Nicolas Sarkozy veut protéger les « entreprises
stratégiques » françaises contre des offres publiques d’achat (OPA)
étrangères. Le président français avait annoncé son projet jeudi à Annecy (Haute-Savoie)
lors d’un discours devant des chefs d’entreprise.
A cette fin, il projette la création d’un
« fonds public d’intervention » de 175 milliards d’euros d’investissements
directs avec lesquels l’Etat pourrait acquérir les parts des entreprises menacées
d’OPA, autrement dit, elles seraient partiellement nationalisées. Par la suite,
ces parts d’entreprises seraient à nouveau remises en vente.
Sarkozy veut avant tout éviter que de riches
fonds chinois ou des pays du Golfe n’exploitent les fortes chutes des cours sur
les bourses européennes en rachetant les principaux groupes. Il a dit que le
fonds public d’intervention pourra « intervenir massivement chaque fois
qu’une entreprise stratégique aura besoin de fonds propres. » Il a précisé
qu’il ne fallait pas permettre l’acquisition de grandes entreprises françaises par
des intérêts étrangers simplement parce que nous avons manqué « d’apporter
une réponse industrielle » à la crise financière.
Le secrétaire d’Etat à l’Emploi, Laurent
Wauquiez, a déclaré qu’EADS, le groupe français d’aérospatiale et d’armement
(qui comprend Airbus), le fabricant de pneus Michelin et le groupe nucléaire
Areva se trouvaient parmi les firmes susceptibles de faire l’objet d’une OPA.
Deux jours plus tôt, devant le Parlement
européen, Sarkozy avait fait une proposition similaire pour un fonds européen, mais
l’Allemagne s’y était fortement opposée. Son initiative pour un fonds
d’investissement français a également été farouchement critiquée par
l’Allemagne.
Le gouvernement allemand a fait savoir qu’il
était « très sceptique » face à la tentative de Sarkozy de
« jouer cavalier seul ». Le ministre allemand de l’Economie, Michael
Glos (Union chrétienne-démocrate, CDU) a dit que les projets de Sarkozy contredisaient
« tous les principes d’une politique économique couronnées de
succès. »
Le secrétaire du groupe parlementaire CDU-CSU
au Bundestag a mis en garde contre le protectionnisme. « L’Europe est un
espace économique qui est résolument contre le protectionnisme, » a-t-il
dit au quotidien FAZ. Il a réclamé que la France « surmonte les
différences traditionnelles dans le domaine de la politique économique et ne
les cultive pas au quotidien. »
Des réactions plus négatives encore contre
l’initiative de Sarkozy ont été exprimées par la presse économique qui y voit
une attaque directe contre le principe de libre marché.
La France n’a pas connu autant de dirigisme
« depuis les premiers temps de l’ère mitterrandienne [président François
Mitterrand], il y a 30 ans », a critiqué Welt Online dans un
article intitulé « Dompter Nicolas Sarkozy ! » « Si chaque
gouvernement essayait de renforcer sa propre économie aux dépens des autres,
soit par une dévaluation monétaire, soit par des restrictions commerciales ou
des interventions à la Sarkozy : le genre de conséquences funestes
qui s’ensuivront ont été révélées suffisamment clairement dans le cours de
l’histoire après 1929. »
Le journal économique Financial Times
Deutschland a affirmé que Sarkozy a « trouvé son sujet et qu’il avance
à présent avec persistance même à l’encontre de la résistance d’importants
partenaires tels l’Allemagne : un revirement fondamental, et
fondamentalement faux, de la politique économique européenne. » Le journal
a instamment pressé le gouvernement allemand de s’opposer à Sarkozy :
« Il ne peut pas y avoir de compromis de la part de l’Allemagne quant à
cette tentative du président de jeter par-dessus bord le modèle économique
européen. »
Le magazine allemand Wirtschaftswoche a
placé la proposition de Sarkozy dans la « tradition du légendaire ministre
des Finances de l’époque de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, dont la théorie
de base, "l’Etat doit tout contrôler et avant tout l’économie et les
finances" a été depuis la prière secrète de presque tous les politiciens
français. » L’Europe devant être protégée contre le capital étranger par le
protectionnisme, et ce, dans une crise financière où le semi-continent Europe
ne peut se permettre de renoncer au moindre investisseur financier.
Le Wirtschaftswoche poursuit :
« L’intention française de fournir en temps de crise des avantages à ses
propres entreprises et banques est tellement évidente que même les Européens
les plus stupides n’iraient pas à l’abattoir parisien de Bruxelles. Les
Britanniques y veilleront déjà en s’opposant de toutes leurs forces aux
sinistres agissements nationalistes des Français. »
Une autre proposition faite par Sarkozy à
Annecy a été refusée par l’Allemagne : la création d’un
« gouvernement économique européen ». Selon Sarkozy, un tel organisme
devrait émerger des « pays du groupe euro au niveau des chefs d’Etat et de
gouvernement ». L’Europe a besoin d’une politique commerciale,
industrielle et économique. Désormais, « la politique jouera un plus grand
rôle parce que l’idéologie de la dictature des marchés et de l’impuissance de
l’Etat est morte avec la crise financière », a déclaré Sarkozy.
