Voici la sixième partie d'une série
d'articles traitants des événements de mai-juin 1968 en France. La première
partie, mise en ligne le 28 mai, traite du développement de la révolte
étudiante et de la grève générale jusqu'à son apogée fin mai. La seconde
partie, mise en ligne le 29 mai, examine la manière dont le Parti
communiste (PCF) et son pendant syndical, la CGT, ont permis au président
Charles de Gaulle de reprendre les choses en main. Les troisième
et quatrième
parties, mises en ligne les 21 juillet et 12 août, s'intéressent au rôle joué
par les pablistes ; les quatre dernières parties examinent le rôle de
l'organisation de Pierre Lambert, l'Organisation communiste internationale
(OCI). La cinquième
partie partie a été mise en ligne le 23 octobre.
Le
slogan du « Comité central de grève »
En 1935, Léon Trotsky avait proposé le slogan
de « Comités d'action » à ses partisans français. À cette époque, une
radicalisation rapide de la classe ouvrière était en marche, mais elle restait
largement sous l'influence du Front populaire, une alliance
contre-révolutionnaire de staliniens, de sociaux-démocrates et de radicaux
bourgeois. Dans ces circonstances, Trotsky considérait les comités d'action
comme un moyen d'affaiblir l'influence du Front populaire sur les masses,
d'encourager leur initiative indépendante.
« La direction du Front populaire doit
directement et immédiatement refléter la volonté des masses en lutte. Comment
la refléter ? De la façon la plus simple qui soit, par des élections »
écrivait-il. « Chaque groupe de deux cents, cinq cents ou mille citoyens
qui adhérent au Front populaire dans la ville, le quartier, l'usine, la
caserne, la campagne doit, pendant les actions de combat, élire son représentant
dans les comités d'action locaux. Tous ceux qui participent à la lutte
s'engagent à reconnaître leur discipline. » [14]
Le slogan du « Comité central de grève, »
qui était au centre de l'intervention de l'OCI en 1968, émanait de cette
proposition de Trotsky. Les déclarations de l'OCI contiennent un certain nombre
de formulations qui sont extraites pratiquement à la virgule près des écrits de
Trotsky. Mais, comme dans le cas de la tactique du front unique, l'OCI avait
vidé ce slogan de tout son contenu révolutionnaire.
Beaucoup de ses déclarations se bornaient à
des énumérations d'une précision bureaucratique des différents niveaux de la
structure hiérarchique sur laquelle le comité national de grève devrait
s'appuyer. La déclaration intitulée « Oui, les travailleurs peuvent l'emporter :
forgeons l'arme de la victoire : LE COMITÉ CENTRAL DE GRÈVE ! »
en est un exemple typique, elle a été publiée le 23 mai et largement distribuée
durant la grève générale en tant qu'édition spéciale d'Informations ouvrières.
Cette déclaration contient ce passage : « Comment
unir en une force invincible et victorieuse le mouvement général de la classe
ouvrière et de la jeunesse ? À cette question, une seule réponse :
organisation des comités de grève sur le plan local en comité
interprofessionnel de grève, au département, les délégués doivent créer des
comités départementaux ou régionaux interprofessionnels de grève. À l’échelon
national, la fédération des comités de grève et les organisations ouvrières doivent
former un comité central de grève.
« Tout militant participant à un comité
de grève, tout travailleur membre d’un piquet de grève, doit prendre toute
initiative en ce sens. La direction et la décision du mouvement généralisé de
la classe doivent être concentrées dans les comités interprofessionnels de
grève, émanations des comités de grève d’entreprise. C’est l’assemblée des
grévistes dans l’entreprise, l’assemblée de tous les grévistes de toutes les
entreprises dans la localité qui doivent concentrer le pouvoir de décision. »
Ce n'est pas seulement le langage, mais
également le contenu de cette déclaration, qui ont plus en commun avec la
mentalité bureaucratique d'un comptable qu'avec l'esprit combatif d'un
travailleur révolutionnaire. Son but est de dépasser les divisions entre
appareils bureaucratiques hostiles les uns envers les autres, et non de libérer
les travailleurs de l'emprise de tous les appareils bureaucratiques. Là
où Trotsky écrivait que le Comité d'action est « l'unique moyen de briser
la résistance anti-révolutionnaire des appareils des partis et des syndicats »,
l'OCI voyait dans le Comité central de grève, la « plus haute expression
du front unique des syndicats et des partis ouvriers. »
Trotsky considérait les Comités d'action comme
des forums où se déroulent les débats et les luttes politiques : « Les
comités d'action, par rapport aux partis, peuvent être considérés comme des parlements
révolutionnaires : les partis ne sont pas exclus, bien au contraire
puisqu'ils sont supposés nécessaires ; mais en même temps, ils sont
contrôlés dans l'action et les masses apprennent à se libérer de l'influence
des partis pourris. »
Pour l'OCI, le Comité central de grève servait
à établir l'« unité » des travailleurs avec ces partis et syndicats
pourris.
