Depuis le 15 avril, près d’un millier de sans-papiers des
industries de nettoyage, du bâtiment, de la distribution, de la sécurité et de
la restauration sont en grève en Ile-de-France (en grande région parisienne) et
occupent le siège social de plus d’une dizaine d’entreprises et
réclament leur régularisation immédiate.
Ces actions sont le signe d’une résistance à une
politique d’immigration plus draconienne et à la polarisation sociale ainsi
qu’une protestation contre l’augmentation extraordinaire des prix
de l’alimentation dans le contexte de réformes gouvernementales
d’austérité réduisant les prestations sociales.
Les grèves reconductibles prolongées et toujours plus
nombreuses et les occupations des lieux de travail par les sans-papiers et qui
se répandent dans toute la France pour exiger la régularisation de leur statut,
alarment la CGT (Confédération générale du travail) qui s’occupe de ce
conflit.
La CGT qui est étroitement liée au Parti communiste français
(PC) a fortement miné le mouvement en abandonnant la revendication clé d’une
régularisation de masse, lui préférant la négociation au cas par cas avec les
préfets. Ce sabotage du mouvement s’est produit au moment où la grève
s’étend à un bon nombre de lieux de travail, est en train de gagner du
terrain et de recueillir le soutien d’organisations d’étudiants, de
travailleurs et d’associations antiracistes.
5,000 sans papiers dans la manifestation du 1er mai à Paris
Depuis le 28 avril, des dizaines de sans-papiers, dont des
enfants, occupent l’église Saint-Paul de Nanterre, près de Paris, et
exigent la régularisation de 62 immigrés.
Avec l’intensification de la grève, une délégation
conduite par la CGT a été reçue le 21 avril par le ministre de
l’immigration Brice Hortefeux, qui avait insisté pour dire que les cinq
préfectures touchées par la grève ne considèreraient les « demandes »
des travailleurs qu’au cas par cas.
« Il appartiendra aux préfets de se prononcer au cas par
cas, » a rappelé le directeur de cabinet du ministre.
« Il n'y aura pas de négociation globale. »
Après cette entrevue, la CGT a annoncé « une sortie de
crise » et accepté la position du gouvernement de régularisation au cas
par cas. La secrétaire nationale de la CGT Francine Blanche a déclaré :
« Nous avons pas mal avancé, on a peut-être devant nous une sortie de
crise. »
Une porte-parole de la CGT a dit à la presse que le directeur
de cabinet « s'est montré attentif à la situation et a visiblement senti
que les choses pouvaient grandir au jour le jour et que de nouvelles occupations
pouvaient avoir lieu. » Elle a rapporté que depuis le début du mouvement,
la CGT avait reçu de nombreux appels de travailleurs souhaitant être
régularisés et qu’elle a « sous la main un gros dossier qui concerne
le site d'Eurodisney », faisant référence au parc d’attractions.
Bruno Gagne, secrétaire de la CGT à Montpellier dans le sud de
la France a dit à Libération le 25 avril « Certains sans-papiers
sont déclarés, mais avec de faux papiers... Nous demandons la régularisation de
tous, sans vouloir donner un coup de massue aux employeurs qui acceptent de
jouer le jeu… On souhaite trouver un compromis pour que tout le monde
sorte gagnant. »
A Lyon, Mohamed Brahmi, délégué CGT en charge de la question,
a fait remarquer que le mouvement parmi ces travailleurs prenait « une
dimension inimaginable. » « Depuis que le mouvement a commencé à
Paris, des dizaines et des dizaines de sans-papiers nous ont contactés, »
a-t-il dit.
« Ils viennent du Mali, du Sénégal, d’Algérie... principalement
dans les secteurs du bâtiment, de l’hôtellerie et du nettoyage… Il
semble que certaines agences d’intérim se spécialisent dans
l’embauche de sans-papiers. Ils ne peuvent pas
l’ignorer. Ils en profitent. »
Abdoulaye, un Malien, travaille dans le bâtiment à Lyon depuis
des années, paie l’impôt sur le revenu, mais n’a jamais reçu d’augmentation
de salaire. Un autre travailleur, Dramane a dit, « Je fais l’enrobé
des routes, mais pourtant sur ma fiche de paye je suis aide-maçon. Du coup, je
gagne 8,5 euros de l’heure au lieu de 11,5 euros. » La plupart des
travailleurs maliens travaillent depuis cinq ans dans le bâtiment, ont été
recrutés par des agences d’intérim et n’ont eu aucune augmentation
de salaire.
