ruraux sans
emploi ont également été mis en doute. Le Wall Street Journal du 6 août
a rapporté que le vice-directeur pour l’emploi du ministère des Ressources
humaines, Wang Yadong, avait récemment déclaré que moins de 3 pour cent des
travailleurs migrants ruraux n’avaient pas pu trouver d’emploi après leur
retour en ville. « Il a refusé de donner des chiffres précis et n’a pas
expliqué comment les évaluations avaient été faites. Le rapport de M. Wang est
la première mise à jour depuis le mois de février de la situation de l’emploi
des migrants », a précisé le Journal.
On a estimé en janvier qu’entre 18 et 23 millions de
travailleurs migrants avaient perdu leur emploi en raison de la crise
financière mondiale. Wang a affirmé que l’amélioration sur le marché du travail
était le résultat de l’énorme plan de sauvetage mis en place par le
gouvernement tout en admettant que « la situation de l’emploi restait très
sérieuse en Chine » parce que de nombreuses entreprises connaissaient
encore de grandes difficultés. « Il se peut que cette année, les nouveaux
emplois pour les migrants ne soient pas aussi bien que ceux qu’ils avaient eu avant.
Certains scientifiques rapportent que les travailleurs migrants avaient souvent
été obligés d’accepter des salaires bas pour trouver du travail ces derniers
mois », a écrit le Wall Street Journal.
Les doutes soulevés sur les statistiques chinoises sont en
dernière analyse une expression de la fragilité de son système d’exploitation
de la main-d’œuvre bon marché. En dépit des efforts qui sont faits pour dresser
un tableau plus positif, y compris la manipulation des statistiques, l’impact
de la crise économique mondiale ne peut pas simplement être caché par des
moyens bureaucratiques.