Le patronat américain, tant
dans le privé que le public, a annoncé des dizaines de licenciements de masse
ces derniers jours. L’impact de la récession a commencé à s’étendre
largement au-delà du secteur de l’implosion financière et des industries
en difficulté telle l’automobile pour toucher l’économie en
général.
Les Etats-Unis sont à présent
entrés dans ce qui est, dans l’attente de certains analystes, la pire
récession depuis plus d’un quart de siècle. Les économistes de JPMorgan
Chase ont évalué vendredi que le produit intérieur brut est tombé à un taux
annuel de 0,5 pour cent au troisième trimestre de cette année en prévoyant un
déclin de 4 pour cent au cours des trois prochains mois d’ici décembre.
Ceci signifierait le déclin le plus abrupt depuis la récession de 1981-82.
Le chômage devrait subir une
accélération rapide. « A mon avis il sera de l’ordre de 8 ou 8,5
pour cent d’ici la fin de l’année prochaine », a dit au New
York Times Nigel Gault, économiste en chef de Global Insight.
Les statistiques rassemblées
par le cabinet de conseil en recrutement Challenger, Gray & Christmas,
révèlent que les cinq premiers secteurs responsables de licenciements durant
les neuf premiers mois, donc jusqu’à septembre de cette année sont :
le secteur financier avec 111 200 suppressions d’emploi ; le
secteur des services à l’automobile avec 94 900 licenciements ;
le secteur gouvernemental à but non lucratif, 66 800 licenciements ;
les transports, 62 000 licenciements ; et le commerce de détail avec
une perte de 51 300 emplois.
Dix-sept des vingt-neuf hauts
fourneaux des aciéries américaines ont cessé de fonctionner suite à une baisse
de la demande, ce qui devrait accélérer la baisse de la production qui a connu
un déclin de 4 pour cent durant le mois d’août à septembre.
L’analyste Michelle Applebaum, de Chicago, a dit au Times que ces
chiffres reflétaient « des réductions presque instantanées de production
suite à une baisse de la demande mondiale d’acier vu que les acheteurs
d’acier différaient leurs achats en préférant recourir à leurs propres
stocks par ces temps incertains ».
Les géants américains de
l’automobile ont annoncé presque tous les jours au cours de ces deux
dernières semaines de nouvelles séries de suppressions d’emplois.
Vendredi, Chrysler a révélé que 25 pour cent de ses salariés dans le secteur
administratif seraient licenciés avant la fin de l’année et qu’une
autre restructuration aurait lieu « dans un avenir proche ».
L’annonce qui touche environ 5000 cols blancs, est tombée un jour après
que Chrysler eut révélé ses projets de supprimer 1825 autres emplois. Un
porte-parole de l’entreprise a dit que les suppressions étaient provoquées
par une baisse des ventes au pays et n’étaient pas liées à une éventuelle
fusion avec General Motors (GM), Nissan ou Renault.
Les experts de
l’industrie automobile ont rejeté cette affirmation. « Les gens
qu’ils licencient n’accepteraient certainement pas les différentes
alternatives qu’on leur propose », a dit au Wall Street Journal, Van
Conway, directeur et partenaire de la firme Conway MacKenzie & Dunleavy
sise à Detroit. « Pourquoi les garder, si GM ou Renault ou un autre va reprendre
l’entreprise ? Ils sont en train de réduire leurs capacités,
c’est sûr, et il semble bien qu’ils vont vendre. C’est
évident. »
Les licenciements ne sont
qu’un avant-goût des dizaines de milliers de suppressions d’emplois
qui vont aller de pair avec une fusion finalisée entre les principales
entreprises automobiles.
GM a annoncé la semaine
dernière qu’ils allaient suspendre de nombreuses allocations dont
bénéficient les employés, y compris les contributions pour les produits de
retraite 401(k) des salariés, ils ont aussi dit qu’ils envisageaient de
supprimer fin 2008 et début 2009 un nombre non défini d’emplois de leurs
effectifs salariés et contractuels. Le Journal a rapporté samedi à
l’occasion d’un autre indice du rapide déclin de l’ancien
géant industriel, que Toyota dépasserait probablement en octobre GM comme
premier producteur mondial en termes de ventes. GM avait occupé cette position
pendant plus de 50 ans.