Il est nécessaire de faire remarquer que la CGT encourage
depuis longtemps le travail intérimaire, et plus particulièrement avec Manpower.
La CGT a été le premier syndicat à signer un accord avec Manpower en 1969
reconnaissant le travail intérimaire trois ans avant que celui-ci ne soit
légalisé en France. Depuis lors, les vannes se sont ouvertes à des abus massifs
et à la précarité de l’emploi. En 2007, il y avait 700 000
travailleurs intérimaires, soit une augmentation de 4,3 pour cent par rapport à
l’année précédente.
La CGT, à la demande du ministère de l’Immigration, a
déposé plus de 800 demandes de régularisation dans cinq préfectures (Paris,
l’Essonne, les Hauts-de-Seine, la Seine-St-Denis, le Val-de-Marne) pour
un examen au cas par cas.
Enhardi par le compromis de la CGT, le ministre de
l’Immigration Hortefeux a déclaré dans le Figaro du 24 avril, « J’indique
sans ambiguïté qu'il n'y aura aucune opération de régularisation massive.
L'Espagne et l'Italie qui l'ont pratiquée il y a quelques années ont d'ailleurs
officiellement renoncé à cette politique… Il n'y a là ni improvisation,
ni débordement… La loi que j'ai fait voter prévoit d'ailleurs de
permettre à titre exceptionnel de régulariser au cas par cas dans des secteurs connaissants
de graves pénuries de main-d'œuvre. »
L’éditorial du Monde du 24 avril fait remarquer qu’« il
est manifeste qu'au-delà des quelque 600 dossiers de régularisation
actuellement rassemblés par la CGT, ce sont des milliers d'emplois,
probablement des dizaines de milliers, qui sont concernés. Le président de
l'Union des métiers et industries de l'hôtellerie, André Daguin — qui
n'apparaît pas comme un dangereux gauchiste — n’a-t-il pas évoqué
la nécessité de "régulariser 50 000 travailleurs" ? »
Les deux principales associations d’employeurs de
l’hôtellerie-restauration, UMIH et Synhorcat, ont appelé à la
régularisation des sans-papiers parce qu’elles savent combien il est
difficile de trouver des travailleurs dans ce secteur, mal payé et aux
conditions de travail très dures, dans lequel travaillent de nombreux
sans-papiers depuis des décennies.
Depuis que le mouvement a été déclenché, il a gagné le soutien
de certains employeurs qui ont à tout prix besoin de garder ces travailleurs.
D’autres par contre, tel le promoteur immobilier Cogédim, ont cherché
à obtenir une ordonnance du tribunal pour « obstruction au droit au
travail. » Le magasin Casa Nova en Seine-St-Denis a fait appel à
une agence privée de sécurité qui a expulsé manu militari les grévistes et le
patron du magasin parisien Fabbio Lucci a fait appel à la police pour
les déloger.
Les grévistes demandent que leur cas soit entendu par le
ministre du Travail et non le ministre de l’Immigration. « C’est d’abord une histoire de
travailleurs, de droit du travail. Il y a le mot travailleur avant le mot
sans-papiers », a expliqué Jean-Claude Amara de
l’association Droits devant, qui défend les libertés civiles.
Dans une interview télévisée en direct le 24 avril, le
président Nicolas Sarkozy a déclaré qu’une régularisation générale
conduirait à une « catastrophe » et constituerait un appel d'air qui « profiterait
aux trafiquants ».
« On ne devient pas français parce qu'on travaille dans
la cuisine d'un restaurant, aussi sympathique soit-il », a-t-il dit. Il a
suggéré aux patrons d’embaucher des immigrés au chômage en situation
régulière. « Il y a 22 pour cent de chômeurs chez les immigrés
réguliers », a déclaré Sarkozy. « On a besoin d'étrangers, on a
besoin de quotas pour une immigration économique plutôt que familiale. »
Le Parti socialiste (PS) s’est aligné derrière la
politique d’immigration de Sarkozy. Dans un commentaire à la presse,
Ségolène Royal, candidate malheureuse à l’élection présidentielle de
2007, a exclu toute régularisation massive de travailleurs sans-papiers et
s’est opposée à l’appel des patrons de restaurants qui le
demandent.