L'OCI s'abstint même de faire le lien entre le
slogan des Comités de grève et un programme de transition. Pour l'OCI, le
Comité de grève était le programme, comme le montre ce paragraphe du
livre de De Masson : « Comme on peut le voir, à travers la question
du comité central de grève, c’est le sort même de la grève générale qui est en
jeu. Cet objectif rassemble, en termes d’organisation — c’est-à-dire au plus
haut niveau politique — tous les aspects d’une organisation conforme aux
besoins du mouvement : celui de la définition des objectifs fondamentaux
de la grève générale et de leurs conséquences politiques, ceux de l’unification
de la grève, ceux de la réalisation du Front unique ouvrier […] » [15]
Ce « en termes d’organisation — c’est-à-dire
au plus haut niveau politique » exprime clairement les conceptions
centristes de l'OCI. Pour les marxistes, les questions politiques les plus
importantes sont les questions de perspective. Pour les centristes, ce sont les
questions organisationnelles. Mais comme l'ont montré la grève générale de
1968 et d'innombrables autres expériences du mouvement ouvrier international,
l'appel à l'unité organisationnelle ne peut répondre aux questions complexes
qui sont liées à la transformation socialiste de la société. Cela nécessite une
perspective politique et une nette démarcation d'avec la bourgeoisie et ses
agences réformistes et centristes.
Les conceptions de l'OCI rappellent fortement
celles de Marceau-Pivert, un centriste notoire que Trotsky visait ouvertement
dans son article sur les Comités d'action. « Les centristes ont beau
bavarder sur "les masses" », écrivait Trotsky, « c'est
toujours sur l'appareil réformiste qu'ils s'orientent. En répétant tels ou tels
mots d'ordre révolutionnaires, Marceau-Pivert continue à les subordonner au
principe abstrait de l'"unité organique", qui se révèle en fait
l'unité avec les patriotes contre les révolutionnaires. Au moment où la
question de vie ou de mort pour les masses révolutionnaires est de briser
la résistance des appareils social-patriotes unis, les centristes de gauche
considèrent l'"unité" de ces appareils comme un bien absolu, situé
au-dessus des intérêts de la lutte révolutionnaire. »
Trotsky concluait son analyse en clarifiant
encore une fois sa conception du Comité d'action : « Ne peut bâtir des
comités d'action que celui qui a compris jusqu'au bout la nécessité de libérer
les masses de la direction des traîtres des social-patriotes.. [...] la
condition de la victoire du prolétariat est la liquidation de la direction
actuelle. Le mot d'ordre de l'"unité" devient, dans ces
conditions, non seulement une bêtise, mais un crime. Aucune unité avec les
agents de l'impérialisme français et de la Société des Nations. À leur
direction perfide, il faut opposer les comités d'action révolutionnaires. On ne
peut construire ces comités qu'en démasquant impitoyablement la politique
antirévolutionnaire de la prétendue "gauche révolutionnaire",
Marceau-Pivert en tête. [italiques dans l'original] »
L'OCI
pendant la grève générale
Bien que les forces de l'OCI aient été
relativement modestes en 1968, elles étaient tout de même plus importantes que
celles des pablistes. L'OCI avait sa propre organisation étudiante, la
fédération des étudiants révolutionnaires (FER) et, contrairement aux
pablistes, l'OCI avait aussi des partisans dans les usines.
La FER n'adhérait pas aux conceptions des
pablistes et de la Nouvelle gauche, qui attribuaient le rôle d'« avant-garde
révolutionnaire » aux étudiants et soutenaient sans réserve leurs
initiatives aventureuses. La FER se battait pour une orientation vers la classe
ouvrière et elle gagna de nombreux membres sur cette base.
Mais cette orientation s'appuyait sur des
bases centristes, elle restait cantonnée à des initiatives organisationnelles.
