Le texte qui suit est la première partie du discours qu’a
prononcé mercredi dernier Bill Van Auken, le candidat vice-présidentiel du PES
aux élections américaines, devant un auditoire de travailleurs et de jeunes à
Montréal au Canada. Le reste du discours sera publié mardi et mercredi.Que peut bien fabriquer à Montréal un candidat à la
vice-présidence des Etats-Unis six jours avant les élections américaines ?
Notre campagne n’a pas pour but principal de gagner des
votes, mais le Parti de l’égalité socialiste veut plutôt défendre les intérêts
indépendants de la classe ouvrière internationale. Et dans cette défense, l’unité
des travailleurs du Canada, des Etats-Unis et du Mexique pour instaurer le
socialisme est fondamentale.
Les élections américaines sont un événement international.
Ce que les Etats-Unis font a un immense impact dans le monde entier. Et en
prenant cet impact en compte, il serait tout à fait approprié que le monde
entier puisse participer à l’élection du président américain.
Malgré sa grande importance, à moins d’une semaine de
l’élection américaine, la lutte entre les républicains et les démocrates, entre
McCain et Obama, a été grandement éclipsée par ce qui est généralement perçu
comme la pire crise économique du capitalisme américain depuis la Grande Dépression
des années 30.
J’irai même plus loin en disant que cette lutte est
maintenant pratiquement hors de propos : les événements tumultueux
survenus dans les marchés financiers mondiaux durant les dernières semaines et
les décisions prises par l’establishment, l’administration Bush et le Congrès
vont avoir beaucoup plus d’influence sur les politiques de la prochaine
administration que tout sentiment exprimé par les électeurs en novembre.
Nous sommes témoins actuellement de la désintégration des
bases du capitalisme américain, qui a été pour la majorité du siècle dernier le
pilier du système capitaliste mondial. Ce qui se développe actuellement est une
crise mondiale chargée d’immenses implications révolutionnaires.
17 ans après le démantèlement de l’Union soviétique, un
événement qui marquait prétendument le triomphe définitif et irréversible du
capitalisme mondial et la supériorité du libre marché, la plus importante
économie du monde se brise en morceaux.
Au cœur de cette crise se trouvent deux contradictions
fondamentales auxquelles est en proie le système capitaliste mondial.
La première est le conflit entre le caractère social de la
production de la richesse et son appropriation privée par capitalistes de la
finance et de l’industrie.
La seconde est le conflit entre l’intégration mondiale de la
production et la division du monde en Etats-nations capitalistes rivaux.
Etant donné la nature de ces contradictions, les gouvernements
capitalistes aux Etats-Unis et internationalement se sont avérés incapables et
peu disposés à entreprendre des mesures sérieuses afin de protéger les masses
de travailleurs des effets de l’éclatement financier.
De plus, les grandes puissances capitalistes n’ont pas été
en mesure de développer un plan coordonné pour faire face à une crise
définitivement mondiale.
L’incertitude et l’anarchie du marché dominent. Personne ne
sait ce qui va arriver la journée suivante et il y a un sentiment prédominant
que des crises bien plus graves et destructrices sont encore à venir.
La semaine dernière sur Wall Street, après une perte
supplémentaire de 300 points pour le Dow Jones vendredi, on a mis en place des
mesures spéciales : advenant une perte de plus de 20 pour cent de la
valeur du marché, les transactions boursières seront interrompues.
En plus, des économistes de JPMorgan Chase ont publié un
rapport la semaine dernière qui affirmait, selon une analyse statistique, que
la crise actuelle sera la pire depuis la Grande Dépression, éclipsant ainsi les
baisses encourues par l’économie au cours des 70 dernières années : « En
ce qui a trait à la perte de biens et à la baisse du revenu réel », disent
ces économistes, « la récession actuelle risque d’être pire que les dix
autres qui l’ont précédée durant la période d’après-guerre. »
La crise de Wall Street se fraye un chemin de plus en plus
brutalement dans la véritable économie. Déjà aux Etats-Unis environ 2000
milliards de dollars d’épargnes de retraite investis dans les marchés boursiers
ont été effacés, forçant ainsi des travailleurs qui pensaient pouvoir prendre
leur retraite à continuer à travailler et en forçant d’autres qui ont déjà pris
leur retraite à considérer un retour au travail.
