Avec une courte victoire au Texas et une victoire
plus certaine en Ohio, Hillary Clinton a porté un coup à la campagne de Barack Obama.
Il est maintenant assuré que la lutte à l’investiture dans le Parti démocrate
continuera pour deux autres mois au moins, jusqu’aux primaires de Pennsylvanie,
le dernier grand État à voter.
La prolongation de la campagne pour
déterminer le candidat présidentiel du Parti démocrate suggère que la crise
politique au sein de ce parti s’intensifiera et que les désaccords politiques
sous-jacents vont émerger plus clairement et publiquement.
La lutte intestine du parti bénéficiera au
Parti républicain, au moins au court terme, puisque le sénateur John McCain a
gagné la candidature présidentielle républicaine en gagnant les quatre
primaires de mardi. McCain a visité la Maison-Blanche mercredi pour être
officiellement endossé par le président Bush.
Malgré qu’elle ait eu l’avance en termes du
vote populaire, Clinton n’a eu qu’un gain net de 12 délégués
pour la convention, selon les chiffres communiqués mercredi. Obama avait
auparavant une avance de 101 délégués, 1562 pour Obama par rapport à 1461 pour
Clinton, selon un décompte Associated Press. 12 autres délégués n’étaient
toujours pas attribués en raison d’un comptage tardif des voix dans l'Ohio et
du processus alambiqué des caucus et des primaires au Texas. 2025 délégués sont
nécessaires pour obtenir la nomination.
Au Texas, la marge serrée de Clinton, 51 pour cent contre 48
pour cent pour Obama, se traduit après les caucus, où partisans d’Obama sont
majoritaires, par une marge encore plus étroite de 92 contre 91 délégués au
congrès de nomination.
En Ohio, Clinton a obtenu un avantage de 74 contre 65 quant au
nombre des délégués après avoir gagné par une marge de dix points dans le vote
populaire, 54 pour cent à 44 pour cent.
Les deux candidats se sont aussi divisé les deux petits États
de Nouvelle-Angleterre qui ont voté mardi, Clinton prenant Rhode Island et Obama
le Vermont.
On prévoit qu’Obama gagnera la majorité des délégués dans les
deux événements de moindre envergure dans la semaine à venir, les caucus qui ont
lieu samedi dans le Wyoming et les primaires de mardi au Mississippi. [NdT :
Obama a gagné sept nouveaux délégués contre cinq pour Clinton dans les caucus
du Wyoming, obtenant 61 pour cent des voix contre 38 pour cent pour Clinton.]
Ensuite, il y a une pause de six semaines avant le prochain
vote, en Pennsylvanie. Après cela, il reste sept autres États où des primaires doivent
avoir lieu : l’Indiana, la Caroline du Nord, la Virginie-Occidentale, le
Kentucky, l'Oregon, le Montana et le Dakota du Sud, ainsi que les primaires à
Porto Rico, le 7 juin.
La probabilité est faible qu’un candidat aura les 2025
délégués requis pour la nomination au cours de ces derniers événements. L'un
des deux sera en tête, mais au final, la décision sera dans les mains des
délégués automatiques, parfois nommés les superdélégués, essentiellement des
membres élus de l’appareil du Parti démocratique et des membres du Comité
national démocrate. Quelque 350 des 796 superdélégués n'ont pas encore donné publiquement
leur soutien à Clinton ou Obama.
Malgré la pléthore de commentaires de la presse et de la
dissection microscopique de toutes les composantes réelles et imaginaires de
l’électorat, il n'y a eu presque aucune discussion sur la signification
politique de l'impasse prolongée et sur le caractère de la lutte pour la
nomination présidentielle démocratique.
Il n’y a jamais eu de course aussi chaudement disputée depuis
1968, alors que le Parti démocrate était profondément divisé sur la guerre du
Vietnam et ces divisions — qui explosèrent sous la forme de brutalité policière
contre des manifestants anti-guerre à l’extérieur de la Convention nationale
démocrate à Chicago — contribuèrent finalement à la victoire du candidat
républicain Richard Nixon.
