Lors d'une conférence de presse mardi, le
président américain George Bush a rendu parfaitement claire la menace contre
l'Iran, contenue dans le communiqué de la CIA, la semaine dernière, sur un prétendu
réacteur nucléaire syrien. Tout en lançant un avertissement à la Syrie, et à la
Corée du Nord qui selon le rapport aurait aidé à la construction du bâtiment,
il a déclaré que les États-Unis « lançaient un message à l'Iran, et en
fait au monde entier, concernant la déstabilisation que causerait une
prolifération nucléaire au Moyen-Orient. »
Alors que Bush n'a pas expliqué en quoi
consistait le « message », le contexte le rend parfaitement clair. En
septembre dernier, des chasseurs israéliens avaient démoli ce bâtiment lors
d'une agression délibérée, sans qu’il y ait eu provocation, qui aurait pu
déclencher une guerre plus importante. L'administration des États-Unis, qui à
n’en pas douter avait donné le feu vert à l'attaque, a fait état la
semaine dernière d'informations non corroborées impliquant que ce bâtiment
abritait un réacteur inachevé et que la Syrie essayait de construire une arme
nucléaire. La menace implicite contre Téhéran est la suivante : les
États-Unis et Israël sont également prêts à détruire des installations
iraniennes.
Aucune des informations américaines et
israéliennes rendues publiques la semaine dernière n'implique Téhéran dans le
projet de réacteur nucléaire attribué à la Syrie. Alors, pourquoi réserver un
commentaire spécifique à l'Iran ? En ce qui concerne la prolifération
nucléaire, Israël est le seul pays de la région qui ait un stock d'armes
nucléaires, et les alliés des États-Unis dans la région — l'Arabie Saoudite,
l'Égypte et la Turquie — ont tous annoncé des projets de réacteur nucléaire.
En nommant l'Iran, Bush a non seulement souligné l'hypocrisie de sa position, mais
il a aussi confirmé que Téhéran figurait en tête de liste des cibles
américaines.
Le « message » envoyé à l'Iran est
arrivé le jour même où un second porte-avions américain, l'USS Abraham Lincoln,
arrivait dans le golfe Persique, accompagné d'une flottille comprenant deux destroyerslance-missiles, l'USS Momsen et l'USS Shoup. L'USS Harry Truman a quitté le
Golfe, mais il reste dans la zone couverte par l'US Central Command
[Commandement interarmées de combat] qui englobe le Moyen-Orient et l'Asie centrale.
Le secrétaire à la défense, Robert Gates, a
minimisé le déploiement en disant qu'il était prévu depuis longtemps. « Je
ne pense pas que nous aurons deux porte-avions là-bas pendant une longue
période. Donc, je ne le considère pas comme une escalade », a-t-il dit, mais il
a ajouté d'un ton plein de sous-entendus que cela pouvait être vu comme un « rappel »
adressé à l'Iran. Vendredi dernier encore, le président du Comité des chefs
d'états-majors interarmées, l'amiral Michael Mullen, a qualifié Téhéran d’« influence
de plus en plus mortelle et pernicieuse » en Irak et a insisté sur le fait
que « ce serait une erreur [pour l'Iran] de penser que nous sommes à court
de capacités de combat ».
Le potentiel des États-Unis à créer une
provocation maritime dans le golfe Persique a été mis en lumière en janvier
lorsque l'administration Bush a délibérément exagéré une rencontre entre des
navires de guerre américains et des hors-bord iraniens. En s'appuyant sur un
compte-rendu américain très douteux de l'incident, le président Bush a accusé
l'Iran d'un « acte de provocation » et l'a averti des « conséquences
dangereuses » si des navires de guerre américains étaient attaqués.
Vendredi dernier, une équipe de la sécurité
maritime américaine à bord d'un navire de transport — le Westward
Venture, engagé par les États-Unis — a effectué des tirs d'avertissement
sur deux bateaux non identifiés qui approchaient du navire. Les bateaux ont
quitté la zone après ce que la marine américaine a décrit comme « quelques
rafales » de mitrailleuses. Plus tôt ce mois-ci, l'armée américaine avait
affirmé que trois petits bateaux iraniens avaient approché l'USS Typhoon « d'une
manière menaçante », l'un d'eux jusqu'à moins de 200 mètres, avant d'être
rappelés. Les autorités iraniennes ont rejeté les allégations américaines.
