L’amiral William Fallon, chef du Central Command
américain, une instance dirigeante de l’armée américaine qui a autorité sur les
guerres en Irak et en Afghanistan, a remis sa démission mardi dernier après
qu’un article publié dans le magazine Esquire du mois d’avril l’eut
dépeint comme un opposant des plans de l’administration Bush pour une guerre
contre l’Iran.
La démission a été annoncée par le secrétaire à la Défense
Robert Gates alors que Fallon devait se rendre en Irak afin de s’entretenir
avec des commandants américains. Ce n’est que le plus récent événement d’une
série d’incidents qui ont dévoilé les profondes divisions au sein de l’armée et
des services du renseignement sur le désir évident de la Maison-Blanche de
trouver un prétexte pour une attaque militaire contre l’Iran.
Ce conflit au Pentagone avait été précédé par la
publication du rapport du Renseignement national (NIE) en décembre dernier dans
lequel les agences américaines du renseignement avaient miné la crédibilité des
allégations de l’administration Bush selon lesquelles l’Iran développait
rapidement des armes nucléaires. Le rapport concluait qu’un tel programme
iranien avait été suspendu en 2003 et n’avait jamais été repris. Plus tôt ce
mois-ci, l’administration a semblé mettre cet élément de côté en débutant une
nouvelle escalade de pressions diplomatiques contre l’Iran et en faisant passer
une troisième résolution de sanctions au Conseil de sécurité de l’ONU.
L’article d’Esquire, écrit par Thomas Barnett, un
ancien professeur au Naval War College, fut rédigé avec la pleine coopération
de Fallon. Il décrivait ce dernier en des termes on ne peut plus flatteurs
comme un officier « brillant » qui à lui seul réussit à freiner les
ardeurs d’une Maison-Blanche téméraire et déterminée à mener une guerre contre
le régime iranien.
L’article avait laissé entendre que Fallon pourrait être
évincé de son haut poste militaire en raison de ses positions. Si cela se
produisait, écrit Barnett, « cela pourrait bien signifier que le président
et le vice-président prévoient agir militairement contre l’Iran avant la fin de
l’année et ne veulent pas d’un commandant dans leurs pattes ».
Le contenu
principal de la conférence de Gates, où il annonça la
démission de Fallon, fut de nier la conclusion que le départ du chef du Central
Command pouvait signifier qu’une attaque américaine contre l’Iran était
imminente. Lorsque des journalistes lui posèrent la question directement, Gates
répondit, « C’est complètement ridicule. »
Gates et Fallon ont tous deux prétendu que l’amiral
n’entretenait pas de différends politiques majeurs avec la Maison-Blanche et
qu’il quittait en raison de l’exagération de ces différends dans l’article d’Esquire.
Fallon a émis une déclaration affirmant que, « Les récents articles qui
laissent entendre qu’il y a une rupture entre mes positions et les objectifs
politiques du président sont devenus un égarement à un moment crucial et
nuisent aux efforts » du Central Command.
Gates a dit qu’il y avait une « mauvaise perception »
des divisions qui existent entre Fallon et la Maison-Blanche par rapport à
l’Iran. « Nous avons tenté de mettre cette mauvaise perception derrière
nous pendant quelques mois et, franchement, ça n’a pas fonctionné »,
a-t-il dit. « Voilà pourquoi je crois qu’il a fait le bon choix. »
Le Lieutenant-général Martin Dempsey, l’adjoint de Fallon, va
diriger le Central Command jusqu’à ce qu’un remplaçant soit sélectionné
et entériné par le Sénat. Les spéculations de la presse et du Pentagone se sont
immédiatement tournées vers le Général David Petraeus, celui qui commande les
opérations en Irak et dont la profonde rivalité qu’il avait avec Fallon était
bien connue. C’était aussi celui qui outrepassait son supérieur nominal pour
communiquer directement avec la Maison-Blanche.
Personne ne peut croire que Fallon, un vétéran de la Marine de
41 ans qui a fait des centaines de missions de combat pendant la guerre du
Vietnam, met fin à sa carrière en raison de la déformation de son point de vue
par les médias. Il fait partie d’une section substantielle du corps de l’armée
qui croit maintenant que l’idée fixe de Bush sur l’Irak va à l’encontre des
intérêts stratégiques de l’impérialisme américain.
Il a apparemment défendu la position selon laquelle la guerre
en Irak est devenue contreproductive du point de vue du maintien de la
domination américaine sur la région où le Central Command est en opération,
de l’Égypte au sous-continent indien, en passant par tout le Moyen-Orient et
l’Asie du Sud, où la majorité des réserves mondiales de pétrole et de gaz
naturel sont concentrées.
Fallon a fait occasionnellement des déclarations critiques de
la politique étrangère de l’administration Bush. L’automne dernier, il a dit au
réseau télévisé Al Jazeera que les déclarations belliqueuses contre l’Iran
faites par des responsables civiles comme le vice-président Cheney ne sont
« pas efficaces ni utiles. » La semaine dernière, en témoignant
devant le Comité de la Chambre des représentants, il a réclamé une « sorte
d’accommodement » avec le PKK, le mouvement nationaliste kurde qui mène
une guérilla au sud-est de la Turquie.
