Alors qu’il ne reste que deux semaines avant l’élection
provinciale du 8 décembre au Québec, les médias ont été obligés d’admettre que les
campagnes des trois principaux partis de la grande entreprise, le Parti
libéral, le Parti québécois et l’Action démocratique du Québec ne suscitaient
que peu d’intérêt populaire et encore moins d’enthousiasme.
Et ce n’est pas parce qu’il manque de graves problèmes
publics nécessitant d’importants débats. L’état lamentable du système de santé
public et la menace que fait peser sur les emplois et les retraites des
Québécois la récession mondiale qui s’annonce ne sont que deux de ceux-là.
Mais les travailleurs croient très peu aux promesses des
politiciens, ayant été témoins, tant au niveau fédéral que provincial, de la
trajectoire droitiste de tous les gouvernements durant le dernier quart de
siècle ou plus.
Selon un important sondage rendu public mercredi dernier,
51 pour cent des Québécois ne sont pas intéressés par la campagne électorale et
moins de la moitié (48 pour cent) sont autant motivés à voter le 8 décembre
prochain que lors de la précédente élection. Beaucoup prévoient que pour la
première fois en plus de 75 ans moins de 70 pour cent de l’électorat iront aux
urnes.
Le premier ministre libéral Jean Charest, qui a hérité à d’un
gouvernement minoritaire après l’élection de mars 2007, a été poussé à
déclencher une élection par la crise financière mondiale. Bien qu’il ait
publiquement défendu que le Québec soit bien positionné pour faire face à la
crise, Charest tente d’obtenir un nouveau mandat maintenant, car il craint que
l’appui pour son gouvernement chute considérablement d’ici le printemps
prochain, en raison de l’augmentation du chômage et du besoin par le
gouvernement de compenser la chute de ses revenus par des coupes dans les
dépenses publiques.
Charest a prévu que la grande entreprise allait se ranger
derrière les libéraux pour que ces derniers obtiennent un gouvernement majoritaire,
car, selon elle, un gouvernement qui n’aurait pas à faire face à l’électorat
avant 2013 serait mieux positionné pour implémenter des mesures impopulaires,
c’est-à-dire rejeter le fardeau de la crise économique sur les travailleurs.
De plus, Charest était pressé de tirer profit de la
faiblesse des partis de l’opposition.
L’Action démocratique du Québec (ADQ), un parti populiste
de droite, avait plus que doublé sa part du vote populaire lors de la dernière
élection provinciale pour devenir ainsi l’opposition officielle. Mais son appui
a depuis ce temps chuté et on prévoit pour cette élection qu’elle ne récoltera qu’environ
15 pour cent du vote, soit moins qu’en 2003.
De nombreux travailleurs qui avaient voté pour l’ADQ lors
de la dernière élection, dans un geste erroné de protestation contre les partis
traditionnels de l’establishment, les libéraux et le Parti québécois, l’ont
maintenant fermement rejeté après en avoir appris davantage sur le programme d’extrême-droite
de l’ADQ. L’ADQ défend les soins de santé et l’éducation privés et est opposé
au programme de garderies publiques de la province.
L’élite québécoise a été plutôt disposée à utiliser l’ADQ pour
diriger drastiquement la politique du Québec vers la droite, entre autres en
encourageant le chef de l’ADQ Mario Dumont dans sa campagne chauvine contre les
immigrés et les minorités religieuses lors de la période qui précéda l’élection
de 2007. Mais durant la dernière année, elle a exprimé clairement qu’elle
voyait l’ADQ comme un parti trop instable et trop enclin à faire au appel au
chauvinisme et au conservatisme social et ainsi potentiellement nuire à
l’imposition du programme socioéconomique de la grande entreprise pour lui
offrir le pouvoir.
Ainsi, le démagogue Dumont s’est retrouvé dans la position
inhabituelle d’avoir à se défendre contre les critiques plutôt limitées, de la
presse, y compris celles envers son assertion stupide selon laquelle le nouveau
cours public sur les religions aurait pour but de détruire « l’héritage
catholique » du Québec.
S’efforçant de raviver sa campagne qui s’essouffle et de
faire taire les critiques émanant de son propre parti, Dumont a prononcé un
important discours la semaine dernière lors duquel il a affirmé prendre
l’entière responsabilité des déboires de l’ADQ.
Le Parti québécois (PQ), qui est pour l’indépendance du
Québec, a alterné avec les libéraux à la tête du Québec pendant les quarante
dernières années. Mais il est dans une crise presque perpétuelle — avec des disputes
intestines sur le leadership, sur l’accent à mettre sur son objectif
indépendantiste et sur la façon de moderniser son supposé programme
social-démocrate — depuis qu’il a perdu le pouvoir en 2003.
Alors que le PQ est loin de concéder officiellement
l’élection à Charest et aux libéraux, c’est un secret de polichinelle que le
leadership du PQ considérerait comme une « victoire » un retour à
l’opposition officielle et la réduction de l’ADQ à un parti croupion.