Les remarques de Mullen sur « l'influence
mortelle et pernicieuse » de Téhéran en Irak constituent une autre
allégation américaine sans fondement, régulièrement recyclée comme prétexte
possible pour une attaque contre l'Iran. Alors que Washington accuse l'Iran d'armer
et d’entraîner de prétendus groupes spéciaux pour qu'ils attaquent les
troupes américaines et irakiennes en Irak, les seules preuves rendues publiques
à ce jour consistent en un étalage d'armes de facture iranienne, prétendument
fournies par la force Al-Quds des Gardiens de la révolution iraniens (GRI).
Plusieurs journaux américains ont déjà
rapporté que le commandant américain en chef en Irak, le général David
Petraeus, a ordonné la constitution d'un nouveau « dossier » sur les
interférences iraniennes en Irak. Cependant, d'après ce qui est décrit, les
nouvelles preuves ne seront pas plus concluantes que les anciennes, un étalage
d'armes de facture iranienne récente qui prouvent difficilement l'implication
du régime iranien dans une région inondée par les marchés d'armes illégales.
Il a été annoncé la semaine dernière que le
général Petraeus remplacera l'amiral William Fallon en tant que chef de l'US
Central Command. Fallon avait démissionné le mois dernier après avoir fait
montre de son opposition à peine voilée aux menaces d'action militaire répétées
de l'administration Bush contre l'Iran. Petraeus, qui a joué un rôle essentiel
dans la stratégie américaine des « renforts » (surge) en Irak,
a mis en évidence son attitude belliciste lorsqu'il a admis pendant un
témoignage devant le congrès au début du mois que l'Iran était « responsable
de la mort de centaines de soldats américains ».
Vendredi dernier, Asia Times a rapporté
que Petraeus tenait en fait le rôle de chef du Central Command depuis des mois.
Il s'est rendu dans cinq pays du Moyen-Orient depuis septembre dernier, —
la Jordanie, le Koweït, Bahreïn, la Turquie et les Émirats arabes unis —
une tâche qui aurait normalement dû être accomplie par Fallon.
Un
concert de menaces
Les Etats-Unis émettent un concert croissant
d'accusations et de menaces contre l'Iran à tout propos, depuis ses « ingérences »
en Irak et son hypothétique programme d'armes nucléaires jusqu'aux liens de
Téhéran avec des groupes comme l'organisation chiite libanaise du Hezbollah et
le groupe palestinien Hamas, qui sont considérés par Washington comme des « terroristes. »
Tout le monde dans l'administration Bush et au Pentagone semble chanter le même
refrain.
Dimanche, en Irak, le porte-parole de l'armée
américaine, le contre-amiral Patrick Driscoll a accusé à nouveau l'Iran d'armer
et d'entraîner des groupes qui tiraient des roquettes depuis les lotissements
de Sadr City à Bagdad. Sans avancer l'ombre d'une preuve, il a déclaré : « Les
Iraniens continuent à entraîner les Irakiens et à financer leurs réseaux et
cela va continuer à se développer avec le temps... Donc, avec le temps, s'ils poursuivent
cette activité cela va créer une plus grande influence et cela va mener à plus
d'interférences dans les affaires internes de l'Irak. »
Lundi, le directeur de la CIA, Michael Hayden,
a évoqué le spectre d'une Syrie disposant de l'arme nucléaire pour justifier le
raid israélien de septembre dernier. Aucune preuve concluante n'a été rendue
publique qui démontrerait que le bâtiment détruit était un réacteur, ou qu'il
était près d'être achevé. La CIA n'a pas expliqué où Damas irait se fournir en
combustible nucléaire, ni n'a fourni de preuves de ce que la Syrie voulait
construire une bombe. Pourtant, selon Hayden, « au terme d'une année de
fonctionnement [après qu'ils aient alimenté le réacteur en combustible] ils
auraient produit assez de plutonium pour une ou deux armes ». La remarque
ne visait pas tant la Syrie que l'Iran, qui a refusé de se plier aux exigences
américaines de fermer ses installations d'enrichissements d'uranium et de
mettre fin à la construction d'un réacteur de recherche.
