Le constructeur automobile français, Renault, a annoncé lors du
Comité central d’entreprise du 9 septembre dernier un projet de
suppression de 3000 postes en France, principalement de cols blancs, venant
s’ajouter à la suppression des 1000 postes déjà prévus dans l’usine
de Sandouville en Normandie. On attend que soit annoncée le 25 septembre une
réduction supplémentaire de 2000 postes dans les filiales européennes, dont 900
en France.
Ces chiffres ne tiennent pas compte des suppressions de postes
de travailleurs intérimaires, ni de suppressions chez les fournisseurs.
Le syndicat majoritaire CGT (Confédération générale du travail,
proche du Parti communiste) et les autres syndicats ont appelé à des actions
minimales de protestation dans les usines françaises le 11 septembre.
Les travailleurs de Renault ont répondu à cet appel par ce qui
équivaut à une massive motion de censure de la direction syndicale, qui a un
lourd bilan de concessions faites à la direction qui cherche par tous les
moyens à accroître sa profitabilité.
D’après la CGT, 2000 travailleurs à peine sur les
41 000 en France ont pris part à ces débrayages de façade d’une ou
deux heures principalement, organisés dans les usines par les syndicats. La CGT
fait état d’une participation de 400 personnes à Cléon et à Sandouville.
Mais il y a eu une mobilisation minimale à Flins et Douai où quelque vingt
travailleurs se sont rassemblés devant l’usine le matin. A Douai, 1550
travailleurs sur 5600 sont touchés par le plan de l’entreprise.
La CGT « s’est félicitée » de cette
mobilisation.
Les syndicats ont appelé à « une journée
d’action » similaire le 25 septembre, à l’occasion de la tenue
d’un comité de groupe de Renault où devraient être officiellement annoncées
les suppressions d’emplois dans les filiales européennes. Une fois de
plus il n’y a pas d’appel à la grève dans l’ensemble de
l’entreprise mais uniquement un appel à « des débrayages et des
rassemblements » sur les sites Renault et à des manifestations dans la
ville normande du Havre où est située l’usine de Sandouville.
La direction prétend qu’elle n’imposera pas de
licenciements forcés et a suggéré de mettre en place une commission conjointe avec
les syndicats pour établir les termes et conditions de départ volontaire des
travailleurs. La CGT a fait clairement savoir qu’elle n’a aucune
intention de lutter contre cette contraction du marché du travail qui frappera
de plein fouet des régions et des communautés déjà dévastées par les
suppressions de postes et les fermetures d’usines.
Dans
un communiqué de presse publié le 9 septembre, la CGT déclarait rejeter toute
participation dans la commission conjointe suggérée : « Et bien, nous
le disons sans détour, la CGT ne se livrera pas à ce marchandage et notre
organisation syndicale ne participera pas à la l’organisation d’un
avenir incertain pour ceux qui voudront partir, et par l’organisation
d’une nouvelle dégradation des conditions de vie et de travail pour ceux
qui restent, avec le risque d’une issue dramatique pour un nombre
toujours croissant de salariés… »
Néanmoins, la déclaration de la CGT publiée le 15 septembre
laisse entendre que le syndicat va, en fait, tout faire pour aider
l’entreprise à trouver les formulations qui vont encourager les
travailleurs à quitter l’entreprise sur la base du volontariat. Cette
déclaration dit que la CGT croit que ces « suppressions d’emplois ne
sont pas du tout justifiées » et que les mesures d’accompagnement
sont « au ras des pâquerettes. »
Les syndicats ont clairement fait comprendre qu’ils ne
lanceraient pas de campagne significative contre les 6000 suppressions
d’emplois chez Renault en France et en Europe. En fait, ils vont collaborer
avec l’entreprise pour imposer la réduction des effectifs exigée par le
plan en trois ans de la compagnie, Renault contrat 2009, et le déclin du marché
automobile. Les inquiétudes concernant la compétitivité et la profitabilité de
l’entreprise ont conduit à une chute de 45 pour cent de ses actions
depuis le mois de janvier.