La récession que connaît le
secteur manufacturier va exacerber la crise sociale qui touche déjà de vastes couches
de la classe ouvrière et des classes moyennes. Les Etats tributaires de
l’emploi industriel tels le Michigan et Rhode Island, dont les taux de
chômage officiels sont respectivement de 8,7 et 8,8 pour cent ont été tout
particulièrement touchés.
Les suppressions
d’emplois se sont étendues dans l’ensemble des Etats-Unis, en
touchant tous les secteurs industriels y compris de nombreux employeurs du
secteur des services. La production ayant trait à l’automobile a été
durement touchée : Le Group Diez a annoncé la fermeture de trois usines
d’emboutissage de métaux au Michigan avec suppression de 352 emplois.
DMAX, une joint-venture de GM et d’Isuzu sise à Moraine en Ohio, a
supprimé 300 emplois. B.F. Goodrich a supprimé 500 emplois à son usine de pneus
à Woodburn en Indiana. Thomas-Built a supprimé 205 emplois à son usine
d’autobus de High Point en Caroline du Nord.
D’autres suppressions
d’emplois dans le secteur industriel concernent un total de 1.000 emplois
dans trois usines en Caroline du Nord : Silver Line Building Products à
Durham, UCO Fabrics à Rockingham et IWC Direct à Elm City. Le fournisseur de
solutions et services de communications ADC Telecommunications implanté au
Minnesota a supprimé 190 emplois et Align Technologies en a supprimé 111 à Santa
Clara en Californie.
Le domaine de la santé et des
services publics commence également à être touché. Cambridge Health Alliance
dans l’Etat du Massachussetts a supprimé 650 emplois, Blue Cross Blue
Shield du Michigan 100 et le centre médical de l’Université de Pittsburgh
500. Le comté de Los Angeles a remis des avis de mise à pied à 200 salariés
faute de moyens budgétaires suffisants.
Même les emplois publics en
général sont touchés étant donné que la récession affecte les recettes
d’impôts des Etats. L’un des plus grands employeurs
gouvernementaux, le service postal américain, a informé ses syndicats que 16 000
employés techniques n’étaient pas couverts par la clause de
non-licenciement et pourraient être licenciés.
Le gouvernement Bush n’a
proposé aucun plan de sauvetage aux millions d’Américains ordinaires qui
sont menacés de perdre leur emploi, leur maison et leurs économies. Avec
l’aggravation de la récession, les débats se sont concentrés sur une
extension du renflouement du secteur financier, évalué potentiellement à plus
de 2 billions de dollars, à des couches plus larges du patronat.
Le Wall Street Journal a
rapporté samedi : « Le Trésor américain envisage d’acquérir des
titres de participation dans les sociétés d’assurance, une indication
selon laquelle le projet gouvernemental de sauvetage de 700 milliards de
dollars pourrait se transformer en une tirelire pour les industries en
difficultés… Le Financial Services Roundtable, un groupe commercial sis à
Washington a envoyé vendredi une lettre au Trésor pour demander un
élargissement du plan de soutien gouvernemental d’injection de fonds de
façon à inclure les courtiers négociants, les compagnies d’assurances,
les fabricants automobiles et les firmes sous contrôle étranger. »
Les compagnies
d’assurances sont d’importants acteurs des marchés financiers avec
les 1,3 billion de dollars de dettes d’entreprise figurant à leur bilan.
Le Trésor avait déjà projeté de racheter les « créances douteuses »
de la branche et considère à présent s’il doit injecter plus de fonds
publics dans le secteur en achetant les titres de participation. Les
entreprises automobiles veulent faire partie du programme pour pouvoir accéder
à suffisamment de capital et poursuivre leurs projets de fusion. Le Journal a
fait remarquer que le probable élargissement du plan de soutien « pourrait
exercer une pression » sur le montant de l’argent avancé
initialement en creusant davantage encore le déficit budgétaire du gouvernement
fédéral.
L’absolue priorité de
l’élite dirigeante est d’assurer que l’oligarchie financière
qui est responsable de la crise économique reste intouchée par son impact en
reportant le fardeau de cette catastrophe sur le dos de la classe ouvrière.
