Deux dirigeants syndicaux, Jean-Claude Mailly de Force
ouvrière (FO) et François Chérèque de la CFDT (Confédération française
démocratique du travail) ont récemment accordé des interviews très remarquées
dans lesquelles ils avertissent de la forte probabilité de luttes sociales de
grande envergure à la rentrée. Le mécontentement de la classe ouvrière
s’accroît dans un contexte de chute du pouvoir d’achat et de contraction
économique en France et dans toute l’Europe.
Dans son numéro du 25 août, Le Parisien a commencé
l’entretien avec Mailly par cette question: « La rentrée sociale
s'annonce-t-elle chaude ? » Ce dernier a répondu : « Tous
les indicateurs sont au rouge. L'emploi, le pouvoir d'achat, les salaires, mais
aussi la production industrielle, la croissance, les exportations… Et les
salariés ont le sentiment d'avoir un horizon bouché. Sans compter leurs
inquiétudes concernant la retraite et l'assurance maladie. »
Il a ajouté : « Il y a un ras-le-bol des salariés.
Il ne faut pas grand-chose pour qu'un mouvement se déclenche. »
L’annonce de Mailly est faite dans un contexte politique
bien précis. En mai et juin, les syndicats avaient démantelé une série de
grèves et de manifestations contre les attaques sur les retraites et la
suppression de la semaine de 35 heures, les limitant à des protestations
isolées d’une journée et sans aucune perspective de lutte politique
contre le gouvernement et son programme antisocial. Ceci fait partie de la
collaboration étroite des syndicats avec le président Nicolas Sarkozy depuis
son élection en mai 2007. Leurs mises en garde sur la nature explosive des
relations de classes n’ont donc pas pour objectif de mobiliser la classe ouvrière,
mais plutôt de mettre en garde le gouvernement sur les risques posés par sa
politique.
Mailly a fait remarquer que, malgré le mécontentement des
travailleurs, FO n’a aucun projet de mobilisation de la classe ouvrière :
« Pour le moment, il n'y a pas de concertation de prévue avec les autres
confédérations. [...] Perdre une journée de salaire sans rien obtenir,
les salariés sont usés par cela. Mais le jour où ils bougeront, ce sera
dur. »
Juste après avoir expliqué combien il est frustrant pour les
travailleurs de perdre une journée de salaire lors de journées d’action
isolées qui ne servent à rien, il a annoncé que « La fédération FO a prévu
une journée d'action le 2 octobre. » Il a dit que la journée
d’action pourrait porter sur les questions de la privatisation à venir de
la poste, les réformes du système de santé et les coupes budgétaires sur les
collectivités territoriales.
L’interview de Chérèque dans le Journal du Dimanche
du 30 août a commencé par une question sur sa perception de la rentrée. Il a répondu :
« Les salariés sont partis en vacances avec, dans la tête, le discours des
dix-huit mois écoulés. On leur a dit : on va tout régler, tout va déjà
mieux. Ils rentrent et ils entendent: "ça ne va pas mieux". C'est la
"douche froide". Même si je ne sais pas sur quoi cela débouchera :
malaise ou encore plus de tensions. »
Quand on lui a demandé comment il comptait agir sur la réforme
de la semaine de 35 heures, Chérèque a dit qu’il ne ferait rien : « La
loi est votée. Je suis républicain. »
Chérèque a adopté le rôle de conseiller du gouvernement pour présenter
au mieux les attaques sur les acquis sociaux afin de désamorcer
l’opposition de la classe ouvrière. Il a dit : « De quoi m'ont
parlé, cet été, pendant mes vacances, mes vieux amis, à Sisteron, dans les Alpes-de-Haute-Provence ?
De l'avenir de l'hôpital et du bureau de poste, des services de la préfecture,
de l'absence de transports régionaux. [...] On ne peut pas engager sans débat
public une réforme aussi importante que celle de La Poste. Sinon, on ne la fera
pas comprendre et accepter. Et on laissera le champ libre aux démagogues. »
La référence de Chérèque aux démagogues est très
significative. Les syndicats ne sont que trop conscients de la fragilité de la
situation politique en France et craignent qu’un mouvement de la classe
ouvrière, qui soit indépendant, ne révèle au grand jour la perfidie des
dirigeants syndicaux.