Il faut remarquer que la critique allemande
n’était pas dirigée contre le fait que la proposition de Sarkozy signifie que
la moitié des membres de l’UE qui ne font pas partie de l’Eurogroupe seraient
exclus du processus de prises de décisions importantes. D’ailleurs les
décisions importantes concernant la politique financière prises ces dernières
semaines l’avaient été par un cercle restreint d’Etats. Au lieu de cela,
l’initiative de Sarkozy est critiquée pour être une tentative de supprimer
l’indépendance de la Banque centrale européenne, car étant « une tentative
de subordonner la BCE à la primauté de la politique » (Financial Times
Deutschland) et de lui arracher ses « dents d’organisme
indépendant » (Wirtschaftswoche).
Cependant, les propositions de Sarkozy ont
trouvé un soutien dans le camp politique de la « gauche ».
Le dirigeant du groupe des sociaux-démocrates
du Parlement européen, Martin Schulz, a déclaré qu’il n’avait « pas d’objection ».
« S’il est possible de mettre en place une organisation parapluie pour les
banques, alors il devrait aussi être possible d’en faire de même pour les
autres entreprises », a dit Schulz. Il a comparé l’initiative du président
français à la « Stamokap[capitalisme
monopoliste d’Etat], une théorie des Jeunes Socialistes [Parti
social-démocrate, SDP] dans les années 1970 » et fait l’éloge de Sarkozy dont
il a dit qu’il parlait « comme un véritable socialiste européen ».
Sarkozy a répondu à Schulz : « Suis-je devenu socialiste ?
Peut-être. Mais convenez que vous, vous ne parlez pas comme un socialiste
français. »
Le président du Parti La Gauche, Oskar
Lafontaine, a également loué l’initiative de Sarkozy. Dans une interview
accordée au quotidien FAZ, il l’a qualifiée d’un « pas dans la bonne
direction ». Selon Lafontaine, un gouvernement économique européen est
« attendu de longue date ». « C’est tout simplement une question
de logique qu’une politique monétaire européenne soit enfin accompagnée par une
politique financière et économique européenne. »
En réalité, l’initiative de Sarkozy n’a rien
en commun avec une politique de gauche ou socialiste. Son objectif est
l’introduction de mesures protectionnistes afin de sauvegarder les entreprises
françaises les plus puissantes et avec lesquelles Sarkozy entretient des
relations des plus étroites.
De telles mesures nationalistes sont dirigées
contre les intérêts de la classe ouvrière. Elles ne servent qu’à exacerber les
tensions entre pays capitalistes rivaux et montent les travailleurs d’un pays
contre l’autre en ayant pour dernière conséquence la guerre commerciale et la
guerre tout court.
La proposition de Sarkozy montre clairement
qu’il n’est pas un idéologue intégriste de l’économie de libre marché. Mais
ceci ne fait pas nécessairement de lui un socialiste. En qualité de ministre de
l’Economie et des Finances, Sarkozy était déjà intervenu à de nombreuses
reprises pour protéger les entreprises françaises contre des OPA étrangères. En
2004, au grand dam du gouvernement allemand, il avait investi des milliards de
fonds publics pour empêcher le rachat partiel du géant français de l’énergie Alstom
par le groupe allemand Siemens.
Cette forme de nationalisme économique n’est
pas inhabituelle pour les gouvernements conservateurs. Un tel protectionnisme
jouit d’une longue tradition, et pas seulement en France. Même des dirigeants
fascistes, tels Hitler et Mussolini, avaient placé une partie de l’économie
sous contrôle de l’Etat. Ce qui ne changea en rien le caractère réactionnaire
du capitalisme. Au contraire, la concentration des ressources économiques entre
les mains de l’Etat servit à converger l’ensemble de l’énergie nationale vers
la destruction économique et militaire de leurs rivaux.
La réaction positive de Schulz et de
Lafontaine au nationalisme économique de Sarkozy devrait servir
d’avertissement. La social-démocratie et La Gauche sont tout à fait disposées à
rejoindre le camp conservateur dès qu’il s’agira de défendre les « intérêts
nationaux » contre des rivaux capitalistes.
Dans le même temps, la défense du libre-échange
qui a prouvé sa faillite totale par la crise actuelle n’est pas la réponse au
nationalisme économique de Sarkozy. Ce n’est que le revers de la médaille. Une alternative
socialiste authentique est nécessaire.
Ceci implique non seulement le placement sous
contrôle de l’Etat des grandes entreprises et des institutions financières,
mais également leur subordination au contrôle démocratique pour être au service
de la société dans son ensemble. Au lieu de dépenser des milliards à renflouer
les banques, des milliards doivent être investis dans des programmes d’embauche
et de travaux d’utilité publique. Pas le moindre centime ne devrait être payé à
l’oligarchie financière qui a engrangé de vastes sommes d’argent en transactions
spéculatives et qui est responsable de la crise actuelle.
Une telle politique requiert une stratégie
internationale qui unit les travailleurs de tous les pays et de tous les
continents dans une lutte commune contre le capitalisme.