D’un autre côté, les étudiants ont de plus en plus de
difficultés à obtenir des prêts au moment même où les ressources servant à
payer leurs études ont été décimées, et certains sont obligés de laisser tomber
leurs études.
Pour les diplômés, les perspectives d’emploi sont devenues
considérablement plus sombres. Les prévisions de croissance de l’embauche de l’Association
nationale des universités et des employeurs a diminué de deux tiers pour les
finissants de 2009.
Au même moment, les mises à pied se répandent à travers
l’économie. Merak : 12 pour cent ; Yahoo : 10 pour
cent ; National City Bank : 14 pour cent.
Dans l’industrie automobile, un véritable carnage se
prépare. Chrysler a déjà annoncé la suppression de 5000 postes de cols blancs
en prévision d’une fusion avec General Motors, une entente qui entrainerait la perte
de dizaines de milliers d’autres emplois.
Au même moment, le prix des nouvelles maisons est à son plus
bas depuis 17 ans et le niveau de confiance des consommateurs atteint à chaque
semaine un plancher plus bas.
Il est fort probable que d’ici un an le paysage économique
et social soit profondément transformé, avec un taux de chômage aux Etats-Unis
de 10 à 15 pour cent, des millions de personnes étant jetées dans la pauvreté
et d’immenses luttes sociales éclatant à travers les Etats-Unis et le monde.
Les comparaisons de plus en plus fréquentes, et totalement
justifiées, faites entre la crise actuelle et la Grande Dépression soulèvent
des questions cruciales. Quelles sont les leçons fondamentales de cette période
tumultueuse de l’histoire mondiale ? Comment le capitalisme s’est-il
extirpé de cette dernière grande crise ?
Quiconque ayant une connaissance de base de la crise qui
s’est développée voilà maintenant sept décennies sait que le capitalisme ne s’en
est sorti qu’au prix du massacre de dizaines de millions de personnes, à
travers le fascisme et la guerre mondiale.
Aujourd’hui, à moins qu’une alternative socialiste ne soit
développée, l’humanité fait face à catastrophe encore plus grande et
potentiellement fatale. Voilà ce qui est en jeu alors que l’élection prend de
plus en plus la forme d’un événement secondaire surréel.
Ce caractère surréel ne pouvait pas être exprimé plus
clairement que lors du dernier débat entre Obama et McCain. Bien qu’ils aient
admis que la crise économique est la pire depuis les années 30, les deux
candidats lui ont à peine consacré un dixième des 90 minutes du débat. Il n’y
avait vraiment rien à débattre, car les deux ont voté pour le sauvetage de 850
milliards de dollars de Wall Street et les deux ont donné leur bénédiction
à l’injection de 250 milliards de dollars de cet argent public dans les
coffres privés des grandes banques du pays.
Et qu’en est-il de la question de la guerre ? Après
tout, Obama doit sa victoire dans les primaires démocrates à sa soi-disant
position antiguerre, ayant à maintes reprises ramené sur le tapis le vote en
octobre 2002 de sa principale rivale, Hillary Clinton, qui autorisait
l’invasion américaine de l’Irak.
Le mot « Irak » a été mentionné exactement deux
fois lors du débat, les deux fois par McCain, qui affirmait que sa politique
était différente de celle de George W. Bush. Obama n’a rien dit. Et la question
de l’Afghanistan n’a jamais été soulevée.
Encore une fois, c’est clair, il n’y a aucune différence
fondamentale entre les deux candidats. Peu importe qui sera élu le 4 novembre,
des dizaines de milliers de soldats américains vont continuer l’occupation de
l’Irak tandis qu’on poursuivra et même intensifiera la guerre coloniale en
Afghanistan. Une fois de plus, la majorité du peuple américain qui souhaite la
fin de ces deux guerres ne sera politiquement pas représentée, les deux principaux
partis défendant les politiques qui font consensus au sein de l’élite
dirigeante américaine : soit l’utilisation de la force militaire pour
assoir son hégémonie sur les régions les plus riches en pétrole de la planète.