Leur collaboration avec Sarkozy est devenue de plus en plus
ouverte depuis l’arrivée au pouvoir de Sarkozy. En septembre 2007, avant
les grèves d’octobre et novembre dans les transports, contre les attaques
sur les retraites, la presse avait révélé que Chérèque et Mailly avaient des rencontres
régulières avec Sarkozy. Apparemment le lieu de prédilection de Chérèque pour
ces rencontres était le prestigieux restaurant « Violon
d’Ingres » à Paris. Cherchant à justifier ces réunions, la CFDT
avait dit à Reuters que les déjeuners de Chérèque avec Sarkozy « n'avai[en]t
rien d'exceptionnel, le président français ayant déjà vu dans les mêmes
conditions le secrétaire général de Force ouvrière (FO), Jean-Claude Mailly, et
s'apprêtait à rencontrer d'autres syndicalistes. »
En avril dernier, Sarkozy publiait une longue colonnedans
le quotidien Le Monde, intitulée « Pour des syndicats forts »
dans laquelle il écrivait, « pour expliquer et mener à bien les réformes
dont notre pays a besoin, nous devons le faire en partenariat étroit avec ceux
qui représentent les intérêts des salariés et des entreprises. » Il
ajoutait : « Juste après l'élection présidentielle et avant même de
rejoindre l'Élysée, j'ai tenu à recevoir les organisations syndicales et
patronales pour les écouter et recueillir leurs positions sur les premières
actions que je comptais entreprendre. Depuis, je continue à recevoir très
régulièrement chacun de leurs représentants. »
Durant les manifestations de mai et juin derniers, le
gouvernement s’inquiétait de voir s’amplifier la frustration des
grévistes à l’égard des syndicats. Le Monde écrivait le 24
juin : « [A l'Elysée] on
veille aussi, comme le précise le conseiller social du président, Raymond
Soubie, à ce qu'il n'y ait pas "un affaiblissement des syndicats et
l'apparition de mouvements incontrôlés. »
Par cet euphémisme bureaucratique, Soubie exprimait les
craintes de la bourgeoisie de voir les travailleurs lancer des grèves
politiques indépendamment des directions syndicales discréditées. De telles
craintes sont amplifiées par la récession économique en France et plus
généralement en Europe, ainsi que par la détermination du gouvernement à pousser
de l’avant ses réformes impopulaires. Selon les statistiques les plus
récentes, l’économie française s’est contractée de 0,3 pour cent
durant le second trimestre de 2008, ce qui fait partie d’une contraction
générale de 0,2 pour cent de l’ensemble de l’économie de la zone
euro.
La contraction de l’économie va réduire
substantiellement les dépenses de l’Etat. Alexander Law de la société
d’analyse de marché Xerfi écrit, « Le budget 2008 a été bâti sur une
hypothèse de croissance annuelle du PIB de 2,25 pour cent. Le gouvernement a
déjà dû revoir cette croissance à la baisse, à 1,7 pour cent et de récentes
estimations la situent à présent à 0,9 pour cent, ce qui implique une perte
énorme de revenus attendus. » [Retraduit de l’anglais.] Le déficit
budgétaire de la France s’approche déjà proche de la limite de 3 pour
cent exigée par le Pacte de stabilité européen.
La combinaison de la contraction de l’économie et de
l’inflation a endommagé le pouvoir d’achat des travailleurs. Une
étude de l’Institut national de la consommation (INC), citée par Law, a
trouvé « En comparant l'équivalent d'une journée de salaire en 2000 et en
2008, l'INC relève en outre que le salarié peut s'offrir moins (alimentation,
logement, carburant) qu'il y a huit ans, en raison de l'inflation. »
Le rapport de l’INC se poursuit ainsi : « Si
le salarié pouvait acheter 49 litres de diesel avec une journée de salaire en
2000, cette année, il devra se contenter de 38 litres. Il achètera aussi moins
d'oranges (-14 %), de pommes de terre (-14 %), de bifteck (-13 %),
de salades (-11 %), de pain (-11 %) et de beurre (-7 %). »
Le chômage est en augmentation pour la première fois depuis le
second trimestre 2003. Au second trimestre 2008, 12 200 emplois ont été
perdus (soit 0,1 pour cent du total.) Ce déclin est dû en grande partie à une
perte de 6,8 pour cent d’emplois intérimaires durant le second trimestre.
Dans le secteur des services, la création d’emplois s’est quasiment
arrêtée et se tient à 0,1 pour cent. La main-d'œuvre industrielle
s’est réduite de 0,3 pour cent durant le second trimestre.
La crise internationale du logement touche aussi la France,
avec une chute de 34 pour cent de la vente de logements neufs durant ces douze
derniers mois.
Le 18 août, le premier ministre François Fillon a encore
confirmé que la réponse du gouvernement à la récession économique serait de
limiter les dépenses et d’imposer l’austérité sociale. Il a dit,
« L'objectif du gouvernement, sous l'autorité du président de la
République, c'est de rétablir la compétitivité de l'économie française. »
Il a proposé de le faire par des attaques supplémentaires sur les droits légaux
des travailleurs, au moyen de « réformes structurelles du marché de
l'emploi, du travail, de l'organisation du travail, de la législation du travail. »
(Article original anglais paru le 2 septembre 2008)