Les portiqueurs et grutiers des ports français ont lancé des
grèves tournantes à partir du 14 avril provoquant le ralentissement du trafic
dans les ports autonomes, les sept plus grands ports de commerce français. Ils
protestent contre des projets de privatisation annoncés le 8 avril par le
ministre des Transports Dominique Bussereau, et qui ont pour objectif
d’augmenter leur profitabilité et leur compétitivité par rapport aux
autres principaux ports européens. Les dockers dont les emplois avaient été
privatisés en 1992 ont participé à la grève en solidarité.
Le projet de loi proposé par le gouvernement ouvre une période
de négociation de six mois entre les syndicats, les agences de l’Etat et
les affréteurs privés comme la CMA-CGM afin de déterminer le contenu précis de
la loi. Confiant que les syndicats finiraient par collaborer avec le
gouvernement, Bussereau a dit sur la chaîne télévisée France 3, « Il y
aura des discussions port par port, métier par métier, on fera du cousu main.
Mais nos organisations syndicales savent bien que nos ports doivent bouger. »
Le Syndicat CGT (Confédération générale du travail), qui est
en position dominante sur les ports, a répondu par des appels à une grève
tournante d’un jour par semaine, commençant le 14 avril. Dès le 18 avril,
il commençait à se former des retards. Quelque 33 cargos et tout le trafic de
pétrole, de minerais et de conteneurs étaient bloqués à Marseille, le plus grand
port français. Le déchargement du trafic de conteneurs avait cessé au Havre et
à Rouen, les ports les plus proches de Paris. Le 20 avril, la CGT a mis fin à
la grève déclarant qu’elle appellerait plutôt à une grève nationale
d’une journée le 23 avril, jour où le projet de loi de privatisation
serait présenté au conseil des ministres.
Après la grève du 23 avril, la CGT a appelé à reprendre le
travail. Les travailleurs ont finalement repris le travail, tandis que 43
cargos (principalement des navires pétroliers et des cargos transportant des
produits chimiques) restaient en rade dans le port de Marseille dont les
terminaux à conteneurs étaient menacés de « blocage total »,
d’après le président du syndicat maritime de Marseille-Fos, Marc
Reverchon. Les grèves se sont poursuivies au Havre et à Nantes-St Nazaire
durant le week-end du 26 et 27 avril, mais le travail semblait avoir largement repris
en début de la semaine.
Après avoir oeuvré pour empêcher ces grèves potentiellement
très puissantes de se développer en un mouvement de masse contre les
privatisations, la CGT a publié une déclaration officielle le 24 avril
critiquant cette réforme pour n’être « pas socialement,
écologiquement, et économiquement responsable ». La déclaration
conclut : « Le transfert des outillages et installations portuaires,
celui de tous les salariés qui assurent le fonctionnement et la maintenance
n'est pas acceptable. Il doit et il peut être revu ! Le Président de la
République lui-même a été prévenu, il peut encore rectifier le tir, retirer du
texte la privatisation des outillages et les transferts de personnels. »
Dans ses efforts pour justifier son sabotage de la grève, la
CGT colporte de manière éhontée les mensonges les plus grossiers.
Souvenons-nous de quelques faits élémentaires : le président Nicolas
Sarkozy est profondément impopulaire. L’effondrement de sa cote de
popularité à moins de 30 pour cent reflète la profonde hostilité populaire à
son programme de destruction des acquis sociaux. L’idée que la CGT
réussirait d’une manière ou d’une autre à convaincre Sarkozy de
mettre un frein au projet de privatisation des ports est tout simplement
ridicule.
Tout d’abord, c’est Sarkozy lui-même qui avait
initié le projet de réforme des ports peu après son élection à la présidence
l’année dernière. Le 27 juin 2007, alors qu’il se trouvait à
l’aéroport parisien de Roissy Charles de Gaulle, Sarkozy avait dit :
« Je vais prononcer un gros mot : le statut des ports autonomes doit
changer. A Marseille, le trafic des marchandises conteneurisées a été divisé
par deux en dix ans. Ce n'est pas une situation que j'accepte. On s'en sortira
par une politique d'investissement et de réforme. » Il avait ajouté, dans
une insinuation codée en direction de l’opposition ouvrière à la
privatisation : « On ne va pas laisser une minorité empêcher une
majorité de travailler. »
Deuxièmement, la CGT a assidûment collaboré avec Sarkozy pour
l’aider à faire passer ses réformes réactionnaires. Le syndicat n’a
aucun intérêt à s’y opposer sérieusement. Le meilleur exemple en est
peut-être l’insistance de la CGT à limiter les grèves des transports
d’octobre 2007 à des grèves d’une journée, puis ses efforts répétés
et finalement victorieux de contraindre les travailleurs à mettre fin aux
grèves de novembre. Comme l’a récemment reconnu Sarkozy, la CGT a
poursuivi cette politique tout en travaillant en étroite coordination avec son
gouvernement.
Sarkozy a écrit le 18 avril dans un éditorial du quotidien de
centre-gauche Le Monde, « Juste après l'élection présidentielle et
avant même de rejoindre l'Elysée, j'ai tenu à recevoir les organisations
syndicales et patronales pour les écouter et recueillir leurs positions sur les
premières actions que je comptais entreprendre. Depuis, je continue à recevoir
très régulièrement chacun de leurs représentants. [...] la réforme des régimes
spéciaux de retraite, [a] pu être menée à bien à l'automne grâce à une intense
période de concertation au niveau national et des négociations dans chacune des
entreprises concernées. »
Un bureaucrate de la direction de la CGT, Jean-Christophe Le Duigou
a répondu à Sarkozy par une interview parue le 18 avril dans le journal
britannique Financial Times et dans laquelle il fait l’éloge de
Sarkozy : « Il comprend que nous devons donner une place au dialogue.