Cela se produit dans un contexte français de grandes tensions
sociales, où les dirigeants des principales confédérations syndicales (Force
ouvrière, la CFDT et la CGT) ont averti le gouvernement qu’ils
craignaient de voir dans les mois à venir des explosions sociales massives sur
les questions du coût de la vie, des emplois et de la défense des droits
démocratiques et sociaux, que les syndicats risquaient de ne pas être en mesure
de contrôler.
La détermination des syndicats de Renault à empêcher que ne
s’organise un mouvement de masse des travailleurs pour la défense des
emplois et des conditions de travail est démontrée par leur intention déclarée
dans leur communiqué de presse du 9 septembre de cesser toute action
jusqu’au 1er octobre, en attente des négociations avec la
direction. « Nous l’avons dit, le 11 septembre prochain constituera
une première action où les salariés vont être appelés à se mobiliser. Et nous
verrons avec eux, s’il convient d’étendre l’action lors du Comité
central d’entreprise du 1er octobre et des comités d’entreprise qui
suivront le 3 octobre 2008. »
La CGT ne compte pas parmi ses priorités l’organisation
de la puissance combative des travailleurs. Ses priorités consistent à en
appeler à la direction pour qu’elle abandonne son programme visant à
obtenir une marge opérationnelle de 6 pour cent sur la production. Un tract
intitulé « Bilan de Renault contrat 2009 : Rien pour les salariés »
dit « La direction doit… viser des objectifs de marge plus réalistes.
La direction peut amorcer une politique de vente offensive sur la Laguna en
offrant des prix plus intéressants que la concurrence [italiques ajoutées]
au lieu de supprimer 1000 postes à Sandouville… Elle doit remotiver son
personnel avec une augmentation significative des salaires !!! »
Ici la CGT exprime une politique explicite consistant à
dresser les travailleurs des différentes usines et entreprises les unes contre
les autres afin d’augmenter la compétitivité de leur propre entreprise.
Autre exemple, le communiqué de presse du 9 septembre utilise
un argument écologique pour chercher à diviser les travailleurs français de
Renault de leurs collègues étrangers : « Et si Renault parle beaucoup
d’écologie, il faudra nous expliquer en quoi le transport des Logan de
Roumanie, des Twingo de Slovénie, du Koléos de Corée, de la Clio Estate de
Turquie et maintenant des Sandero du Brésil, constitue une avancée pour
l’écologie. »
Dans la même veine, dans une lettre adressée au président
Nicolas Sarkozy, la CGT en appelle à son soutien au nom du patriotisme économique :
« L’essentiel des investissements industriels se fait à
l’international (Maroc, l’Inde ou bien la prise de participation
dans le constructeur russe Aftovaz) au détriment des sites … implantés en
France. »
La mondialisation de la production et les opportunités
qu’elle donne au patronat pour exploiter les sources de main
d’oeuvre bon marché les plus opprimées de la planète (La Chine, le Vietnam
et autres pays) et de les utiliser pour détruire les conditions de travail dans
les pays avancés ne peuvent être contrées par le patriotisme économique qui
conduit à une alliance entre les syndicats et les capitalistes de leur pays.
Seule l’unité internationale de la classe ouvrière peut effectivement
contrer les attaques à échelle mondiale sur la classe ouvrière.
Pendant ce temps la crise économique s’approfondit. La
Commission européenne s’attend à ce que la croissance économique de la
France tombe à 1 pour cent en 2008, soit en dessous de l’estimation déjà basse
de 1,3 pour cent pour l’ensemble de la zone euro. Elle s’attend à
ce que l’Europe entre en récession au second semestre de l’année,
entraînée par l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne dont le PIB
enregistrera une croissance négative durant cette période.
Le constructeur automobile français Citroën PSA a annoncé
10 000 suppressions d’emploi.
L’industrie automobile américaine cherche à maintenir sa
profitabilité et sa compétitivité par des suppressions d’emploi massives
opérées avec l’entière collaboration du syndicat de l’automobile,
UAW.
