Dans une manœuvre électorale évidente, le premier
ministre conservateur Stephen Harper a déclaré la semaine dernière que son
gouvernement « planifiait » mettre un terme à la mission de
contre-insurrection des Forces armées canadiennes (FAC) dans le sud de
l’Afghanistan dans trois ans, en décembre 2011, lorsque
l’engagement de la mission envers l’OTAN prendra fin.
Mercredi, la quatrième journée de la campagne pour
l’élection fédérale qui se tiendra le 14 octobre et un jour après
l’annonce du président américain George Bush selon laquelle les Etats-Unis
se préparaient à intensifier la guerre en Afghanistan, Harper a déclaré :
« Nous nous préparons à retirer les troupes de l’Afghanistan en
2011...
« Je ne peux pas dire qu’il n’y aura plus
un seul soldat sur place, car nous devrons évidemment contribuer à certaines
missions techniques. Mais, nous voulons à ce moment mettre un terme à la
mission telle que nous la connaissons. »
Harper a ajouté par la suite qu’il ne pensait pas
vraiment « que le public canadien aurait beaucoup envie... ou même les Forces
canadiennes » de voir la mission de contre-insurrection des FAC en
Afghanistan se poursuivre au-delà de six ans.
Harper a défendu la guerre de style colonial menée par 2500
soldats des FAC en appui au gouvernement fantoche des Etats-Unis de Hamid Karzaï,
affirmant que cela représente la politique étrangère plus musclée dont le
Canada a besoin pour défendre ses intérêts sur la scène mondiale.
Plus tôt cette année, il avait menacé de forcer une
élection si les libéraux, l’opposition officielle, refusaient
d’appuyer la proposition de son gouvernement minoritaire visant à
prolonger le déploiement des FAC dans la province afghane de Kandahar de
février 2009 jusqu’en 2011.
Les médias de la grande entreprise avaient quant à eux
exigé clairement des libéraux qu’ils se joignent à leurs opposants
conservateurs, tout en conseillant à ces derniers d’apporter des
changements superficiels à leur résolution parlementaire prolongeant le
déploiement des FAC afin de s’assurer le soutien du Parti libéral.
L’élite canadienne craignait qu’une campagne électorale dans
laquelle la question afghane occuperait une place centrale attise les
sentiments antiguerre et accorde trop d’influence au peuple canadien dans
la détermination de la politique du gouvernement sur cette question.
Les sondages ont constamment montré qu’une majorité
de Canadiens souhaitent un arrêt rapide, sinon immédiat, de la mission de
combat des FAC en Afghanistan. Cela est particulièrement vrai au Québec où les
conservateurs espèrent s’emparer d’une bonne partie des sièges qui
leur manquent pour obtenir la majorité parlementaire. La seule province
canadienne à majorité francophone a une longue histoire pacifiste ainsi que de
nationalisme et d’isolationnisme qui remonte au début du 20e siècle.
Avant mercredi, Harper avait constamment refusé
d’établir de date ferme pour la fin de la mission des FAC en Afghanistan.
Sa déclaration a été faite le matin suivant l’annonce du président
américain Bush que le Pentagone déplacerait des troupes de l’Irak vers
l’Afghanistan avec l’objectif de procéder à une stratégie
d’intensification afghane. Cette intensification de la guerre aura
certainement un énorme impact sur la vie de Kandahar et sur le personnel des
FAC qui y est déployé. Beaucoup s’attendent dans les médias à ce que les
FAC subissent leur symbolique 100e décès en Afghanistan durant la campagne
électorale.
Mardi, de nombreux quotidiens canadiens ont publié un
reportage de Canwest sur une rencontre organisée par le Centre de recherche
pour le développement international, une agence fédérale. L’ancien
ambassadeur canadien pour l’Afghanistan, Arif Lalani, a déclaré lors de
cette rencontre que l’insurrection gagnait en puissance et a soutenu
qu’il était « essentiel » que davantage de soldats américains
et de l’OTAN soient déployés au sol.
Fred Hampson, directeur de l’Ecole des Affaires
internationales de l’Université Carleton, a annoncé que le prochain
premier ministre canadien allait presque certainement devoir répondre à la
demande de Washington d’augmenter l’implication des FAC dans la
guerre de contre-insurrection. « L’une des questions absolument
critiques qui se poseront au prochain gouvernement du Canada sera l’appel
de Washington : “Nous savons que vous prévoyez vous retirer en 2011.
