L’Union
européenne (UE) a réagi à l’impact catastrophique, actuel et à venir, du
changement climatique sur les populations les plus vulnérables du monde et à
leur migration inévitable pour leur survie, en intensifiant des contrôles
d’ores et déjà draconiens.
En accord avec
les gouvernements des pays de transit, l’UE tente d’emprisonner dans
des ghettos de pauvreté et de famine les populations touchées. Elle a érigé des
barrières militarisées le long de ses frontières et instauré des mesures
internes d’Etat policier interdisant le séjour aux travailleurs issus de
pays pauvres et qui ont été soumis aux ravages occasionnés par les grandes
puissances et leurs grands groupes industriels, ainsi que par les classes
dirigeantes nationales.
Le responsable
communautaire des Affaires étrangères et social-démocrate espagnol Javier
Solana a rapporté en mars 2008 que « le changement climatique et la
sécurité internationale » soulèvent des problèmes et la nécessité de
sauvegarder les intérêts européens dans les régions en question. Ces remarques
ont été provoquées par un rapport du Conseil consultatif allemand sur le
changement mondial (WBGU) qui met en garde contre l’impact du
« changement climatique comme un des risques de la sécurité. »
Solana affirme
que « la meilleure présentation du changement climatique est celle
d’un multiplicateur de risques qui exacerbe les tendances, les tensions
et l’instabilité. Le défi central est que le changement climatique menace
de surcharger les Etats et les régions qui sont déjà fragilisés et qui sont le
plus enclins aux conflits. Il est important de reconnaître que les risques ne
sont pas seulement de nature humanitaire, mais qu’ils incluent aussi des
risques politiques et sécuritaires qui affectent directement les intérêts
européens. »
Il poursuit en
disant : « Les parties des populations qui souffrent déjà de mauvaises
conditions de santé, du chômage et de l’exclusion sociale qui pourraient
accroître ou provoquer la migration au sein et entre ces pays… Une telle
migration pourrait multiplier les conflits dans les régions de transit et de
destination. L’Europe doit s’attendre à une poussée migratoire
substantiellement accrue. »
Le 8 avril, Louis
Michel, commissaire européen pour le développement et l’aide humanitaire,
avait exprimé la même inquiétude quant au « choc alimentaire mondial qui
se profile, moins visible que le choc pétrolier, mais avec l’effet
potentiel d’un vrai tsunami économique et humanitaire en Afrique. »
Un article publié le 14 janvier dans le New York Times
disait : « L’année dernière, presque 31 000 Africains ont
essayé, dans 900 bateaux de rejoindre les Iles Canaries, point de transit
majeur vers l’Europe. Environ 6000 sont morts ou ont disparu, selon une
évaluation citée par les Nations unies. »
Les principales raisons de cet exode, indique l’article,
est la pêche à outrance de compagnies européennes dans les eaux côtières
d’Afrique occidentale qui ont acheté ces droits aux gouvernements
africains et dont la conséquence est la destruction des moyens
d’existence des communautés de pêcheurs africains.
Solana a également fait une référence voilée à la dévastation
sociale causée par les guerres de conquête néocoloniales perpétrées par les
Etats-Unis et leurs partenaires en Irak et en Afghanistan :
« L’un des plus significatifs potentiels de conflits liés aux
ressources découle de l’intensification de la concurrence pour
l’accès aux ressources énergétiques et leur contrôle. Ceci est, en soi,
et le sera à l’avenir, une cause d’instabilité. Cependant, vu
qu’une grande partie des réserves d’hydrocarbures se trouve dans
des régions particulièrement vulnérables face au dérèglement du climat et parce
que de nombreux Etats producteurs de pétrole et de gaz sont déjà confrontés à
des défis socio-économiques et démographiques significatifs,
l’instabilité ira probablement en augmentant. »
Le WBGU souligne que dans ces régions, « les flux
migratoires à l’intérieur des frontières nationales continuent de
prédominer, bien qu’il y ait eu ces dernières années des migrations
internationales, y compris une immigration illégale en Europe du Sud ».
Le « rideau de fer » de la forteresse Europe
L’UE érige un rideau de fer le long de ses frontières. Personne
ne peut y accéder sans visa. Les étrangers sont placés sur des listes de
surveillance et devront, à partir de 2009, soumettre leurs données biométriques
partout en Europe, même s’ils ne viennent que pour un séjour de courte durée.
Un rapport de la BBC révèle que l’« UE dispose de 1792
points officiels de contrôle frontaliers extérieurs, 665 points de contrôle
aériens, 871 frontières maritimes et 246 frontières terrestres, 300 millions de
passages annuels sont enregistrés à ces points, 160 millions de passages par
des citoyens européens, 60 millions par des citoyens non-européens sans visa et
80 millions par des citoyens non-européens disposant d’un visa.
L’on estime que 8 millions d’immigrés illégaux séjournent dans
l’UW, dont la moitié est entrée légalement et a dépassé la date limite de
séjour. »
L’UE a mis sur pied sa propre agence de plus en plus
militarisée de contrôle des frontières appelée FRONTEX (Agence européenne pour
la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des
Etats membres de l’UE) et qui dispose cette année d’un budget de 45
millions d’euros. Elle a mis au point un système européen de surveillance
des frontières (Eurosur) pour contrôler les mouvements des immigrés au moyen de
satellites, de drones aériens et d’équipes d’intervention rapide aux
frontières (RABITS).
