Avec la rentrée, le président Nicolas Sarkozy a essayé de
contenir la poursuite et l’intensification des protestations nombreuses
contre l’inflation des prix. Durant la période précédent les vacances
d’été, marins-pêcheurs, agriculteurs, chauffeurs de poids lourds et de
nombreuses autres sections de travailleurs ont participé à des protestations
massives.
La cote de popularité de Sarkozy qui se présente comme « le
président du pouvoir d’achat » avait plongé en dessous de la barre
des 40 pour cent avec le développement d’un mouvement en France et de par
l’Europe contre la hausse des prix de l’alimentation et de
l’énergie. Des sondages ont révélé qu’une grande majorité de
Français ne pensent pas qu’il puisse arrêter la baisse du niveau de vie.
Sarkozy a annoncé à la fin du mois d’août qu’il
allait mettre en place un programme d’un milliard et demie d’euros,
le RSA (Revenu de solidarité active), afin de tirer de la trappe à pauvreté les
travailleurs à bas salaire au moyen d’un supplément de salaire financé
par l’Etat, et ainsi encourager les chômeurs à reprendre un travail. Si
un travailleur ayant un emploi partiel gagne 100 euros, au lieu de voir son
allocation diminuer de cette somme, comme c’est actuellement le cas, il
en gardera 62 euros.
C’est un signe d’inquiétude du gouvernement, face
à son isolement social, que cette mesure, qui au départ devait être mise en
place en 2010, a été avancée à 2009. Le conseil des ministres l’a
approuvée la semaine dernière.
Le RSA ne permettra pas d’enrayer la pauvreté. Quelque 8
millions de personnes en France vivent en dessous du seuil de pauvreté, qui est
évalué à 60 pour cent du salaire médian. Ce chiffre comprend 6 pour cent de la
population active. Cette mesure n’aura pas d’effet appréciable sur
les chiffres de la pauvreté. On estime qu’entre 3 et 4 millions de
personnes pourront bénéficier de cette mesure, parmi lesquelles deux tiers
occupent des emplois à bas salaire.
L’économiste Thibault Gajdos, chargé de recherches CNRS
au Centre d'Economie de la Sorbonne a fait remarquer dans un article du Monde
du 2 septembre que la politique fiscale du gouvernement reste « massivement
inégalitaire » depuis l’élection de Sarkozy l’année dernière et
qu’elle avaient enrichi les plus riches de 6,7 milliards d’euros. Gajdos
remarque « Le RSA n’améliorera pas les conditions de vie des
bénéficiaires de minima sociaux qui ne parviennent pas à retrouver un emploi.
Or le niveau relatif des minima sociaux n’a cessé de se dégrader depuis
les années 1990. Pour une personne seule le RMI [revenu minimum
d’insertion] représentait en 1990 34,9 pour cent du revenu médian contre
30,1 en 2007. Le RSA ne permettra pas d’enrayer ce décrochage. »
Gajdos ajoute, « Les revenus des 1 pour cent de ménages
les plus riches ont progressé de 20 pour cent entre 1998 et 2005, tandis que le
revenu médian n’a augmenté au cours de la même période que de 4,3 pour
cent. » Le fossé entre le salaire médian et le seuil de pauvreté est passé
de 16,3 pour cent en 2002 à 18,2 pour cent en 2005. Il commente, « Le RSA
n’apporte sur ce point pas de réponse. Pis, il laisse entendre
qu’il y a deux sortes de pauvres : d’un côté les laborieux qui
méritent d’être aidés et de l’autre ceux qui doivent être
abandonnés à leur sort. »
Ce programme va contraindre les bénéficiaires du RSA à accepter
n’importe quel emploi, s’ils ont déjà refusé deux offres
d’emploi « raisonnables » sous peine de voir supprimer leurs
prestations. Cela signifie que les travailleurs devront accepter des emplois à
mi temps ou des contrats de courte durée avec des salaires et des conditions au
plus bas niveau. Les patrons pourront les utiliser comme de la main
d’œuvre corvéable à merci que l’on peut embaucher et remercier
suivant les fluctuations du marché.
L’une des principales revendications des travailleurs de
la grande distribution, en grève en début d’année dans les principales
chaînes de supermarchés et autres magasins était de pouvoir travailler la
semaine entière. Les travailleurs en avaient assez de servir de bouche-trous
pendant les heures de la journée que personne ne veut, et de travailler de
façon discontinue et souvent à des heures tardives. La main d’œuvre
en majorité féminine trouve de telles conditions de travail très difficile à
concilier avec une vie de famille.
