Les marins-pêcheurs ont poursuivi ce week-end leur grève et blocages des
ports pour protester contre la hausse du prix des carburants, malgré les
tentatives du gouvernement de leur faire reprendre le travail avec des
promesses de subventions temporaires du gazole. Les pêcheurs protestent aussi contre
l’écart entre le prix élevé du poisson dans les supermarchés et le bas
prix qu’ils reçoivent pour leur pêche. Ce mouvement fait partie
d’une vague internationale de protestations dans certains secteurs
économiques, notamment la pêche, le transport routier et l’agriculture,
qui pâtissent sévèrement de la flambée internationale des prix du pétrole, avec
la semaine dernière, le baril au prix de 135 dollars.
Les grèves et blocages ont commencé le 10 mai le long de la côte ouest à La
Rochelle, Saint-Gilles-Croix-de-Vie et les Sables-d’Olonne. La grève
s’est propagée à des ports de la Manche, avec le blocus de Cherbourg,
Caen et Dieppe et la grève de Saint-Malo et Boulogne-sur-Mer, puis la côte
méditerranéenne. Là, les pêcheurs ont bloqué Fos-sur-Mer (port industriel à
proximité de Marseille avec raffinerie de pétrole et dépôt de gaz), Sète (autre
port avec raffinerie de pétrole), Frontignan et Grau d’Agde. Pendant un
temps, les grévistes ont aussi bloqué le terminal transmanche empêchant les
mouvements des ferries vers le Royaume-Uni.
Dans plusieurs ports, les marins et propriétaires de bateaux en grève ont
organisé des comités de grève indépendants des organisations locales de pêcheurs,
qui sont considérées à juste titre comme les instruments politiques du
gouvernement. Yannick Heumery, président du comité officiel de pêcheurs du port
de Paimpol a dit au quotidien conservateur Le Figaro : « Il y
a une crise de confiance de la base vis-à-vis de ses représentants comme du
gouvernement. »
A Cherbourg, les marins-pêcheurs en grève tenaient une banderole sur
laquelle on pouvait lire, « Pêcheurs furieux et méchants ! Criée =
Congre = 0,19 €/kg, vendu 12,90 en poissonnerie! Mais à qui va l'pognon ? »
D’autres dénonçaient le fait d’être payés 3,50 euros le kilo de
morue alors qu’ils le voient vendu à 25 euros dans les supermarchés.
Les pêcheurs ont choisi de bloquer en particulier les ports avec raffineries
de pétrole à Fos ainsi que l’important port de Dunkerque. Bien que les
pêcheurs aient laissé passer certains pétroliers, les réserves commencent à
baisser. Le 20 mai, on faisait état de certaines stations-service presque à
court d’essence à Montpellier et La Rochelle.
Le gouvernement a organisé une série de négociations avec les comités de pêcheurs
dans le but de mettre fin à la grève en accordant quelques concessions temporaires
et des subventions sur le gazole. Le 21 mai, le ministre de la Pêche, Michel
Barnier a proposé un plan de subvention de 110 millions d’euros et le paiement,
sur deux ans au lieu de trois, d’un plan d’aide de 310 millions
d’euros annoncé en janvier dernier pour aider les pêcheurs à moderniser
les chalutiers afin de réduire la consommation de gazoleet leur
accorder des taux d’intérêt plus bas pour les emprunts concernant leur
entreprise. Le prix du carburant passerait de 70 à 40 centimes d’euros le
litre, selon des sources gouvernementales.
Ces mesures risquent cependant d’être bloquées par les représentants
de l’Union européenne (UE) à Bruxelles, qui s’y opposeraient au
motif qu’elles entravent le libre-échange.
Les marins-pêcheurs ont accueilli ces mesures avec suspicion et une franche
opposition. Pascal Guénézan, patron d’un chalutier à La Rochelle a dit au
quotidien de centre gauche Le Monde : « On veut nous faire
reprendre la mer avec de belles paroles. Nous voulons des actes cette fois et
des solutions durables. Notre seuil de rentabilité est à 35 centimes d’euro
le litre de gasoil. Il coûte aujourd'hui 72 centimes d'euro. Là on nous propose
apparemment le gasoil à 40 centimes, mais c'est jusqu'au 31 décembre. Et après ? On refait grève ? » Et Guénézan a
ajouté que ces quinze dernières années, le nombre de bateaux de pêche à La
Rochelle était passé de quarante à dix, et que deux d’entre eux allaient bientôt
cesser le service.