Les libéraux et
le PQ se blâment mutuellement pour la crise dans le système de santé
Un sondage conduit tôt dans la campagne a montré que
l’inquiétude première des électeurs (31 pour cent des sondés) est
l’« accessibilité et la qualité » du système de santé. La presse
s’est vue par la suite obligée de publier une série de reportages, ou plutôt
des histoires d’horreur, montrant la dégradation du système public de santé.
Le temps moyen d’attente dans le département d’urgence d’un
hôpital du Québec est de 16,6 heures. 32 000 personnes ont attendu pour
une opération pendant plus de six mois et 800 000 Québécois, ou plus du
tiers de la population, n’ont pas de médecin de famille. Le gouvernement doit
imposer du temps supplémentaire aux infirmières en raison d’une pénurie
chronique de main d’œuvre, plaçant ainsi la santé des patients et des
infirmières en danger.
Des situations similaires, bien que moins dramatiques,
concernant une pénurie d’enseignants et des classes beaucoup trop nombreuses,
existent dans le système public d’éducation.
Pendant ce temps, Charest et la chef du PQ, Pauline Marois,
se sont engagés dans un débat cynique à savoir qui est responsable de la crise
du système de santé.
Charest a jeté le blâme sur Marois et les coupes drastiques
dans les dépenses que le gouvernement du PQ de Lucien Bouchard, dans lequel
elle a œuvré comme ministre important, avait implantées, avec l’appui complet
de la bureaucratie syndicale entre 1995 et 1998. Ces coupes incluaient un
programme dans lequel des milliers de professionnels de la santé, y compris des
docteurs, des infirmières et des travailleurs d’hôpitaux, étaient incités à
prendre leur retraite tôt sans être remplacés. Lorsque les infirmières se sont
rebellées contre les résultats dramatiques et l’augmentation dangereuse de leur
charge de travail en 1999, le gouvernement du PQ de Bouchard imposa une sauvage
loi afin de forcer les infirmières à retourner au travail.
« Pauline Marois a laissé derrière elle, dans le
domaine de la santé et des services sociaux, un désastre, une vraie
catastrophe », a déclaré Charest le 12 novembre. « Et 10 ans plus
tard, en 2008, nous vivons encore avec les conséquences de ses
décisions. »
Marois a régulièrement défendu son rôle dans la
« campagne pour le déficit zéro » du gouvernement du PQ. « Si c’était
à refaire », a-t-elle déclaré le 16 novembre « je le ferais
encore ». Au même moment, elle a fait remarquer que les libéraux ont
détenu le pouvoir pendant les cinq dernières années et que la crise dans le
système de santé a persisté, si ce n’est empiré.
La vérité est que Marois autant que Charest, le PQ autant
que les libéraux, sont responsables de la crise dans le système de santé.
Elus en 2003 sur la promesse de « réparer » le
système public de santé, les libéraux ont plutôt mis de l’avant la
privatisation du système. Ils ont encouragé, sous la loi 33, la prolifération
de cliniques de santé privées à but lucratif et le développement de
l’assurance-santé privée pour les riches, créant ainsi de nouveaux leviers pour
que la grande entreprise aille de l’avant avec le démantèlement d’un système public
de santé universel et de qualité.
Le Québec a aussi le plus haut taux (30 pour cent) de
dépenses pour des soins de santé privés et le plus bas niveau de dépense per
capita pour le système de santé public de toutes les provinces.
Lorsqu’il s’est retiré de la politique, Philippe Couillard,
le ministre libéral de la Santé pendant cinq ans depuis avril 2003, fut
rapidement nommé à un poste important d’un fonds d’investissement se
spécialisant dans les soins de santé privés.
La grande
entreprise espère exploiter la crise
Afin de générer de l’enthousiasme pour leurs campagnes
respectives, les partis ont fait promis diverses dépenses dans les services
publics.
Si elles étaient réalisées, leurs promesses ne
représenteraient pas, loin de là, un réinvestissement massif dans les
infrastructures publiques. Elles ont été de plus accompagnées d’engagements
répétés à un budget équilibré de la part des trois partis.
Dans une entrevue avec La Presse, Marois a affirmé
qu’un gouvernement du PQ serait prêt à augmenter les tarifs de services
gouvernementaux, comme possiblement les tarifs d’électricité, et imposer des
coupes dans les dépenses. « Lorsque nos priorités [de dépenses] seront
déterminées », a déclaré la chef du PQ, « il est possible que
certaines autres actions gouvernementales soient, conséquemment, remises en
question. » Il serait, a ajouté Marois, « complètement
irresponsable » de rejeter la possibilité de coupes dans les dépenses
publiques.
Malgré tout, les promesses de dépenses limitées ont été
franchement et largement condamnées par les éditorialistes et les chroniqueurs.