Le site No-Racism.net précise : « FRONTEX représente
un régime sécuritaire militarisé au sein duquel la police, le contrôle aux
frontières, les services de l’immigration, l’armée et les services
secrets forment un complexe de répression presque standard, qui divise le monde
suivant un ordre hiérarchique entre les riches et les pauvres, entre
l’Europe (de l’ouest) et les autres, entre ceux qui ont des droits,
ceux qui en ont moins et ceux qui n’en ont pas du tout. »
FRONTEX opère aussi à partir des pays africains dans le but
d’empêcher des départs illégaux, en cela l’agence se concentre
surtout sur les Iles Canaries et les trajets en Méditerranée et en Mer Noire. La
« Forteresse Europe… est une réalité », a remarqué Irene Khan,
secrétaire générale d’Amnesty International, au cours d’une
conférence de presse donnée à Bruxelles après ses entretiens, le 15 avril, avec
des fonctionnaires de l’UE. « L’accès à l’Europe est
très difficile et la frontière initiale de l’Union européenne est poussée
de plus en plus loin, » a-t-elle dit en signalant les opérations de
sauvetage d’immigrés en Méditerranée, les patrouilles au Sénégal et la
collaboration grandissante de l’UE avec les pays de transit.
Le ministre français de l’Immigration, Brice Hortefeux,
s’est rendu dans les pays de l’UE pour appeler au soutien
d’un « pacte européen de l’immigration » avec 20 pays
africains d’ici la fin de 2009. « Nous avons déjà signé des accords
avec le Sénégal, le Gabon, le Bénin et la République du Congo et nous avons
amorcé des discussions avec le Mali, la Tunisie, le Maroc. L’Egypte et le
Tchad viennent de nous faire savoir qu’ils étaient demandeurs. »
En avançant l’exemple du Bénin, Hortefeux a dit
qu’il proposait au gouvernement de ce pays le minable pot-de-vin de 150
cartes « compétences et talents » par an permettant à certains
étudiants de poursuivre leurs études en France, plus 3 millions d’euros
pour aider « au développement du système de santé » du pays.
Un accord identique sur la « gestion concertée des flux
migratoires et le codéveloppement » avec le Gabon a été adopté en première
lecture par l’Assemblée nationale le 10 avril dernier. Il avait déjà été
signé à Libreville le 5 juillet 2007.
Hortefeux a également déclaré : « A l’évidence, des pays comme la
Libye, mais aussi le Maroc, vont demander à l’Europe d’assumer une
partie du coût de la protection de leurs frontières. Je mesure l’effort
déjà consenti par les Marocains, qui mobilisent ainsi quelque 12 000
hommes pour éviter que des flux massifs de clandestins se dirigent vers les
Canaries. »
Répression intérieure de l’immigration au sein de l’UE
Le 25 avril, le parlement européen et ses Etats membres se
sont mis d’accord sur une « directive européenne sur le
retour » qui règlemente la déportation d’immigrés sans papiers, y
compris de demandeurs d’asile déboutés. Une période maximale de détention
de six mois a été établie et un rapatriement au pays d’origine prévoyant
une interdiction de réadmission à l’UE de cinq ans. Il est envisagé
d’incarcérer des immigrés pendant une période pouvant aller jusqu’à
18 mois en cas de retard de la part de leur pays d’origine dans
l’obtention des documents nécessaires. La « directive européenne de
détention » sera soumise au vote au parlement européen le 4 juin.
A partir de juillet 2008, la vie de plus de 10 millions
d’immigrés sans papiers sera affectée par cette nouvelle politique de
l’immigration. Ils pourront être détenus sans chef d’accusation.
Leur unique crime étant de ne pas avoir de visa ou de permis de séjour valide.
A présent, les conditions de détention varient dans l’UE :
La France prévoit une période de détention de 30 jours, la Grande-Bretagne et
certains autres pays ont des périodes de détention illimitées.
L’International Herald Tribune rapporte qu’« il
y aurait maintenant 224 camps de détention pour les migrants dans toute
l’Union européenne. Ils peuvent accueillir au total plus de 30 000
personnes, demandeurs d’asile et immigrés sans permis de séjour en
attente d’expulsion, et qui se trouvent souvent en détention
administrative pendant des périodes pouvant aller jusqu’à 18 mois. Dans
beaucoup de pays communautaires, il n’y a aucune limite à la durée de
détention. »
Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR)
a identifié la Grèce comme étant le pays où « les conditions
d’accueil… ne sont pas conformes aux standards européens et
internationaux ».
Aucune des grandes puissances n’est capable ou prête à faire
des efforts communs en vue de résoudre les problèmes environnementaux et climatiques
et les conséquences sociales qu’ils entraînent. C’est une tâche
impossible sous le capitalisme. Les grandes puissances ne peuvent ou ne veulent
pas renoncer à la concurrence féroce qu’elles mènent pour la conquête de
marchés et de matières premières. Et donc, le flot d’êtres humains en
quête d’un minimum de sécurité économique continuera et la solution de
l’UE à la crise sera davantage de répression et davantage encore de
pouvoirs policiers.