Des dizaines de milliers de travailleurs de 15 pays européens ont défilé à
Paris jeudi dernier contre la privatisation des chemins de fer. La
manifestation, à l’appel de la Fédération européenne des travailleurs des
transports (FET), avait pour but de faire pression sur le président actuel de
l’Union européenne, le président français Nicolas Sarkozy, pour
qu’il fasse marche arrière sur les mesures de privatisation.
Le syndicat britannique RMT (British Rail Maritime and Transport) a affrété
un train Eurostar au départ de Londres pour acheminer les travailleurs à la
manifestation. Il y avait aussi, bien en vue, des drapeaux et des banderoles de
délégations venues d’Allemagne (le syndicat TFB), de Belgique et du
Portugal. Etaient aussi présents les syndicats ORSA, CUB et SdL d’Italie,
le Comité officine de Suisse, le LAB du Pays basque et les syndicats SFF
et CGT d’Espagne.
L’écrasante majorité des 10 000 à 20 000 manifestants faisaient
partie de délégations françaises organisées par la CGT dont les drapeaux et
banderoles dominaient la manifestation. Il y avait de plus petites délégations
de SUD et d’autres syndicats français de cheminots. Le nombre important
de manifestants témoigne de l’inquiétude croissante chez les travailleurs
devant l’envergure des attaques perpétrées contre leurs emploi et
conditions de travail.
Les syndicats des conducteurs de train ont appelé à une grève illimitée à
partir de la semaine prochaine, en opposition aux projets de la SNCF, la
compagnie française des chemins de fer, de déréglementer l’organisation
et les conditions de travail des conducteurs du fret. Cet appel à la grève fait
suite au refus de la SNCF de trouver un accord avec les syndicats lors des
négociations qui se sont tenues le 12 novembre, et ce, malgré la grève
fortement suivie des conducteurs de train du 6 novembre dernier.
La FGAAC (Fédération générale autonome des agents de conduite, syndicat de
conducteurs exclusivement, ne représentant qu’à peine 30 pour cent d’entre
eux) en alliance avec la CFDT (Confédération française démocratique du travail,
proche du Parti socialiste et représentant une petite minorité) ont provisoirement
reporté à vendredi leur grève qui devait commencer mardi 18 à 20h.
La CGT (Confédération générale du travail, proche du Parti communiste, PCF),
SUD (Solidarité-Unité-Démocratie) et la CFE-CGC (petit syndicat des
travailleurs de l’administration), constitués en intersyndicale représentant
plus de 60 pour cent des conducteurs commenceront leur grève reconductible le
dimanche 23 novembre au soir.
Les pilotes d’Air France ont fait une grève de quatre jours débutant
vendredi dernier contre le projet de faire passer l’âge de la retraite de
60 à 65 ans. Jeudi 20, enseignants et étudiants, à l’appel de quasiment
tous les syndicats du personnel et des étudiants, de la maternelle à
l’université, seront en grève contre les suppressions draconiennes de
postes et la réduction des heures d’enseignement. Samedi, les
travailleurs de la Poste vont manifester dans toute la France contre la
privatisation et les fermetures.
Le quotidien conservateur Le Figaro dans un article sur le mouvement
de grève à la SNCF a écrit, « Malgré cette "grève d'avertissement"
[le 6 novembre] il semble que la direction de la SNCF ait décidé de passer en
force. Il est vrai que cette évolution semble indispensable pour que le fret
reste compétitif face aux opérateurs privés. La branche devrait dégager plus de
300 millions d'euros de pertes cette année. »
Le Figaro a fait part d’un rapport publié jeudi et indiquant
que « Les régions et les concurrents de la SNCF sont prêts. Le
3 décembre 2009, le trafic des trains express régionaux (TER),
actuellement chasse gardée de la SNCF, sera ouvert à la concurrence…
Aujourd'hui, les conseils régionaux sont tous liés à la SNCF par des contrats
d'exploitation qui, quand ils arriveront à échéance, pourront ne pas être
renouvelés…Toutes les régions devront avoir ouvert leur marché au plus
tard en 2019 pour se conformer à la directive européenne sur le sujet…
Les voyageurs circuleront à bord de TER exploités par Transdev…, Deutsche
Bahn ou Veolia. »
Transdev est une compagnie lancée en 1990 par la Caisse des dépôts. Elle
fonctionne comme une entreprise privée, rivalisant dans le monde entier pour obtenir
des marchés. Il en est de même de la RATP, la compagnie de transports urbains
parisiens. Elles sont toutes deux rivales de la SNCF. Veolia, fondée en 1853,
comme compagnie d’approvisionnement d’eau à la ville de Lyon, est
aujourd’hui un conglomérat mondial qui opère dans le domaine de
l’approvisionnement en eau, de l’environnement, de l’énergie
et des transports. Ce fut la première entreprise privée à faire rouler des trains
sur le réseau ferré français.