Elle agissait dans le cadre de politiques de « front unique » de
l'OCI, c'est-à-dire que ses actions consistaient principalement en des appels
aux syndicats pour qu'ils organisent une manifestation de grande ampleur réunissant
les travailleurs et les jeunes, le tout lié au slogan pour un comité central de
grève. La FER n'a pas mené une offensive systématique contre la politique des
staliniens et des sociaux-démocrates et contre les théories de la Nouvelle Gauche,
ce qui aurait été décisif dans les universités, le nid de l'idéologie
bourgeoise.
Dans son livre, de Massot décrit
l'intervention de la FER au rassemblement du 8 mai organisé par les Jeunesses
communistes révolutionnaires (JCR) pablistes à la mutualité à Paris pendant les
batailles de rues du Quartier Latin. Un orateur de la JCR fut applaudi par
l'anarchiste Daniel Cohn-Bendit, puis se prononça contre une clarification de
la ligne politique, déclarant que cela diviserait le mouvement. À la place,
insista-t-il, il fallait trouver des sujets sur lesquels tout le monde serait
d'accord. « En l'absence d'un parti révolutionnaire, les vrais
révolutionnaires, ce sont ceux qui se battent contre la police », déclara
l'orateur de la JCR.
Cette position fut contestée par les
représentants de la FER, qui proposaient de concentrer tous les efforts des étudiants
sur la diffusion des slogans, « pour une manifestation centrale des
travailleurs et des jeunes », « La lutte doit s’élargir encore, se
coordonner, s’organiser à travers la formation de comités de grève, d’un comité
national de grève impulsé par l’UNEF. » (L’UNEF était la principale
organisation étudiante.) Deux jours plus tard, la FER organisait son propre
rassemblement sous le slogan, « 500 000 travailleurs au Quartier
Latin », des dizaines de milliers de tracts portant ce slogan furent diffusés
dans les usines. [16]
Quelques jours plus tard, le 13 mai, les
syndicats étaient forcés d'appeler à une grève générale d'une journée et à des
manifestations conjointes des ouvriers et des étudiants, la participation se
compta en millions. Le mouvement leur échappait. Les jours suivants, la grève générale
s'étendit à tout le pays, avec une vague d'occupations d'usines à laquelle
prirent part des dizaines de milliers de travailleurs, paralysant complètement
la France.
Mais l'OCI et la FER maintinrent à leur
trajectoire syndicaliste. Ils se concentraient entièrement sur la revendication
d'un comité central de grève. Le 13 mai, l'OCI publia un tract (exceptionnellement
en son nom propre) qui fut distribué par milliers dans les usines les jours
suivants.
Ce tract tenait en tout juste vingt lignes de
texte et évitait de faire la moindre déclaration politique. Il consistait en
une collection de clichés creux (« Le combat est engagé » ; « Vive
l’unité » ; « Pour la victoire » ; « En avant »)
Ainsi que des slogans très généraux : « Tous unis, travailleurs et
étudiants, nous pouvons vaincre » ; « À bas de Gaulle » ;
« À bas l’Etat policier. »
Comme si le ton n'était pas assez strident,
l'essentiel du texte avait été écrit en lettres majuscules et en gras. Ses mots
les plus forts étaient : « Travailleurs de chez Renault, Panhard,
S.N.E.C.M.A., travailleurs dans toutes les usines, bureaux, chantiers, c’est
sur nous que repose la victoire. Nous devons débrayer, manifester, élire nos
comités de grèves. »
Il n'y avait aucune tentative d'analyser la
nouvelle situation, de formuler des tâches politiques ou de les expliquer aux
travailleurs. Devant une situation révolutionnaire en développement rapide,
l'OCI n'avait à offrir que des appels généraux à une action commune. Pas un mot
sur le rôle du Parti communiste et de la FGDS [Fédération de la gauche
démocrate et socialiste] de Mitterrand ; aucun avertissement quant au rôle
traître de la bureaucratie syndicale ; pas une syllabe sur la question
d'un gouvernement ouvrier.
Deux semaines plus tard, le 27 mai, les
travailleurs en grève refusaient les accords de Grenelle, négociés entre le
gouvernement, les associations d'employeurs et les syndicats. La question du
pouvoir était posée ouvertement.