Les gouvernements socialistes et conservateurs laissent depuis
longtemps les travailleurs immigrés sans-papiers se faire exploiter par la
bourgeoisie française qui ne les paie que la moitié du salaire minimum (le
salaire minimum s’élève à 1 308 euros bruts depuis le 1er
mai.) Ces travailleurs ne peuvent pas réclamer des prestations sociales,
médicales ou pour accident de travail, que ce soit du gouvernement ou de leur
employeur, bien que la majorité d’entre eux perçoivent une fiche de paie,
déclarent leurs impôts et cotisent pour l’assurance maladie, la retraite
et l’assurance-chômage.
Depuis le 1er juillet 2007, les employeurs sont tenus de
vérifier auprès de la préfecture l’authenticité des papiers des
travailleurs étrangers. Le gouvernement français a déchaîné une chasse aux
sans-papiers massive et exigé que toute administration de l’Etat informe
la police de la présence de sans-papiers. Le gouvernement s’est donné
pour objectif de déporter 25 000 immigrés cette année, 23 000 ont été
déportés l’an dernier et bien plus ont été arrêtés dans des rafles
policières massives.
Cette politique a eu pour conséquence que de nombreux
sans-papiers ont trouvé la mort en cherchant à échapper à des contrôles de
police. Malgré le besoin d’immigrés pour l’économie du pays, le gouvernement
français maintient sa position de refus de sans-papiers, insistant sur le fait
que s’il en était autrement cela représenterait un revers pour sa
politique stricte d’immigration. Le gouvernement français est déterminé à
mettre en place le pacte d’immigration commun à toute l’Europe et
qui établit des frontières européennes « sûres ».
Le gouvernement nie que le mouvement actuel soit un mouvement
de masse et a annulé une réunion avec l’association des métiers de
l’hôtellerie-restauration, Synhorcat. « A Paris, il n’y a pas
plus de 400 demandes de régularisation, » a dit le ministre de
l’Immigration. « C'est aux préfectures qu'il appartient d'apprécier,
au cas par cas, les demandes de régularisation en prenant en compte les
tensions existantes dans certains secteurs...Il n'est pas question de pourvoir
les besoins économiques par la régularisation de sans-papiers. La priorité est
de recourir à l'immigration régulière. »
Ces grèves sont les premières en France à concerner la section
la plus opprimée et la plus exploitée de la classe ouvrière française et ont
une signification politique et sociale profonde. Une semaine avant cette grève,
lycéens et enseignants étaient en grève dans de nombreux établissements
scolaires contre les suppressions de postes. Depuis le début de cette année, la
France a vu plusieurs grèves contre les suppressions de postes, contre les
conditions de travail dans la grande distribution et contre les attaques sur
les acquis sociaux. L’année dernière, c’était les grèves des
cheminots pour la défense de leur retraite.
La CGT et d’autres syndicats n’ont apporté leur
soutien à chacune de ces luttes que pour mieux les contrôler et les limiter
localement. Il y a actuellement des entraves à ce que le soutien pour les
sans-papiers, parmi de larges sections de travailleurs, se développe en un
mouvement politique de masse contre le gouvernement Sarkozy et les exigences du
grand patronat français et européen. Les trahisons de la CGT et d’autres
syndicats ont incité le gouvernement à traquer et déporter en masse les
sans-papiers.
La classe ouvrière française doit s’opposer à la
politique d’immigration et aux méthodes d’Etat policier de la
France et de l’Union européenne (UE) utilisées pour traquer les
sans-papiers, dont un nombre non négligeable préfère se donner la mort plutôt
que d’être déporté.
Les travailleurs français doivent s’unir avec les
immigrés qui agissent pour défendre leurs droits démocratiques, leurs emplois
et leur niveau de vie. Un problème social de masse tel l’immigration ne
peut se résoudre au cas par cas, car cette politique crée des divisions et
devient une arme entre les mains des employeurs et de l’Etat.
La solution à un problème social de masse nécessite une
perspective basée sur l’internationalisme socialiste, et qui défende le
droit de tous les travailleurs, qu’ils soient en situation régulière ou
non, de circuler librement et de travailler dans quelque partie du monde
qu’ils souhaitent.