Prenant la parole à Reykjavik le 9 septembre, selon un
reportage de l’agence Reuters, le patron de Volkswagen Martin Winterkorn
a dit : « Nous sommes devenus plus prudents pour 2009. » Le
reportage continue : « S'exprimant au sujet des difficultés éprouvées
par les constructeurs américains, Martin Winterkorn s'est inquiété du risque de
voir un concurrent comme General Motors se placer sous la protection de la loi
sur les faillites. Aux yeux du président du directoire de Volkswagen, cela
permettrait à GM de faire baisser ses coûts en modifiant notamment les
différents accords conclus avec les syndicats afin de retrouver, au bout du
compte, un avantage compétitif. "Nous redoutons ce scénario... Ceux qui
pensent que Ford et GM sont près de disparaître du marché se trompent
lourdement", a noté Martin Winterkorn. »
Les entreprises européennes vont chercher à rivaliser avec
leurs concurrents américains en suivant les méthodes américaines.
Dans ces conditions, loin de mettre en avant une lutte unifiée
des travailleurs de Renault pour la défense des emplois et des conditions de
travail dans toute la France et internationalement, ainsi que dans les autres
industries où les travailleurs sont confrontés à des attaques similaires, comme
à Airbus, l’orientation principale de la CGT est, comme nous
l’avons vu, de se tourner vers la direction et de la cajoler pour
qu’elle diminue sa course aux profits en faveur des actionnaires.
Le communiqué de presse de la CGT montre comment le taux
d’exploitation des travailleurs ne cesse d’augmenter. En 2005,
Renault produisait dans le monde entier 2 533 423 véhicules avec une
main d’œuvre de 127 000 personnes et obtenait une marge
opérationnelle de 3,2 pour cent. En 2009, l’entreprise compte produire 3
millions de véhicules avec 116 893 travailleurs et pour une marge
opérationnelle de 6 pour cent. Les conditions du marché ont fait qu’elle
a dû revoir à la baisse la production pour 2009 qu’elle avait estimée à
3,3 millions de véhicules.
La CGT a reproché à la direction le fait que « Les
dividendes versés aux actionnaires se chiffraient à 500 millions d’euros
en 2005 et devraient, à structure de capital identique, se chiffrer à
1 300 millions d’euros en 2009. Cela représente une augmentation de
800 millions d’euros en quatre ans » et que le PDG de l’entreprise,
Carlos Ghosn avait levé 225 000 stock options, soit un million
d’euros de dividendes pour 2009.
Yves Audvard, « administrateur salariés CGT
Renault, » a envoyé une lettre au président Nicolas Sarkozy, lui faisant
remarquer que « l’Etat en tant qu’actionnaire principal du
groupe (détenteur de 15,01 pour cent du capital) doit intervenir auprès de la
direction pour exiger une autre stratégie industrielle et sociale conciliant
l’intérêt commun des populations. »
Cela ne devrait être une surprise pour personne que la CGT
fasse de la campagne pour la défense des emplois et des conditions de travail
essentiellement un appel à la conscience sociale de la direction et du président,
sans aucune conception de lutte de classes. La CGT et la CFDT (Confédération
française démocratique du travail, proche du Parti socialiste) avaient signé
conjointement un document le 9 avril dernier avec les organisations patronales,
la « Position commune », document qui améliorait les incitations pour
l’intégration des syndicats dans la gestion de l’entreprise. Ceci s’était
fait en échange du soutien des syndicats à la destruction de la semaine de 35
heures et à une importante déréglementation du temps de travail, et est devenue
le fondement d’une loi démantelant de larges pans du Code du travail
protégeant les conditions de travail.
Les suppressions d’emploi chez Renault ne peuvent
qu’annoncer des attaques encore plus massives sur le niveau de vie et les
droits des travailleurs en France et en Europe. Les travailleurs ne peuvent les
contrer qu’en rompant avec les syndicats et en construisant des comités
d’action ouvrier indépendants qui développeront des contacts entre les
travailleurs de chez Renault et ceux des industries de l’automobile dans
le monde entier. Ces comités tisseront aussi des contacts avec les travailleurs
de leurs région et localités pour s’opposer à l’attaque mondiale du
grand patronat sur les emplois et les conditions de vie, sur la base d’un
programme d’appropriation démocratique et sociale de l’industrie
automobile et des grandes entreprises.