De Massot est très clair sur ce sujet. Il
écrit, « Les millions de grévistes, d’un coup, ont bousculé l’appareil d’Etat,
mis bas les plans laborieusement échafaudés entre le gouvernement, le patronat
et les directions du mouvement ouvrier. […] Maintenant, la question du pouvoir
est posée en termes immédiats. […] Pour que les revendications de la grève
générale soient satisfaites, il faut balayer ce gouvernement. » [17]
Pendant ce temps, l'OCI était à la traîne des
événements. Dans un tract qu'elle publia sous le nom de Comité d'alliance
ouvrière et diffusé en grande quantité, il n'était pas fait mention de la
question du gouvernement.
« Ne signez pas ! » répète cinq fois
ce tract, en majuscules et en gras, sur une demi-page. Toute discussion sur la
signature des accords de Grenelle était de toute façon inutile. Après l'accueil
hostile réservé par les travailleurs de Renault au chef de la CGT, Georges
Séguy, le syndicat avait pris peur et avait provisoirement reculé.
Le tract de l'OCI atteignait son apogée avec
cette revendication : « Dirigeants de la C.G.T., de la C.G.T.-F.O.,
de la F.E.N. [les principales fédérations syndicales], vous devez avec l’UNEF
réaliser le front unique de classe contre le gouvernement et l’État. »
Le même jour, le parti réformiste PSU (Parti
socialiste unifié), l'UNEF et le syndicat CFDT organisaient un grand
rassemblement au Stade Charléty à Paris, dont l'objectif était de préparer le
terrain pour un gouvernement bourgeois d'intérim dirigé par Pierre Mendès-France.
Avec le recul, de Massot décrit ce rassemblement comme le « carrefour des ambiguïtés »
qui prépare « une double opération politique ».
« Tout d’abord, » poursuit-il, « il
s’agit de "récupérer" la fraction des combattants de la grève
générale, en particulier la jeunesse, qui échappe au stalinisme. […] De
plus — et en liaison directe avec le premier objectif — il faut préparer le
terrain à une solution gouvernementale bourgeoise de la crise. Mendès-France
[…] est présenté comme l’homme de la situation […] » [18]
Mais là aussi, l'OCI s'adapta, alors qu'elle
avait largement la possibilité de développer son point de vue. Pierre Lambert prit
la parole à Charléty. Il s'adressa aux 50 000 étudiants et ouvriers
présents, pas en tant que dirigeant de l'OCI mais comme syndicaliste, « au
nom de la Chambre syndicale des employés et cadres de la Sécurité sociale "Force
ouvrière" » pour laquelle il travaillait.
Il leur déclara : « c’est maintenant
que s’annonce la bataille décisive, que la grève générale a placé au premier
plan la question du gouvernement, que le gouvernement de Gaulle-Pompidou ne
peut pas satisfaire les revendications des grévistes. » D'après le récit
de De Massot, il semble que Lambert ait échoué soit à les mettre en garde
contre les dangers d'un gouvernement bourgeois d'intérim soit à évoquer la
question d'un gouvernement ouvrier de remplacement. À la place, Lambert se
contenta d'appeler à la mise en place de comités de grève locaux ainsi que d'un
comité central, qu'il présentait comme les moyens de la victoire. [19]
Pendant ce temps dans les rues, résonnait
l'appel à un « gouvernement populaire ». Les revendications des
travailleurs étaient nettement plus avancées que celles de Lambert.
De Massot écrit : « Dans toute la
France, ce 27 mai, des manifestations ont lieu où commencent à se traduire en
termes politiques, par rapport au régime, à l’État, les conséquences du NE
SIGNEZ PAS… Gouvernement populaire ! clament les manifestants exprimant
par là qu’ils veulent un gouvernement qui répond aux objectifs de la grève
générale. De Gaulle démission, À bas de Gaulle est scandé partout par des
dizaines et des dizaines de milliers d’hommes qui affirment clairement que
c’est le régime qui est en jeu. » [20]
L'OCI ne fit aucune tentative de répondre à
cet appel à un « gouvernement populaire » en lui apportant un contenu
politique. Surtout, elle n'expliqua pas qui devrait former un tel « gouvernement
populaire », et ce que devrait être son programme politique. Cela permit
aux staliniens et à la CGT d'avancer le slogan du « gouvernement populaire »
eux-mêmes, alors qu'ils n'envisagèrent jamais de prendre le pouvoir et qu’ils négociaient
en coulisse avec Mitterrand sur leur participation à un gouvernement bourgeois
d'intérim.