Etes-vous prêts à rester ? Etes-vous non seulement prêts à rester, mais
pensez-vous développer votre capacité d’intervention d’ici
2011 ?” Voilà une question très épineuse qui risque d’être
posée au prochain gouvernement de ce pays », a déclaré Hampson.
Dans ce qui semblait être une réponse aux commentaires de
Hampson, le chef libéral Stéphane Dion a réitéré mardi dernier qu’un
gouvernement libéral allait mettre un terme à la mission de contre-insurrection
des FAC en Afghanistan en 2011. « Et après cela », a affirmé Dion, « la
mission à Kandahar sera terminée pour le gouvernement du Canada et pour nos
troupes. Nous aurons d’autres missions à accomplir dans le monde. »
Harper et Dion, avec ces discours prudents, tente de mieux
paraître aux yeux de l’électorat. Les discours sur la fin de la mission
des FAC en Afghanistan a pour but de masquer le fait que ces deux partis,
l’un formant le gouvernement et l’autre l’opposition
officielle, ont juré de continuer à mener la guerre en Afghanistan pour les
trois prochaines années. Et ce, dans le but de maintenir au pouvoir un
gouvernement mis en place par les Etats-Unis, reconnu pour sa corruption, sa
brutalité et son hostilité aux droits démocratiques fondamentaux, et d’étendre
l’influence d’Ottawa et de Washington dans la région riche en
pétrole de l’Asie centrale.
La guerre, doit-on le mentionner, ne peut que gagner en
intensité, alors que les Etats-Unis procèderont à un déploiement massif et
s’arrogent déjà le droit de mener des frappes militaires à
l’intérieur du Pakistan en violant de manière flagrante la souveraineté
de ce pays.
Les Etats-Unis déploient présentement 900 soldats à Kandahar
pour combattre aux côtés des FAC dans le but de pacifier ce que Harper qualifie
lui-même de région la plus dangereuse de l’Afghanistan. Les FAC, pendant
ce temps, ont déployé 250 membres de personnel de plus à Kandahar pour piloter
les hélicoptères militaires qu’Ottawa a récemment acquis pour soutenir la
campagne de contre-insurrection.
De plus, aucune crédibilité ne doit être donnée aux
prétentions de Harper et Dion selon lesquelles ils vont mettre un terme à la
mission de combat de FAC en Afghanistan en 2011.
Exactement le même jour que Harper s’est supposément
engagé au retrait de la majorité des troupes des FAC de l’Afghanistan en
2011, il a prononcé un discours belliqueux destiné à démontrer que les
conservateurs, contrairement à leurs opposants électoraux, sont prêts à
défendre agressivement les intérêts de la grande entreprise canadienne à
l’échelle mondiale.
« En tant que premier ministre », a déclaré Harper,
« je crois que notre politique étrangère n’est pas simplement
d’accomplir des progrès et de quitter ensuite. C’est
d’utiliser la présence et la bonne volonté de notre pays pour défendre
quelque chose, pour défendre nos intérêts les plus fondamentaux et nos valeurs
les plus élémentaires. »
Harper a ensuite cité une longue liste d’exemples où le
gouvernement avait pris des positions « fortes » — pour la
plupart s’alignant complètement derrière l’administration Bush —
incluant la suppression de l’aide au gouvernement mené par le Hamas à
Gaza, « mettant en garde contre les dangers émergeants en Russie… et…
affirmant notre souveraineté dans l’Arctique. » En particulier,
Harper a fait remarquer l’appui enthousiaste de son gouvernement pour
l’invasion du Liban par Israël.
Quant aux libéraux, ils ont une longue et notoire histoire de
dénoncer les recommandations de politiques de leurs adversaires de droite,
seulement pour les implémenter par la suite.
Ce furent les gouvernements des libéraux de la première moitié
de cette décennie qui ont lancé le plus grand déploiement outre-mer des FAC
depuis la guerre de Corée en appuyant l’invasion américaine de
l’Afghanistan en 2001 et qui ont ensuite donné comme mandat aux FAC de
jouer un rôle de premier plan dans la guerre de contre-insurrection dans le sud
de l’Afghanistan.