Fallon a apparemment soutenu, dans les mêmes termes que
les candidats à la présidence du Parti démocrate Hillary Clinton et Barack Obama,
un retrait limité des troupes américaines de l’Irak pour les redéployer en
Afghanistan.
Clinton a publié une déclaration décrivant Fallon comme la
« voix de la raison » et réclamé un vote du Congrès avant toute
action militaire contre l’Iran. Le sénateur John Kerry, le candidat
présidentiel démocrate défait en 2004 a dit que « le Congrès doit
déterminer immédiatement si la démission de l’amiral Fallon est un autre exemple
de personne disant la vérité et forcée de se rallier à l’administration Bush.
Son départ ne doit pas ouvrir la voie à une course vers la guerre en
Iran. »
Le départ de Fallon a suscité beaucoup de spéculations à
propos d’une imminente opération militaire des Etats-Unis contre l’Iran. Dans
un commentaire intitulé « Sommes-nous plus près de la
guerre ? », le chroniqueur en ligne du Washington Post, Dan Froomkin,
a écrit : « Il n’est pas impossible que Bush et de Cheney ordonnent
une attaque préventive de grande envergure contre l’Iran. Mais, le scénario le
plus probable est que les Etats-Unis répondront de façon asymétrique à une
provocation de l’Iran (possiblement fabriquée de toutes pièces) ».
Autrement dit, un chroniqueur du principal quotidien de la capitale américaine
prend pour acquis que l’administration Bush est prête à fabriquer un prétexte
pour une agression militaire.
Le site internet U.S. News and World Report, a
publié un commentaire titré, « 6 signes indiquant que les États-Unis se
dirigent peut-être vers une guerre en Iran », mentionnant la démission de
Fallon, le voyage du vice-président Cheney et plusieurs actions menées par
Israël, y compris la frappe aérienne de septembre dernier contre la Syrie.
Il y avait aussi en ligne au moins un rapport sur une
rencontre du conseil de guerre de la Maison-Blanche, celle du samedi le 8 mars,
discutant des « plans pour une frappe quelconque contre l’Iran ce
printemps ».
Les médias ont largement couvert l’intensité des conflits
internes au Pentagone. Le Wall Street Journal faisait une comparaison
entre le départ de Fallon et le congédiement par le président Truman du général
Douglas McArthur durant la guerre de Corée, notant que Fallon entrait
fréquemment en conflit avec le général David Petraeus, le commandant en Irak et
un favori de la Maison-Blanche.
NBC Nightly News rapportait que Gates avait forcé Fallon à
démissionner, sous la pression de la Maison-Blanche, refusant même de prendre
ses appels téléphoniques. Sur CBC News, le correspondant au Pentagone, David
Martin notait, « Quasiment tous les officiers militaires haut placés sont opposés
à une guerre contre l’Iran, mais à partir de maintenant, ils vont être plus prudents
dans leurs confidences. »
Selon un article paru dans l’Esquire, Fallon avait
délibérément décidé de rendre publics ses différends de longue date avec la Maison-Blanche,
soit parce qu’il avait conscience de l’appui considérable dont il jouissait
parmi les militaires, ou qu’il était préoccupé par une agression militaire
qu’il savait imminente et qu’il pensait pouvoir retarder ou bloquer en attirant
l’attention des médias.
Les éditorialistes du Wall Street Journal, vibrants
défenseurs de l’expansion militaire au Moyen-Orient, ont publié un commentaire
présentant l’éjection de Fallon comme faisant partie d’un débat plus large sur
la politique en Irak. « Des représentants haut placés du Pentagone – y
compris selon nos sources le secrétaire à la défense Robert Gates, le chef d'état-major interarmes américain Mike
Mullen, le chef du personnel de l’armée George Casey et l’amiral Fallon – ont
demandé avec empressement des coupures plus profondes dans le nombre des
troupes en Irak », écrivait le journal.
Citant des déclarations contradictoires faites durant les
deux dernières semaines à propos de la date du retrait des dernières troupes à
avoir été envoyées en Irak dans le cadre de l’intensification de l’offensive,
le journal arguait que la meilleure réponse aux craintes que la guerre mette
une pression indue sur l’armée « était d’augmenter le nombre des soldats
et des marines et d’augmenter les dépenses de la défense pour les faire passer des
4,5 pour cent actuels à entre 5 et 6 pour cent du produit intérieur brut. »
Le journal appelait Bush à se ranger du côté de Petraeus et
à s’engager à prendre une attitude plus agressive pour une victoire en Irak. « Ayant
résisté avec succès aux pressions du Congrès démocrate pour un retrait
prématuré des troupes, il serait étrange en effet pour M. Bush de plier à des
pressions identiques venant de sa propre bureaucratie. »