Comme nous l'expliquions dans la quatrième
partie de cette série, la revendication d'un gouvernement PCF-CGT aurait eu un
grand effet politique à ce moment-là. Elle aurait gêné les manœuvres politiques
des dirigeants staliniens et intensifié le conflit entre eux et la classe
ouvrière.
Trotsky avait suggéré une tactique de ce genre
dans le « Programme de transition ». S'appuyant sur les expériences
des bolcheviques durant la Révolution russe, il écrivait : « La
revendication des bolcheviks, adressée aux mencheviks et aux
socialistes-révolutionnaires : "Rompez avec la bourgeoisie, prenez dans
vos mains le pouvoir !" avait pour les masses une énorme valeur éducative.
Le refus obstiné des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires de prendre
le pouvoir, qui apparut si tragiquement dans les journées de Juillet, les
perdit définitivement dans l'esprit du peuple et prépara la victoire des
bolcheviks. » [21]
L'OCI n'émit jamais une telle revendication,
et, à la place, elle soutint sans la critiquer la duplicité des staliniens et
la grande manifestation de la CGT le 29 mai, qui se déroula avec le slogan « Pour
un gouvernement populaire. »
L'OCI s'en prit à l'UNEF et à la CFDT parce
qu'elles n'avaient pas participé à la manifestation (en raison du refus de la
CGT de condamner l'expulsion de Daniel Cohn-Bendit de France). Rétrospectivement,
l'OCI déclara qu'une manifestation de tous les syndicats, indépendamment de la
CGT, aurait automatiquement ouvert la voie à un gouvernement ouvrier. « Unitaire,
organisée par toutes les organisations syndicales, elle [la manifestation]
ouvrait la voie d’un gouvernement s’appuyant sur la grève générale, sur les
organisations ouvrières, » écrit de Massot. [22]
Le tract publié par le Comité d'alliance
ouvrière à la manifestation du 29 mai assimilait le Comité de grève central et national
qu'elle appelait de ses voeux à un gouvernement ouvrier : « Voilà le
seul gouvernement, le gouvernement ouvrier qui peut donner satisfaction à
toutes les revendications ouvrières, des étudiants, des travailleurs, des
paysans et des jeunes. » [23]
Est-ce que cela signifiait que l'OCI
considérait le comité de grève comme une sorte de conseil ouvrier, de soviet,
sur lequel un gouvernement ouvrier pouvait s'appuyer ? Les formulations
utilisées dans le tract le laissent entendre. Mais cela reste un cas isolé.
L'OCI n’avait visiblement pas tranché sur cette question.
De plus, les comités de grève et les conseils
ouvriers ne résolvent pas le problème de la direction révolutionnaire. Ils sont
une arène où une lutte politique contre le stalinisme peut se dérouler, mais ne
sont pas des substituts à cette lutte. Le tract de l'OCI ne contenait cependant
aucune critique du PCF ou de la CGT. Ils n'y étaient même pas mentionnés.
Le lendemain de la manifestation de la CGT,
qui avait vu un demi-million de gens descendre dans les rues rien qu'à Paris,
le Président de Gaulle s'était adressé à la nation par radio et avait annoncé
la dissolution du Parlement. Le PCF et la CGT avaient accueilli favorablement
cette annonce de nouvelles élections et promis de garantir leur bonne tenue, ce
qui revenait à un appel à arrêter la grève générale.
L'OCI réagit en demandant à continuer la grève
et en s'adressant aux syndicats, « Tout dépend de notre riposte
immédiate ! Tout dépend de l’appel des centrales syndicales et des partis
ouvriers ! La grève générale vaincra l’État policier. » [24]
Cela resta la ligne politique de l'OCI dans
les jours suivants : Des appels à l'unité, à continuer la lutte et à ne
pas reculer, étaient adressés à ces mêmes syndicats qui étranglaient la grève générale.
Le 12 juin, le ministre de l'Intérieur fit
interdire l'OCI, ainsi qu'une douzaine d'autres organisations, dont
l'organisation de jeunesse de l'OCI.
À suivre
Notes :
14. Cette citation et toutes les autres de
Trotsky, sauf indication contraire, sont extraites de : Léon Trotsky, « Front
populaire et comités d'action » (26 novembre 1935).
15. François de Massot, « La grève
générale (Mai-Juin 1968) », p. 123