En 1968, la nature des divisions sur la politique étrangère
était évidente. Eugene McCarthy d’abord et, par la suite, Robert F. Kennedy
s’étaient présentés contre le président démocrate sortant, Lyndon Johnson, et
avaient appelé à un revirement de la politique américaine au Vietnam.
Face à l’offensive du Têt par le Front de libération nationale
du Vietnam et à la crise causée par le déficit grandissant de la balance américaine
des paiements que provoquaient les dépenses de guerre, Johnson annonça qu’il ne
se représenterait pas. Le vice-président Hubert Humphrey est éventuellement
entré dans la course en tant que porte-étendard de la faction majoritaire
pro-guerre de l’establishment du Parti démocrate. Après l’assassinat de Robert
Kennedy, il a gagné la nomination sans même remporter une seule primaire.
Quarante ans plus tard, la division dans le Parti démocrate
est aussi profonde et pleine de rancoeur, mais les questions derrière cette
division sont, dans une majeure partie, délibérément cachées au public, autant
par les politiciens que par les médias.
Au début de la course à l’investiture, Clinton était donnée
comme la favorite, bénéficiant du soutien de la majorité de l’establishment du
parti qui se range derrière la guerre en Irak, soit par conviction ou soit par
lâcheté politique. Le vote de Clinton pour autoriser la guerre en octobre 2002
a montré qu’elle croyait qu’il était nécessaire de soutenir publiquement la
poussée guerrière de Bush dans le but de demeurer une candidate crédible pour devenir
un jour « commandante en chef ». Le comportement du leadership du
Congrès démocrate en 2007, lorsqu’il rejeta le mandat qu’il avait reçu des voteurs
anti-guerre et refusa de mener des actions contre la guerre, est une autre
démonstration de cette position.
La campagne d’Obama fut mise de l’avant et bien financée par
des sections de l’élite dirigeante américaine qui voit la décision d’envahir et
d’occuper l’Irak comme une erreur désastreuse de la politique étrangère qui a
fait reculer les intérêts stratégiques de l’impérialisme américain et dont le
coût, estimé à 3 billions de dollars par une étude récente, a amené les
finances du pays près de la banqueroute.
Ces éléments ne sont pas pacifistes ni anti-guerres, comme la
rhétorique militariste d’Obama concernant l’Afghanistan, le Pakistan ou
d’autres cibles potentielles d’attaques américaines le montre. Mais, ils
croient qu’il doit y avoir un changement dans la posture publique de la
politique étrangère américaine, un changement d’image qui aurait beaucoup plus
d’impact si un afro-américain entrait à la Maison-Blanche.
Comme le chroniqueur du Washington Post, David Ignatius,
l’a écrit le mois dernier : « Imaginez la scène à la télévision lors
du premier voyage de Barack Obama à l’étranger comme président : les
foules dans les rues à Moscou, au Caire, à Nairobi, à Shanghai, à Paris, à
Islamabad. »
La majorité de l’establishment du Parti démocrate tente de
minimiser la guerre en Irak, autant en raison de leur propre complicité dans
celle-ci et de leurs craintes des conséquences que pourraient avoir le fait de
poser la question ouvertement contre le candidat pro-guerre McCain. Ils
préfèreraient une campagne davantage axée sur les questions intérieures comme
la politique économique et la santé.
Ça fait partie de la nature du système politique américain que
les conflits sur les politiques ne se font pas tant dans un débat
parlementaire, mais sur la plus grande scène que représente une campagne
nationale présidentielle, avec des factions rivales contraintes à aller
chercher l’appui des masses. Cependant, les divergences politiques
sous-jacentes se manifestent largement sous la forme de conflits acerbes de
personnalités et d’ambitions personnelles.
Le débat politique n’est pas mené de façon franche et ouverte,
mais plutôt par le symbolisme politique et les attaques personnelles, comme on
peut le voir dans des publicités qui s’en prennent personnellement à un
adversaire et les campagnes dites négatives.
Parmi les incidents les plus révélateurs dans la course aux
primaires de mardi — et un que la campagne de Clinton a pu exploiter à son
avantage — fut la découverte d’une note révélant qu’un des principaux conseillers
économiques d’Obama avait rencontré des responsables canadiens pour discuter de
la déclaration du candidat selon laquelle il chercherait à renégocier l’Accord
de libre-échange nord-américain. Cette affirmation, assura le conseiller au
gouvernement canadien, était simplement une question de « positionnement
politique » plutôt que de véritable politique.