François-Xavier Perrin, PDG de Transdev a dit au Figaro, « Le
transport régional est libéralisé depuis cinq ans en Allemagne. Cela s'est
traduit par une baisse des coûts d'exploitation de 20 pour cent et par
l'arrivée de matériel flambant neuf pour les voyageurs. Les régions françaises
en attendent les mêmes effets, donc une grosse économie pour elles… et le
contribuable. » Les futurs concurrents de la SNCF « fourbissent leurs
armes à l'étranger avant d'attaquer le marché français. Transdev et la RATP ont
ainsi créé une coentreprise, EurailCo, qui ouvre en décembre une ligne entre
Cologne, Coblence et Mayence en Allemagne. De son côté, Veolia exploite plus de
6 000 kilomètres de lignes outre-Rhin. »
La législation française et européenne a pour dessein de briser les
entreprises nationales publiques en différents secteurs qui pourront alors être
transformées en compagnies privées où le montant des salaires, les allocations
et les droits obtenus par des décennies de luttes pourront être supprimés. Les
effets désastreux sur la sécurité provoqués par l’atomisation du service
ont déjà été démontrés de façon tragique par les accidents mortels qui se sont
produits en Grande-Bretagne où des compagnies privées séparées sont
responsables de la maintenance des voies et du fonctionnement des trains.
En 1996, la Commission de l’Union européenne avait décrété le principe
fondamental suivant : « Les chemins de fer doivent être exploités sur
une base commerciale. » En 2001, la commission avait adopté un « paquet
ferroviaire » en trois étapes : la séparation de la gestion des
infrastructures et de la fourniture de services (c’est déjà le cas
en France, où le Réseau ferré français (RFF), entreprise publique, loue ses
voies à la fois à la SNCF et aux compagnies privées), l’ouverture en 2007
du marché du fret à toute l’Union européenne et l’ouverture du
secteur passager en 2010. Les mots d’ordre sont :
« Flexibilité, multi-compétence et mobilité. »
Bannière allemande à la manifestation.
En Allemagne, avec la complicité des principaux syndicats de cheminots, le
service ferroviaire a été divisé en 346 compagnies, dont une trentaine refusent
de payer des salaires nationalement convenus, selon le syndicat Transnet. Un
porte-parole du syndicat allemand des conducteurs de trains, GDL, a dit à la
presse, « La DB [Deutsche Bahn, la plus grande compagnie de chemins de fer
d’Allemagne] a sa propre agence intérim et casse les accords de branche.
Un conducteur en intérim touche ainsi 22 000 euros brut par an contre
31 000 euros pour un employé de la DB.»
Un tract distribué par le syndicat britannique RMT lors de la manifestation
explique que les compagnies publiques telles la SNCF sont déjà fortement
impliquées dans des entreprises privées: « Les plus grandes compagnies de
chemins de fer publiques d’Europe, en France et en Allemagne, sont
engagés dans une lutte acharnée de par l’Europe. Ainsi en Allemagne la
Deutsche Bahn a racheté la plus grande société du fret ferroviaire de
Grande-Bretagne EWS et la SNCF, géant du rail français, vient juste de prendre
20 pour cent de participation à NTV, le premier exploitant privé de trains à
grande vitesse d’Europe qui envisage une ligne entre Rome et
Milan. »
Les syndicats ne proposent aucune perspective pour gagner la lutte à
laquelle sont confrontés les cheminots français et européens. La
stratégie de la FET, consistant à faire pression sur le président Sarkozy pour qu’il
convainque l’Union européenne de restreindre son programme capitaliste en
faveur du marché, a pour but d’empêcher les travailleurs de développer
une perspective politique indépendante pour défendre leurs intérêts.
Au moment où ils partent en guerre contre le gouvernement et l’Union
européenne, les cheminots français devraient garder à l’esprit les leçons
de leurs luttes de ces 12 dernières années et de la traîtrise des syndicats. La
grève de 1995 contre le Plan Juppé (du nom du premier ministre de 1995 à 1997,
Alain Juppé) avait été étouffée par les syndicats, notamment la CGT. La partie
la plus contestée du plan Juppé avait été retirée, mais toutes les autres
mesures étaient restées en place et avaient constitué la base des attaques sur
les retraites des fonctionnaires en 2003.
Dans la lutte pour la défense des régimes spéciaux de retraite des cheminots
et des travailleurs d’EDF et GDF (électricité et gaz de France) en 2007,
la CGT et les autres syndicats, rejoints par SUD-rail à la table ronde de fin
2007, avaient brisé le mouvement de grève et finalement négocié le
démantèlement de leurs régimes spéciaux. La CGT et la CFDT ont encore collaboré
avec le gouvernement et les patrons cette année pour déréglementer la durée
hebdomadaire du travail avec la « Position commune. »
Un tract distribué lors de la manifestation de jeudi par la Ligue communiste
révolutionnaire (LCR) en passe de devenir le NPA (Nouveau Parti
anticapitaliste) ne cherche aucunement à rappeler ces expériences aux
travailleurs. Il se limite à une perspective nationale, appelant non pas à
développer un mouvement unitaire de la classe ouvrière européenne, mais se
contente de déclarer « La manifestation européenne doit servir à donner
confiance pour la préparation d’une contre-offensive contre ce
gouvernement. »
Ce qui est nécessaire c’est un programme de lutte politique unie de la
classe ouvrière européenne et qui soit indépendant de la bureaucratie syndicale
et des partis de « gauche », pour remplacer l’Union européenne
capitaliste par une réorganisation de l’économie européenne sur une base
socialiste.
(Article original anglais paru le 18 novembre 2008)