Lors du dernier parlement, les libéraux sont venus deux fois
en aide aux conservateurs pour passer des prolongements et des intensifications
du rôle du Canada dans la guerre en Afghanistan. Lors de la deuxième occasion,
en hiver dernier, Dion, après avoir affirmé pendant des semaines que les
libéraux ne prolongeraient pas le déploiement des FAC à Kandahar au-delà de
février 2009, s’est plié aux demandes de la grande entreprise (et de ses
propres députés de premier plan) et s’est joint à ses rivaux
conservateurs pour prolonger la mission de deux ans et demi.
La résolution de guerre bipartite libérale-conservatrice —
avec sa prétention que le prolongement de la mission des FAC était
« conditionnelle » au déploiement par un autre pays de 1000 soldats à
Kandahar — fut ensuite utilisée, comme ses auteurs l’avaient
anticipé, par l’administration Bush afin de mettre de la pression sur les
autres pays de l’OTAN pour qu’ils augmentent leur niveau
d’engagement dans la guerre afghane.
Étant donné l’impopularité de la guerre,
l’isolation politique du régime de Karzaï et la crise à laquelle fait
face l’occupation des Etats-Unis et de l’OTAN, sans mentionner
l’intensification des tensions mondiales entre les grandes puissances, il
y a tout lieu de croire que le prochain gouvernement, qu’il soit
conservateur ou libéral, va prétendre que les conditions ont changé et que les
« plans » du gouvernement pour retirer les FAC seront devenus
désuets.
La réaction
hostile des médias
L’étendue du consensus pro-guerre dans l’élite
canadienne est davantage illustrée par la réaction hostile des journaux les
plus influents du pays envers la promesse plus que molle faite par Harper de
retirer la majorité des troupes canadiennes de l’Afghanistan à la fin de
2011. Le Globe and Mail, le National Post et le montréalais La
Presse ont tous critiqué le premier ministre pour s’être plié à
l’opinion publique, montrant clairement qu’ils supportent
entièrement la préparation des FAC pour la guerre en Afghanistan après 2011.
« L’Afghanistan… n’est pas une question
de relations publiques pour laquelle les positions peuvent être basées sur les
derniers sondages d’opinion », a affirmé le Globe.
Désirant isoler la formulation de la politique étrangère du
Canada de la volonté de la population, le Globe ajoute, « De
futures décisions sur l’avenir du rôle en [Afghanistan] doivent être
prises de façon sobre, exemptes (le plus possible) de la pression partisane
d’une campagne électorale fédérale. »
Le fervent pro-conservateur National Post fut encore
plus mordant dans sa critique de ce qu’il appelle « La retraite
afghane de Harper ». Après avoir mis de côté une « date officielle de
retrait » comme étant « la dernière chose que nous devons
faire », le National Post exhorte Harper « à émuler messieurs
McCain et Obama et à annoncer son intention d’augmenter les forces
canadiennes en Afghanistan. »
La Presse a déploré que
« cette date butoir absolue fixée par Harper le prive d’une marge de
manœuvre qui pourrait lui être nécessaire… s’il est
réélu. »
Les trois autres partis — le parti social-démocrate NPD,
l’indépendantiste Bloc québécois (BQ) et les Verts — ont tous
changé leurs positions sur la participation canadienne dans la guerre en
Afghanistan dans une tentative de séduire la majorité anti-guerre de
l’électorat.
Les Verts, qui n’ont jamais élu un membre au parlement,
n’avaient même pas mentionné le mot « Afghanistan » dans leur
plate-forme des élections fédérales de 2006.
Jusqu’en août 2006, c’est-à-dire durant presque
cinq ans, le NPD a appuyé la participation à la guerre en Afghanistan, incluant
l’affectation des FAC à un rôle de premier plan dans la guerre de contre-insurrection
dans le sud de l’Afghanistan.
Le BQ a régulièrement dénoncé la demande du NPD pour la fin du
déploiement des FAC à Kandahar avant l’ancienne date de retrait fixée à
février 2009 comme étant « irresponsable ».
Peu importe leurs positions formelles sur la mission des FAC,
aucun de ces partis ne fait de la participation du Canada en Afghanistan un
point central de leur campagne électorale. Ils se plient tous devant le
consensus bipartite pro-guerre de l’élite dirigeante canadienne. Le chef
du NPD, Jack Layton, n’a même pas mentionné la guerre dans le discours
d’ouverture de sa campagne.
(Article original anglais paru le 13 septembre 2008)