Même si Clinton a fait beaucoup de bruit avec cette
révélation, sa propre position sur l’ALENA est identique et la même chose
pourrait être dite sur pratiquement tout ce qui est dit pendant la campagne par
les deux candidats, incluant leurs fausses promesses de mettre fin à la guerre.
L’autre tactique électorale employée par Clinton dans la
course aux primaires de mardi était de marchander la peur. Une publicité de la
campagne — montrant un « téléphone rouge » qui sonne et les images
d’un enfant qui dort — fait appel à la peur du terrorisme et présente Clinton
comme étant la mieux préparée pour être « commandante en chef. » La
publicité évoque un des thèmes principaux de la campagne de 2004 de Bush et de
la campagne que le candidat républicain John McCain lancera.
Cette approche vise non seulement à apeurer les électeurs
afin de gagner leur appui, mais également à en appeler au seul groupe d’électeurs
qui peut lui assurer son investiture – les officiels élus du parti qui sont les
super délégués. L’argument de campagne qu’elle leur offre, est que sa position consistant
à mener une campagne plus proche de celle des républicains sur des questions
comme le militarisme et la politique étrangère, et à présenter l’Irak comme une
erreur tactique plutôt que de remettre en question la justification même de la
guerre, correspond mieux aux intérêts stratégiques des États-Unis.
Obama, quant à lui, se refuse à mener une campagne de
« gauche », en raison des craintes que cela puisse éloigner une
section de l’élite dirigeante formant une base électorale décisive pour le
Parti démocrate. Il en résulte un virage à droite, non seulement de Clinton,
mais de toute la campagne démocrate.
Durant les jours qui ont précédé les primaires, Obama a
trouvé le temps d’émettre deux déclarations de politique étrangères : il a
déclaré premièrement qu’il s’opposait à toute discussion des États-Unis avec le
mouvement palestinien du Hamas, qui, à ce moment, essuyait les bombes israéliennes
dans la bande de Gaza; et deuxièmement, il a déclaré son appui au gouvernement
pro-américain de Colombie concernant son agression transfrontalière en
Équateur. L’objectif clair était de se présenter comme un « commandant en
chef » prêt à mener les actions qui seront nécessaires pour défendre les
intérêts de l’impérialisme américain.
Le Parti républicain, l’administration Bush et la campagne
de McCain ont tous repris l’argument de Clinton sur la capacité d’Obama à être
commandant en chef comme munition devant servir leurs propres attaques si Obama
devait être choisi candidat démocrate.
Dans son discours de victoire mardi soir, McCain réitérait
son appui à l’escalade militaire en Irak et rejetait le conflit entre Clinton
et Obama sur la loi autorisant la guerre en 2002. « Cela ne sert à rien
pour les Américains que leurs candidats démocrates cherchent à éviter les
multiples défis complexes de ces luttes en remettant en question des décisions
passées », a-t-il dit. « Les Américains savent que le prochain
président ne pourra pas refaire cette décision. »
Le consultant républicain Scott Reed s’est montré réjoui
lors d’une entrevue avec le magazine Time. « Ce qu’Hillary Clinton
a dit au Texas était de la musique à nos oreilles. Tout ce que nous avons à
faire est de publier sa publicité et d’y apposer à la fin, "payée par le
Comité national républicain". »
Ce qu’espère le côté républicain, c’est une victoire d’Obama
à l’investiture et qu’une section significative de l’establishment du Parti démocrate
suive l’exemple du sénateur Joseph Lieberman (le candidat à la vice-présidence
en 2000) et donne ouvertement ou tacitement son appui à McCain.
De l’autre côté, si Clinton devait réussir à gagner
l’investiture sur la base de l’appui des super délégués, même si Obama gardait
son avance quant au nombre des délégués gagnés lors des primaires, il est
prévisible que le Parti s’aliénerait une section substantielle des jeunes
électeurs qui avaient voté pour Obama.