Une étude rapportée par le Nouvel Observateur du 1er août
a découvert que sur les 12 400 familles qui travaillent et reçoivent le
RSA dans les zones pilotes, seulement 18 pour cent d’entre elles sont
sous contrat à durée indéterminée, 26 pour cent ont un contrat à court terme ou
temporaire et 30 pour cent travaillent dans des emplois aidés. Le magazine rapporte,
« Pour les économistes Pierre Concialdi et Denis Clerc, le RSA comporte le
risque que les employeurs multiplient les emplois précaires ou à temps partiel
peu rémunérés et profitent du fait que les bénéficiaires du RSA reçoivent un
complément des pouvoirs publics. »
La sociologue Noëlle Burgi a déclaré au service
d’information de l’AFP, « Le RSA risque de multiplier les
mauvais 'petits boulots', d'institutionnaliser un second marché du travail basé
sur le précariat. »
Certains commentateurs ont qualifié de coup de maître la décision
du gouvernement d’avancer la date d’application du RSA. En
reprenant une proposition développée par Martin Hirsch en 2005, alors
qu’il était un membre dirigeant du Parti socialiste (PS) et président de
l’association Emmaüs de lutte contre la pauvreté, Sarkozy espérait couper
l’herbe sous le pied du Parti socialiste et regagner de la crédibilité
comme défenseur du pouvoir d’achat des salariés. En même temps, la
décision de Sarkozy de financer ce projet par une augmentation de 1,1 pour cent
de l’impôt sur les revenus du patrimoine et des placements des ménages a
été considérée par des critiques au sein de l’UMP au pouvoir (Union pour
un mouvement populaire) et la principale association d’employeurs MEDEF
(Mouvement des entreprises de France) comme une répudiation de la promesse
faite par Sarkozy de réduire les impôts.
Néanmoins, le fait que cet impôt touchera principalement les
petits épargnants et n’affectera pas les très riches qui sont protégés
par le « bouclier fiscal » qui garantit qu’ils ne peuvent être
imposés au-delà de 50 pour cent de leur richesse, a aussi provoqué une réaction
populaire.
On peut se faire une idée de la haine de l’establishment
à l’égard des travailleurs opprimés et de sa profonde xénophobie en
lisant l’éditorial du 29 août du quotidien de droite Le Figaro qui
soutient avec constance le régime Sarkozy. Le journal propose que le milliard
et demi d’euros nécessaire pour financer cette mesure ne viennent pas du projet
de taxe de 1,1 pour cent sur les revenus du patrimoine, mais plutôt de la
suppression de l’aide médicale d’Etat (la couverture maladie des étrangers
sans-papiers) « Si Nicolas Sarkozy estime normal "dans un effort de
solidarité" que chacun aide les plus pauvres à sortir de
l’exclusion, il aurait pu penser aussi à faire contribuer les
travailleurs clandestins en tirant un trait sur l’aide médicale
d’Etat qui coûte 800 millions d’euros par an. »
La réaction du Parti socialiste et des syndicats a consisté
largement à approuver le RSA. Le Monde rapporte le 29 août que le
premier secrétaire du PS, François Hollande, « a estimé que les
socialistes et la gauche ont fini par être entendus ». L’ancien
ministre PS et candidate à la direction du parti, Martine Aubry a approuvé,
« Cette mesure va dans le bon sens mais elle est quand même très modeste. »
L’ancien premier PS Michel Rocard a déclaré le 30 août que le RSA était
« une bonne nouvelle ».
Dans une interview accordée à La Tribune, Maryse Dumas
secrétaire de la CGT (Confédération générale du travail, proche du Parti
communiste) et membre de la Commission Hirsch a déclaré, « Nous sommes donc sensibles à l’idée
d’une aide sociale qui viendrait compléter soit une allocation chômage,
soit un très bas salaire. »
Quand on lui a demandé si elle souscrivait réellement au RSA
elle a répondu, « Nous sommes plus nuancés. Nous sommes favorables à ce
que toute heure travaillée rapporte vraiment un plus à la personne concernée.
Mais nous serons plus que vigilants pour que les employeurs ne trouvent pas
dans ce système une nouvelle opportunité à développer des sous-emplois…
sous prétexte que les aides vont compenser les bats salaires. Cela reviendrait
à fabriquer encore davantage de travailleurs pauvres. »
Le Parti socialiste a un long bilan de plans qu’il a mis
en place ou qu’il a soutenus et qui ont été présentés comme aidant les
jeunes et les chômeurs à trouver du travail, mais qui en fournissant de la main
d’œuvre bon marché subventionnéepour les patrons, servent à
miner le niveau général des salaires et les droits et salaires établis pour
tous les travailleurs. Ces plans ont été en grande partie soutenus par les
syndicats.