Le même jour, dans un rapport au Conseil de
sécurité de l'ONU, l'ambassadeur américain Zalmay Khalilzad a demandé à nouveau
que « l'Iran et la Syrie… arrêtent l'afflux d'armes et de
combattants étrangers en Irak, et leur influence pernicieuse en Irak ». Il
a répété les allégations selon lesquelles la force Al-Quds persistait « à
armer, entraîner et financer des groupes armés illégaux en Irak »,
déclarant : « cette aide mortelle fait peser une menace sérieuse sur les
forces irakiennes et multinationales et sur la stabilité et la souveraineté de
l'Irak ».
Mardi, dans des remarques adressées au Comité
juif américain, la secrétaire d'État américaine Condoleezza Rice a apporté un
soutien complet au refus israélien de négocier avec le Hamas, déclarant « A
notre plus grande inquiétude, les dirigeants du Hamas servent de plus en plus
de combattants de l'ombre à un régime iranien qui déstabilise la région,
cherchant à obtenir une capacité nucléaire et proclamant le désir de détruire
Israël. » Elle s'en est prise à une « ceinture de l'extrémisme » qui
s'étendrait du Hamas et du Hezbollah à l'Irak et l'Afghanistan, qui serait « soutenue
principalement par l'Iran et dans une certaine mesure par la Syrie, mais
particulièrement l'Iran ». Elle a prévenu que « [Cela] donne à ce
conflit une dimension régionale qu'il n'avait pas auparavant ».
Mercredi, le département d'État américain a
publié un rapport classant l'Iran comme le « plus actif » et le « plus
important » des États qui soutiennent le terrorisme. Tout en mentionnant
aussi la Syrie, la Corée du Nord, Cuba et le Soudan, le rapport souligne le
soutien allégué de l'Iran au « terrorisme », affirmant qu'il visait à
« dissuader les attaques américaines ou israéliennes, faire diversion et
affaiblir les États-Unis, augmenter l'influence régionale de l'Iran par
l'intimidation, et aider à expulser les États-Unis hors du Moyen-Orient ».
Le déluge croissant de la propagande
américaine ressemble à s'y méprendre aux mensonges utilisés pour justifier
l'invasion de l'Irak en 2003. La technique du mensonge le plus gros, la
répétition sans fin d'accusations non fondées comme s’il s’agissait
de faits, est à nouveau employée. Un dossier de la CIA sur le réacteur
nucléaire de la Syrie doit être suivi par un autre sur les interférences
iraniennes en Irak. Les alliés de droite de l'administration Bush et qui se
font entendre, proclament déjà que la Maison-Blanche doit répliquer à cette « guerre
par personnes interposées » de l'Iran contre les États-Unis en Irak.
Des plans de guerre sont en train d'être
dépoussiérés et refaits. Lors de ses commentaires de vendredi dernier, le
président du Comité des chefs d'états-majors interarmées, l'amiral Michael
Mullen, a révélé que le Pentagone dressait des plans pour « de potentiels
programmes d'actions militaires » contre l'Iran. Un article dans le New
York Times de samedi relatait que « l'administration Bush a, en fait,
envisagé d'attaquer les camps d'entraînement, les abris et les dépôts d'armes
en Iran » utilisés pour entraîner les insurgés irakiens. Le journal
affirmait que les raids américains contre l'Iran étaient hors de question « pour
l'instant ».
CBS News a
cependant publié mardi un rapport qui fait froid dans le dos, indiquant que le
délai pour des raids sur l'Iran pouvait être assez court. Citant un officier
américain resté anonyme, l'article affirmait que le Pentagone avait donné des
ordres pour développer de nouvelles options pour attaquer l'Iran. Il a ajouté :
« Les cibles comprendraient tout ce qui va des usines où sont fabriquées
les armes aux quartiers généraux de l'organisation qui se fait appeler la Force
Al-Quds qui dirige les opérations en Irak. »
Selon CBS : « plus tard dans
la semaine, le premier ministre irakien Nouri al-Maliki doit présenter aux
Iraniens des preuves de leurs ingérences et en demander la fin. Si cela ne
produisait aucun résultat, le département d'État a commencé à élaborer un
ultimatum ordonnant aux Iraniens d'y mettre fin – sinon... »
Un porte-parole du Pentagone a officiellement
rejeté ce rapport. Pourtant, il ne fait aucun doute que la campagne de
propagande actuelle contre l'Iran indique la suite des événements : le
risque que l'administration Bush lance une nouvelle guerre d'agression
criminelle au Moyen-Orient dans une folle tentative d'asseoir les intérêts
économiques et stratégiques américains dans cette région riche en ressources
énergétiques.