Nous nous trouvons à un tournant dans la situation sociale de notre pays. Tout
le monde pense que les choses doivent changer. »
La bourgeoisie française est tout à fait consciente de
l’orientation de la CGT. En effet, elle en est venue à considérer
qu’une petite grève contrôlée par le syndicat est un prix à payer tout à
fait acceptable pour la destruction des garanties d’emploi et de
prestations des travailleurs. Ainsi quand la CGT a organisé une grève isolée
d’une journée contre la réforme des ports le 23 mars, le magazine
économique Challenges a fait le commentaire suivant, « L'Etat
craint les dockers marseillais, ainsi que les havrais : les deux ports
sont des poudrières très militantes et réactives. Jusqu'ici, la CGT imposait le
silence et la retenue. Elle a montré les muscles aujourd'hui et n'exclut pas de
recommencer. Mais l'Etat a des atouts : une réelle volonté de
concertation, qui apaise les parties en présence. »
La classe ouvrière tolère ces désagréments du fait des sommes
d’argent vraiment massif en jeu.
Les ports autonomes sont des entités juridiques crées par
l’Etat en 1996 pour la gestion des plus grands ports de commerce
français. En 2007, les sept ports autonomes de France métropolitaine,
Marseille, Le Havre, Dunkerque, Nantes-St Nazaire, Rouen, Bordeaux et La
Rochelle, avaient transporté 304,5 mégatonnes (Mt) sur les 384,7 Mt net de
marchandises de tous les ports français. Les trois principaux, Marseille, Le
Havre et Dunkerque, ont importé respectivement 100 Mt, 79 Mt et 57 Mt.
Approximativement la moitié de ce tonnage consiste en produits liquides,
principalement du pétrole et du gaz, et le reste consiste pour la moitié en
produits solides lourds (grains, charbon, minerais) et marchandises.
En terme de trafic, les ports français sont à la traîne des
plus grands ports d’Asie (Shanghai, 443 Mt, Singapour, 423 Mt, Ningbo,
272 Mt, Tianjin, 245 Mt) et d’Europe (Rotterdam, 376 Mt, Anvers, 160 Mt,
Hambourg, 125 Mt.) Plus précisément, il n’y a pas eu suffisamment
d’investissements pour pouvoir décharger rapidement les produits
transportés en containers standardisés. C’est la meilleure méthode pour
transporter à grande échelle les produits de consommation, méthode qui
s’est révélée essentielle à la mondialisation de la production industrielle.
Selon le magazine économique Challenges, « Pour vider un porte-container
de 10 000 boîtes, il faut 3 jours à Shanghai, 4 jours à Hambourg, 5 jours
au Havre, 10 jours à Marseille. »
L’Etat a systématiquement refusé de financer les
améliorations des infrastructures nécessaires aux ports français. En fait, la
privatisation des emplois de dockers en 1992 avait eu lieu dans le but
d’obtenir des financements d’entreprises privées, dans une
situation où le président socialiste François Mitterrand refusait d’investir
dans les ports arguant le manque d’argent.
Du point de vue de la classe dirigeante française, la
privatisation est essentielle pour que les sommes d’argent massives
nécessaires à la modernisation des grues, de l’équipement de déchargement
et des connections ferroviaires rapportent ensuite des bénéfices aux banques et
aux investisseurs. Avec l’augmentation du nombre de produits à
destination de la France qui transitent dans d’autres ports européens,
augmentant ainsi la durée du transport et les coûts, la bourgeoisie considère
toute garantie d’emploi pour les travailleurs portuaires comme une
attaque intolérable sur sa compétitivité à l’échelle mondiale.
L’intégration efficace de la France dans le commerce
mondial conteneurisé est aussi essentielle à la situation de compétitivité de
la bourgeoisie, de façon à ce que les entreprises françaises puissent acheter
des produits bon marché directement sur les marchés mondiaux sans créer de goulets
d’étranglement dans les ports. France Info écrit : « But de
l'opération, selon le gouvernement: renforcer la compétitivité des ports
français. Le ministère des Transports estime que cette réforme et les 445
millions d'euros qui seront consacrés à la modernisation des ports doit
permettre de passer de 3,6 millions de conteneurs traités en 2006 à 10 millions
en 2015. »
Cette intégration, potentiellement progressiste, dans
l’économie mondiale aurait pour conséquence, dans une économie
capitaliste, de désindustrialiser davantage la France, occasionnant la
fermeture de larges secteurs de l’industrie incapables de concurrencer
les produits bon marché en provenance de l’étranger et le début
d’une attaque massive sur le niveau de vie de travailleurs. Il n’y
aurait, de plus, aucune raison d’espérer des garanties de l’Etat pour
la protection de l’emploi des travailleurs portuaires actuels, ce que la
CGT prétend rechercher. Comme l’a fait remarquer le secrétaire de la CGT
de Nantes, Yves Tual, « en 1992, quand le statut des dockers avait été
remis en cause. Au final, il y a eu 4.000 suppressions de postes de dockers. »
Face à la complicité de la CGT avec l’Etat, la lutte
pour protéger la classe ouvrière de la désindustrialisation, de
l’appauvrissement et du programme de réformes de Sarkozy doit devenir une
lutte politique. La classe ouvrière doit se défaire de l’influence de la
bureaucratie de la CGT et de ses alliés politiques du Parti communiste français
stalinien. Cela signifie la renaissance d’une alternative socialiste que
ces organisations ont finalement supprimée : le trotskysme révolutionnaire
et la lutte pour le contrôle démocratique et planifié de l’économie
mondiale.