Ecrivant dans le Journal de Montréal, l’ancien ministre péquiste Joseph
Facal a déploré ce qu’il qualifie d’« avalanche de promesses la plus
extravagante dont je me souvienne » et a dénoncé l’électorat pour choisir
invariablement celui « qui promet toujours plus » de préférence à
celui qui « promet de la rigueur » et fait un appel « au
sacrifice ».
L’éditorialiste en chef de La Presse, André Pratte,
a intitulé son éditorial du 13 novembre « La crise ?
Disparue ! » « Chaque parti », s’est plaint Pratte, « multiplie les engagements,
tous plus alléchants les uns que les autres : des milliers de places en
garderie, de nouveaux crédits d'impôt pour tous les goûts, plus de professeurs
dans les écoles, des trains, des tramways... Comment financera-t-on tout ça si
la crise vide les coffres de l'État ?...
« Le monde est au bord du gouffre économique. Nul ne sait
quelle en sera la profondeur. En ces circonstances, les politiciens devraient
faire preuve de prudence et de franchise. Ce n'est malheureusement pas ce que
nous donnent à voir les candidats en campagne. »
Comme en atteste ce commentaire, l’élite québécoise
s’attend à ce que le prochain gouvernement aille de l’avant avec le
démantèlement des services publics, par des coupes, des privatisations et
d’onéreux tarifs utilisateurs.
Bien qu’elle craigne pour ses propres portefeuilles
boursiers, la classe dirigeante, du moins jusqu’à un certain point, accueille
la crise comme une occasion pour vaincre la résistance populaire à de radicaux
changements de droite visant à redistribuer la richesse des travailleurs vers
la grande entreprise et les mieux nantis.
Les syndicats et le
PQ
Durant des décennies la bureaucratie syndicale a agi en
tant que proche allié politique du PQ, tout en développant toutes sortes de
liens corporatistes institutionnalisant le rôle des syndicats comme un
auxiliaire à la grande entreprise, et ce tant sous les gouvernements du PQ que
des libéraux.
La bureaucratie syndicale a réagi à la perte du pouvoir du
PQ en 2003 en tentant de développer des liens encore plus étroits avec lui,
créant ainsi une faction organisée au sein du PQ, les Syndicalistes et
progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre).
Des nombreux syndicats et représentants syndicaux appuient
encore une fois le PQ dans cette élection, soit explicitement, comme pour la
bureaucratie des Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA), ou implicitement
comme dans le cas de la Confédération des syndicats nationaux (CSN).
Les médias ont ainsi exprimé une certaine surprise lorsque
le leadership de la plus grande fédération syndicale, la Fédération des
travailleurs du Québec (FTQ), a annoncé le 9 novembre qu’elle n’allait appuyer
aucun parti dans l’élection du 8 décembre. Pressé par les médias d’offrir une
explication, le président de la FTQ Michel Arsenault a affirmé que la
fédération ouvrière ne tient pas rancune à Pauline Maurois, mais que le PQ
devait en faire plus pour faire avancer les intérêts de la FTQ.
Cela n’est qu’une ruse. Si la haute direction de la FTQ
semble vouloir prendre certaines distances du PQ, (en 2007, un congrès spécial
de plus de 1000 représentants de la FTQ avait voté à majorité de 98 pour cent
un soutien au PQ), c’est qu’elle souhaite se garder des portes ouvertes pour
collaborer étroitement avec Charest et ses libéraux de droite.
En décembre 2003, moins de huit mois après son arrivée au
pouvoir, les libéraux de Charest ont dû faire face à la rapide intensification
d’un mouvement de grèves et des manifestations orienté contre une série de
mesures régressives, y compris une loi facilitant la sous-traitance. Les
syndicats sabotèrent le mouvement d’opposition, soutenant que Charest avait un
mandat pour gouverner. Par la suite, les libéraux, qui avaient auparavant
ignoré la bureaucratie syndicale, tentèrent de se réconcilier avec cette
dernière.
L’élection de Raymond Bachand en tant que libéral dans une
élection partielle en décembre 2005 et sa nomination subséquente au cabinet
libéral sont des éléments de ce processus. Bachand, qui fut jadis conseiller du
premier premier ministre du PQ, René Lévesque, a été de 1997 à 2001 président
du Fonds de solidarité de la FTQ, un fonds d’investissement de plusieurs
milliards dirigé par la bureaucratie de la FTQ. (Il est à noter que le mari de
Pauline Marois, Claude Blanchet, fut aussi à un certain moment président du
Fonds de solidarité.)
Peu importe la composition du prochain gouvernement du
Québec, ce dernier cherchera, avec la complicité des syndicats, à augmenter la
profitabilité de la grande entreprise québécoise aux dépens des emplois, des
salaires et de la position sociale de la classe ouvrière. Pour contrer cette
attaque, les travailleurs du Québec doivent répudier les syndicats
pro-capitalistes et leur alliance réactionnaire avec le parti de la grande
entreprise qu’est le PQ, et joindre leurs forces à celles des travailleurs à
travers l’Amérique du Nord dans une offensive industrielle et politique contre
le système de profit.
(Article original anglais publié le 21 novembre 2008)