Le thème principal du voyage maintenant
terminé du vice-président américain au Moyen-Orient était l’obtention du
soutien pour la position menaçante de l’administration Bush contre l’Iran.
Décrivant Téhéran comme le « nuage noir » qui plane au-dessus de la
région, Cheney n’a laissé aucun doute que l’administration Bush n’a pas renoncé
dans sa menace de considérer toutes les options, y compris la militaire.
Dans ses déclarations publiques, Cheney a
répété le mélange de mensonges et de demi-vérités sur le programme nucléaire de
l’Iran et son soutien au « terrorisme » utilisé pour justifier les
sanctions contre Téhéran et menacé ce dernier de frappes militaires. En privé,
particulièrement en Israël, les conversations ont sans l’ombre d’un doute porté
de façon plus précise sur les plans contre l’Iran de l’administration Bush.
Tous les pays visités pendant ce voyage de
neuf jours, l’Irak, l’Afghanistan, l’Arabie saoudite, l’Israël, les Territoires
occupés et la Turquie sont des alliés clés des Etats-Unis dans la région ou
bien joueraient un rôle crucial dans une attaque contre l’Iran. La visite
d’Oman est particulièrement menaçante, puisque non seulement ce pays offre-t-il
un soutien logistique à l’armée américaine dans la région, mais étant situé sur
la rive sud du stratégique détroit d’Hormuz. Ce plan d’eau étroit du golfe
Persique est au centre des préoccupations des planificateurs militaires au
Pentagone dans tout conflit avec l’Iran.
Dans son voyage d’une durée de deux jours
en Israël le week-end dernier, Cheney a rencontré des personnalités politiques
importantes de l’Israël ainsi que des dirigeants palestiniens. Alors que la
visite en Israël avait originalement pour but de renforcer le processus de paix
que les Etats-Unis tentent de redémarrer, aucune initiative n’a été annoncée et
aucun progrès ne fut fait. Plutôt, Cheney a utilisé cette occasion pour accuser
l’Iran et la Syrie de « faire tout ce qui était en leur pouvoir pour torpiller
le processus de paix ».
Cheney a été très clair, toutefois, sur le
fait que l’administration Bush ne fera rien pour restreindre les attaques
provocantes de l’Israël dans la bande de Gaza et la Cisjordanie ainsi que le
reste de la région. Prenant la parole lors d’une conférence de presse aux côtés
du premier ministre Ehoud Olmert, le vice-président a déclaré : « Les
États-Unis sont déterminés et inébranlables sur la question de la sécurité
d’Israël… Les Etats-Unis n'exerceront jamais de pression sur Israël pour
qu'il prenne des décisions menaçant sa sécurité. »
Lors d’une entrevue qu’il a accordée à ABC News lundi
dernier, Cheney a encore une fois pointé la menace que posait l’Iran, déclarant
son inquiétude sur « leur appui à Hezbollah, leurs tentatives, en
utilisant les Syriens, par exemple, pour intervenir dans le processus politique
au Liban. Ils ont appuyé le Hamas avec l’intention, je crois, de tenter de
faire cesser le processus de paix.
« De façon évidente, ils tentent avec énergie de
développer un programme d’enrichissement d’armes nucléaires, d’enrichir
l’uranium au degré nécessaire pour son utilisation militaire. Si on rassemble
tous les morceaux et qu’on prend en compte l’ensemble des activités dans
lesquelles l’Iran est impliqué, cela est très dérangeant pour plusieurs
dirigeants de la région. »
Il n’y a aucune preuve que l’Iran tente de produire de
l’uranium suffisamment enrichi pour être utilisé militairement. Le régime
iranien a nié à plusieurs reprises qu’il cherchait à construire une bombe nucléaire.
Ses usines d’enrichissement continuent à être inspectées par l’Agence
internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui a rapporté que l’uranium n’a
été que faiblement enrichi et au niveau requis par les réacteurs nucléaires
iraniens.
Cheney, naturellement, n’a pas présenté une seule preuve que
l’Iran a un programme secret d’armes nucléaires. Comme le mensonge délibéré que
Bush avait fait la semaine passée en déclarant que le gouvernement iranien
avait « déclaré qu’ils veulent l’arme nucléaire pour détruire des
populations, dont certaines au Moyen-Orient », les remarques de Cheney
avaient pour objectif d’aviver les tensions.