Le Monde continue : « Même les jeunes matelots, en pointe
dans le mouvement de protestation, veulent encore se croire un avenir. "Le
métier se casse la gueule mais c'est notre métier", estime Kevin
Perrinaud, 17 ans. "Je resterai marin jusqu’à ce qu'il n'y ait plus
de bateau." »
Le gouvernement espère acheter la grève en faisant les plus petites
concessions possible et s’oppose farouchement à toute aide durable aux
pêcheurs sur la question du prix des carburants. Barnier lui-même l’a
démontré sans grand tact sur France 2, le 23 mai en réponse à une question sur
la garantie des 40 centimes d’euro le litre : « on n'est plus à
Moscou du temps d'une économie administrée où on fixe le prix du pétrole par
décret. »
Que Barnier le reconnaisse est d’une très grande signification
politique. Les hausses de prix incontrôlées au niveau mondial (pétrole,
nourriture, etc.) aggravent fortement les difficultés des travailleurs et
minent des secteurs entiers de l’économie, ce qui pose la question du
contrôle et de la planification démocratiques de l’économie comme une
question pratique urgente. Des politiciens capitalistes expérimentés comme Barnier
reconnaissent que cette tendance conduit au socialisme et cherchent à faire
reprendre le travail aux grévistes avant que de telles demandes ne commencent à
se développer politiquement.
Tout laisse cependant à penser que les protestations vont se poursuivre. Malgré
la reprise du travail par les pêcheurs des Sables-d’Olonne ce week-end,
clamée par la presse bourgeoise comme le signe que la lutte était « en
voie d'apaisement » tel que l’écrit La Tribune, la grève plus
large des pêcheurs se poursuit en France et se propage en Europe.
Des grèves et des protestations de pêcheurs sont prévues en Espagne et au
Portugal le 30 mai, avec une manifestation à Madrid. Des centaines de pêcheurs
belges ont manifesté à Zeebrugge le 23 mai, exigeant la baisse du prix des
carburants et ont distribué une tonne de poisson frais à la population, selon
la police locale.
Les chauffeurs de poids lourd ont organisé d’importantes opérations
escargot sur les principaux axes routiers pour protester contre la hausse des
prix du pétrole, tandis que plus de 400 entreprises de transporteurs routiers ont
cessé de travailler du fait de la hausse du prix des carburants. D’autres
opérations escargot et probablement des blocages de route sont prévus en
Belgique ainsi qu’en France, en Bourgogne, dans la région Rhône-Alpes, en
Auvergne et en Normandie.
Ce mouvement représente un risque politique sérieux pour le gouvernement du
président Nicolas Sarkozy, à présent très impopulaire et politiquement affaibli
par les vagues de grèves et de manifestations d’octobre et novembre 2007,
et la diminution du pouvoir d’achat des travailleurs malgré ses promesses
de campagnes. Durant le mois de mai, Sarkozy a été confronté à deux grèves et
manifestations nationales, le 15 mai contre les suppressions de postes dans
l’Education nationale et le 22 mai contre la réduction des retraites, qui
ont toutes deux rassemblé des centaines de milliers de manifestants ; son
projet de réforme des principaux ports de commerce français a provoqué une
grève des travailleurs portuaires qui a duré deux semaines en avril dernier.
Le Monde a exprimé les inquiétudes de la bourgeoisie de voir la grève
des marins-pêcheurs devenir le point de ralliement auquel se joindraient de
plus larges couches de la population en lutte contre le gouvernement. Il
écrit : « Le risque dès lors existe que toutes les autres victimes de
la hausse du prix du gazole – l'agriculteur, le chauffeur routier et
d'une façon plus générale l'automobiliste – se disent qu'après tout,
elles aussi font partie de "la France qui souffre". A charge pour
l'Etat de soulager leur douleur. Les routiers sont déjà montés au créneau. A
qui le tour ? »