Loin de promettre la fin de l’éruption du militarisme
américain, il y a tout lieu de croire que l’élection probable d’Obama va
représenter une intensification militaire.
Les remarques faites par Joseph Biden, le colistier
vice-présidentiel d’Obama, devant un public de riches donateurs à Seattle,
Washington, dimanche de la semaine dernière, sont particulièrement instructives
à cet égard.
Il a averti ce groupe aisé qu’il y aurait « une crise
internationale qui testera le courage » d’Obama, pas plus de six mois
après son arrivée à la présidence.
« Nous aurons besoin de votre influence, de votre
influence dans la communauté, pour le soutenir », a ajouté Biden.
« Parce que ce ne sera pas clair au début, ce ne sera pas clair que nous
avons raison. »
Qu’est-ce que cela veut dire ? L’implication la plus probable
est que la prochaine administration va déclencher un nouvel et important acte
d’agression militaire (le bombardement de l’Iran, une offensive au Pakistan ou
une confrontation avec la Russie) qui va choquer le peuple américain, particulièrement
ceux qui pensaient élire un opposant à la guerre. Le but d’un tel acte serait
d’intimider la population au pays, de repousser les critiques de la droite et
d’utiliser les mêmes méthodes employées par l’administration Bush dans sa
soi-disant guerre au terrorisme pour s’arroger de plus grands pouvoirs
présidentiels et attaquer les droits démocratiques fondamentaux.
Pourquoi une prochaine administration Obama aurait-elle
besoin d’intimider le peuple américain ? La réponse se trouve dans la
façon dont l’establishment prévoit couvrir les frais de l’actuelle crise
économique. Sur cette question, les deux partis et Wall Street sont d’accord.
On doit forcer les travailleurs à accepter des baisses drastiques de leurs
conditions de vie pour renflouer les grands investisseurs et les dirigeants des
banques qui sont éminemment responsables du krach actuel.
Obama, le champion du changement, a déjà tacitement reconnu
que ce grand vol du peuple américain, fait avec la collaboration complète de la
direction démocrate au Congrès, rendra les réformes dérisoires qu’il a proposées
plus tôt dans la campagne tout à fait irréalisables. Il a plutôt mutliplié
les engagements à baser son administration sur les coupes budgétaires et
l’austérité fiscale.
Lors du dernier débat, Obama a mis en garde : « Une
fois que nous aurons passé à travers cette crise économique et certaines des
recommandations spécifiques pour nous sortir de là… nous ne serons pas capables
de revenir à nos extravagances. »
« Et nous allons devoir adhérer à une culture et à une
éthique de responsabilité, tout le monde, les entreprises, le gouvernement
fédéral et les individus qui vivent peut-être au-dessus de leurs moyens. »
Le candidat démocrate a répété ce thème lors de sa campagne
électorale : qu’autant à « Wall Street qu’à Main Street », nous
avons « vécu au-dessus de nos moyens » et que cela doit arrêter.
Cet amalgame entre l’« extravagance » de Wall
Street et les travailleurs « vivant au-dessus de leurs moyens » est
révoltant et expose la véritable position de classe d’Obama et du Parti
démocrate.
Si les travailleurs sont contraints de « vivre
au-dessus de leurs moyens », en s’endettant sur leur carte de crédit et
leur hypothèque, c’est parce que leurs salaires réels moyens sont plus bas
aujourd’hui qu’il y a 35 ans.
Par contraste, durant la même période, le 1 pour cent le
plus riche – un million de ménages au haut de l’échelle sociale – a vu sa part
du revenu national grimper de 9 pour cent en 1973 jusqu’à 23 pour cent
aujourd’hui. Pendant la dernière décennie seulement, leur revenu a plus que
doublé, alors que les salaires de la classe ouvrière sont demeurés
fondamentalement stagnants.