Le chômage avait fait un bond en avant à la fin des années 70
avec la fin du boom d’après-guerre. En 1982, le président François
Mitterrand et le premier ministre Pierre Mauroy avaient mis en place des
« stages » pour les jeunes, fournissant littéralement aux patrons de
la main d’œuvre gratuite. Cela se produisit à une époque où 7,5 pour
cent de la population et 20 pour cent des jeunes étaient au chômage. En 1983,
les employeurs avaient signé un accord mettant en place le SIVP (stage
d’insertion dans la vie professionnelle) qui rémunérait entre un tiers et
la moitié du SMIC (salaire minimum légal.) Les syndicats avaient œuvré en
faveur de cet accord.
En 1984, avec un chômage à 10 pour cent et 25 pour cent pour
les jeunes de moins de 25 ans, le premier ministre PS Laurent Fabius avait
lancé les TUC (Travaux d’utilité collective) mettant en place des emplois
à mi temps pour les jeunes dans les services publics. Ces emplois, par contrat
de six mois, étaient rémunérés un peu moins que le SMIC et ne permettaient pas
de cotiser pour la retraite et l’assurance chômage.
En 1990, Michel Rocard alors premier ministre, avait remplacé
les TUC par des CES (Contrat emploi solidarité) pour les jeunes: des contrats à
mi temps d’une durée de douze mois dans les services publics et rémunérés
à la moitié du SMIC.
En 1993, le gouvernement gaulliste d’Edouard Balladur
avait essayé d’imposer le CIP (Contrat d’insertion
professionnelle), communément appelé Smic-jeune ou salaire minimum jeune, pour
les diplômés de l’enseignement supérieur sans travail. Cette mesure
aurait permis aux patrons de rémunérer les jeunes travailleurs 80 pour cent du
SMIC. Une gigantesque mobilisation d’étudiants et de lycéens avait forcé
Balladur à abandonner son projet. Néanmoins le gouvernement de gauche plurielle
de Lionel Jospin (PS, PC et Verts) vint au pouvoir en 1997. Il mit en place les
Emplois jeunes, surtout pour les jeunes travailleurs ayant le baccalauréat.
L’exploitation de ces jeunes travailleurs a ainsi permis
l’installation et l’entretien du réseau informatique dans les
établissements scolaires de France pour un coût minimal.
Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, a dans un entretien au Monde le 2
septembre, a mis en garde Sarkozy qu’il « devrait se méfier ». Il
ajoutait sa voix aux avertissements lancés par d’autres syndicats au
gouvernement inquiet que cette fois les syndicats ne soient pas en mesure de
contenir le mouvement de masse de la classe ouvrière et des jeunes. La semaine
dernière, Jean-Claude Mailly de Force ouvrière (FO) a dit que « tous les
indicateurs sont au rouge » et François Chérèque de la CFDT (Confédération française démocratique du
travail) a exprimé l’inquiétude que les réactions au démantèlement par le
gouvernement de l’Etat providence risquent de « laisser le champ
libre aux démagogues ».
Thibault a annoncé qu’il y aurait une journée
d’action et de manifestation le 7 octobre avec pour revendication « le
travail décent, les salaires, les emplois stables ou la protection sociale ».
Il a ajouté, « Dans cette situation, l’urgence est à l’action
et à l’unité. »
On mesure l’hypocrisie de cet appel lorsque l’on considère
la série d’actions dispersées annoncée par les syndicats pour la rentrée,
syndicats qui ont collaboré étroitement avec Sarkozy pour imposer son programme
de destruction des droits et des conditions des travailleurs depuis son
élection en mai 2007. C’est précisément la méthode pratiquée pour
frustrer la résistance des travailleurs et les priver d’une perspective
politique.
La priorité des syndicats est de rendre le capitalisme
français compétitif face à ses concurrents internationaux et attractifs pour
les investisseurs, ce qui requiert la destruction du niveau de vie et des
droits démocratiques et sociaux de la classe ouvrière. Seule une rupture avec
ces forces, sur la base d’un programme socialiste internationaliste,
permettra à la classe ouvrière de défendre et d’améliorer ses conditions
de vie.
(Article original anglais paru le 9 septembre 2008)