Cette stratégie demeurera intacte en cas de victoire démocrate aux prochaines
élections présidentielles.
Le principal conseiller
économique de Barack Obama, Robert Rubin, a accordé une interview révélatrice à
l’émission d’hier « Face the Nation » de la chaîne
CBS. Rubin, qui est actuellement le président de Citigroup, avait été secrétaire
au Trésor dans le gouvernement de Bill Clinton et également un ancien associé
de Goldman Sachs. Il a souligné que des dépenses supplémentaires, dans le cadre
du soi-disant plan de relance budgétaire de la « reprise économique »
des démocrates, seraient « liées à un engagement à une discipline fiscale
à long terme de façon à ce que nous ne courions pas le risque de miner notre
marché obligataire et notre marché monétaire » et « liées à un
engagement à long terme pour rétablir des conditions fiscales saines ».
En d’autres termes, une
limitation substantielle des dépenses publiques pour les programmes sociaux et
l’infrastructure, figure à l’ordre du jour.
La relance budgétaire de 150
milliards de dollars proposée par les démocrates n’est qu’une
goutte d’eau dans l’océan par rapport au plan de renflouement de
Wall Street, sans mentionner les besoins sociaux réels de la population. Mais,
même cette maigre somme sera prise pour cible afin de promouvoir des secteurs
économiques choisis et non pas pour soulager la détresse sociale grandissante.
Le présentateur de CBS, Bob
Schieffer, a demandé Rubin si le plan de relance budgétaire inclurait « un
quelconque programme massif de grands travaux d’utilité publique comme
celui que le président Roosevelt avait appliqué durant la Grande Dépression »,
ou s’il prévoyait que les gens dans le besoin recevraient des chèques de
la part du gouvernement.
Après avoir émis un petit rire
de dérision concernant les programmes de grands travaux d’utilité
publique lancés dans les années 1930, Rubin a répondu : « Bob, je
dirais que ce n’est ni l’une ni l’autre option, telles que
vous les décrivez. » Il a expliqué que l’argent serait dirigé vers
les gouvernements locaux et fédéraux de telle sorte que les programmes
économiques et sociaux existant déjà, et qui sont extrêmement inadéquats,
puissent être maintenus. Il a également dit que des abattements d’impôts
supplémentaires seraient établis.
Un article à la une du New
York Times d’hier et intitulé, « En cas de raz-de-marée
électoral du parti, les démocrates voient les risques et les récompenses »
a précisé qu’il n’y aura pas de changement significatif dans la
politique économique et sociale du pays et ce, même, comme c’est
probable, en cas de victoire présidentielle et de l’éventualité
d’une vaste majorité démocrate au sein des deux chambres du congrès. Une
telle victoire, remarque le Times, comprenant une majorité de 60 membres
au Sénat qui mettrait à mal des manœuvres parlementaires
d’obstruction (filibusters) « pourrait donner une force
extraordinaire aux démocrates pour développer un programme ambitieux de santé,
d’impôts, de droits syndicaux, de l’énergie et de la sécurité
nationale ».
Mais, poursuit l’article
: « Assagis par leurs années d’exil, les démocrates ont dit
qu’ils étaient déterminés à éviter ces pièges [d’un "excès de
confiance en soi"] au cas où les électeurs leur donneraient le contrôle de
la Maison-Blanche et du Congrès… Le caractère de la majorité démocrate,
élargie en partie du fait de l’élection de centristes et même de
conservateurs, tempérerait également le zèle démocrate de poursuivre un
programme excessivement idéologique, ont affirmé les démocrates. »
Au motif fallacieux d’en
appeler aux « centristes » et d’éviter un « programme
idéologique », Obama et ses collègues sont prêts à intensifier le
programme droitier avancé par les gouvernements successifs républicains et
démocrates. Ces développements ont révélé au grand jour les partisans
d’Obama, ceux qui prônent le libéralisme politique et ceux de « gauche »,
qui cherchent à entretenir l’illusion qu’une victoire électorale
démocrate marquerait une quelconque rupture avec le programme réactionnaire de
Bush.