En coulisse, Cheney a clairement discuté de la possibilité
d’une attaque militaire contre l’Iran avec des soldats israéliens. Alors que le
vice-président américain a fait preuve d’une certaine retenue, ces vis-à-vis
israéliens n’avaient pas ces contraintes. Le dirigeant de l’opposition Benjamin
Netanyahu a été le plus cru, déclarant à la presse
israélienne : « Je lui ai parlé de la nécessité de mettre un
terme à la menace iranienne avant que [Téhéran] n’obtienne la bombe
nucléaire. »
Le ministre israélien de la Défense, Ehoud Barak, aurait
prétendument dit à Cheney que l’Israël soutenait les sanctions financières
contre l’Iran, mais « que toutes les options devaient rester sur la
table ». Après sa rencontre avec Cheney, le président israélien Shimon
Peres a critiqué les Etats-Unis et l’Europe pour ignorer le développement de
missiles balistiques par l’Iran. « En développant des missiles avec des
ogives nucléaires, l’Iran n’a que pour seules intentions de détruire l’Israël
et de menacer le monde entier », a dit Peres.
L’Iran était aussi prioritaire dans les discussions avec
l’Arabie saoudite. La monarchie saoudienne est une rivale de longue date du
régime iranien, en compétition avec ce pays pour l’influence dans la région. Au
cours des derniers mois toutefois, la monarchie saoudienne a reçu le président
iranien Mahmoud Ahmadinejad à plusieurs occasions. On trouvera un facteur
expliquant cette approche plus conciliante dans la publication en décembre
dernier du Rapport du renseignement national (NIE en anglais) réalisé par les
agences du renseignement américain qui concluait que l’Iran avait mis fin à son
programme d’armement nucléaire en 2003.
A Oman, Cheney a dans les faits rejeté les conclusions du
NIE, déclarant qu’on ne savait pas si l’Iran avait recommencer ou nom son
programme d’armement nucléaire. Il n’y a aucun doute qu’il a répété un message
semblable en Arabie saoudite dans le but de faire taire toute suggestion
qu’après le NIE, les Etats-Unis réduiraient leur menace militaire contre
l’Iran. Cheney a eu de longues discussions avec le roi Abdullah sur plusieurs
questions, y compris l’Iran et le marché mondial de l’énergie. Washington
cherche à ce que l’Arabie saoudite augmente sa production de pétrole, non
seulement pour faire diminuer les prix mondiaux, mais encore il cherche à
amoindrir l’impact que pourrait avoir une confrontation militaire avec l’Iran
sur les approvisionnements en énergie.
Le dernier pays visité fut la Turquie. Cheney a déclaré une
fois encore qu’il était inquiet du programme nucléaire de l’Iran lors d’une
rencontre avec le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. Il a aussi
rencontré le président turc Abdullah Gul et le chef de l’armée turque Yasar
Buyukanit. Rien n’a filtré sur les discussions que Cheney a eu avec ces
personnes, qui comprenaient une demande des Etats-Unis pour que la Turquie
envoie des troupes en Afghanistan, l’approvisionnement en énergie et
l’incursion militaire turque du mois passé au nord de l’Irak contre le Parti
ouvrier du Kurdistan (PKK), un parti séparatiste.
Washington s’inquiète de ce que son allié de l’OTAN ait
établi des liens économiques et politiques plus étroits avec l’Iran. Les forces
turques et iraniennes ont coopéré au cours de la dernière année dans des
opérations contre les rebelles kurdes au nord de l’Irak. Cheney a réitéré le
soutien des Etats-Unis pour les actions turques contre le PKK, mais attendait
un retour d’ascenseur d’Ankara, sur la question de l’Iran en particulier. A
tout le moins, en augmentant les tensions avec l’Iran, les Etats-Unis forceront
la Turquie et d’autres alliés à y penser deux fois plutôt qu’une avant de
développer leurs relations avec Téhéran.
La nature précise des discussions de Cheney au Moyen-Orient
à propos des plans de guerre de l’administration Bush est inconnue. Mais un
échange plutôt inquiétant a eu lieu lundi lors d’une table ronde entre Cheney
et les membres de la presse à Jérusalem.
Comme dernière question, un journaliste américain a
demandé : « Vous avez dit, lorsque vous étiez au côté du premier
ministre Olmert, que vous ne feriez jamais quelque chose qui menacerait leur
propre sécurité. Et je me demande, s’ils venaient vous voir, vous et le
président et disaient, nous devons frapper l’Iran afin de maintenir notre
propre sécurité, tenteriez-vous de les arrêter ? »
Après que Cheney eut rejeté la question pour être
hypothétique, le journaliste a répondu en demandant : « Vous
l’ont-ils [demander] ? » Encore une fois, Cheney rejette la question comme étant
hypothétique, mais n’a pas carrément nié la suggestion. Tout cet échange était
accompagné d’éclats de rire.
Tous ceux présents étaient bien au fait qu’un tel scénario
est loin d’être hypothétique. Israël a fréquemment averti qu’il ne permettrait
pas à l’Iran de développer sa capacité nucléaire et la question a bien pu être
discutée avec Cheney durant sa visite.