La semaine passée, un enquêteur des Nations
unies a rendu public un rapport préliminaire soulignant le grand nombre de
décès parmi les civils en Afghanistan, souvent aux mains d’unités hors-la-loi
dirigées par la CIA ou d’autres agences du renseignement étrangères.
Cet enquêteur est Philip Alston, un
professeur de l’Université de New York agissant à titre de Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou
arbitraires pour le Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Son
rapport lève un coin du voile sur les gestes illégaux des agences du
renseignement, des forces d’occupation et de la police afghane dans leur
tentative de réprimer l’opposition à l’occupation menée par les Etats-Unis et
au gouvernement que ces derniers soutiennent.
Un rapport plus complet sera publié plus tard cette
année.
Alston s’est concentré sur les meurtres de
civils par les Etats-Unis et les autres forces militaires internationales,
citant 200 morts rapportées lors des quatre premiers mois de 2008. Ce chiffre,
toutefois, est basé sur les données colligées par les Nations unies et d’autres
organisations internationales et est sans l’ombre d’un doute une grossière
sous-estimation.
En plus des civils tués dans les raids
aériens — visant souvent sans discrimination des habitations civiles — Alston a
fait état de « plusieurs raids pour lesquels aucun État ou commandement
militaire ne reconnaît sa responsabilité ».
Dans une conférence de presse qu’il a
donnée jeudi, Alston a apporté plus de précision sur ce point :
« J’ai parlé à plusieurs personnes en lien avec l’activité d’unités de
renseignement étrangères. Je ne veux pas les nommer, mais elles occupent les
plus hauts niveaux dans les régions où j’ai mené mes enquêtes. Ces forces
opèrent avec ce qui semble être une entière impunité. » Les lieux où des
incidents ont été cités dans le rapport indiquent que les agences du
renseignement en question comprennent la CIA ou des Forces spéciales
américaines.
Le rapport signale quelques incidents comme
exemple de meurtres extrajudiciaires. En janvier 2008, deux frères furent tués
dans un raid sur la province de Kandahar réalisé par des « membres
internationaux ». Alston a trouvé que les victimes « étaient
largement réputées, même par des représentants gouvernementaux bien informés,
n’avoir aucun lien avec les talibans et les circonstances entourant leur mort sont
suspectes. Toutefois, non seulement n’ai-je pas pu obtenir la version des faits
d’un commandant militaire international, mais je n’ai même pas pu obtenir
confirmation d’un commandant militaire international qu’un de ses hommes avait
été impliqué. »
D’autres incidents ont impliqué des raids
par des Afghans sous la direction de « services de renseignement
internationaux » non identifiés menés à partir de bases dans les provinces
de Kandahar et Nangarhar.
« Il est absolument inacceptable que
des membres lourdement armés d’une force internationale accompagnés de membres
lourdement armés des forces afghanes puissent aller là où ils veulent pour
réaliser des raids dangereux qui finissent souvent par des morts sans que
personne n’en prenne la responsabilité » peut-on lire dans le rapport.
Le quotidien britannique The Independent
a donné des informations supplémentaires. Il a noté : « Un
responsable occidental bien informé de l’enquête a dit que les unités secrètes
sont aujourd’hui encore connues comme des forces de campagne qui furent
déployées alors que les Forces spéciales américaines et les espions de la CIA
recrutaient des soldats afghans pour les aider à renverser les talibans lors de
l’invasion de 2001 sous direction américaine. "Nous avons gardé les plus
brillants et plus intelligents parmi les hommes de cette milice, a dit le
responsable. Nous les avons entraînés et réarmés et ils sont toujours en action. »
Le quotidien Independent a continué
en citant un incident dans lequel les forces britanniques furent impliquées.
« Dans la province d’Helmand, là où se trouve la majorité des 7800 soldats
britanniques, les Forces spéciales ont été accusées d’avoir tranché la gorge
d’un homme dans un raid de nuit qui a mal tourné. Les sources des agences de
sécurité déclarent maintenant que l’opération a été organisée par une unité spéciale
d’espions. »
Alston a aussi écrit sur les actions de la
police afghane. « Elles n’agissent pas en tant que forces faisant
respecter la loi et l’ordre, mais en tant que défenseurs des intérêts d’une
tribu ou d’un commandant », a-t-il rapporté. Il a cité un incident dans
lequel la police afghane a massacré un groupe d’une tribu rivale. Il n’y a pas
eu d’enquête par le gouvernement ou les forces d’occupation. Dans un autre
incident, la police a tué neuf manifestants et en a blessé 42 autres à
Sheberghan en mai 2007.
En général, il a trouvé qu’il y avait très
peu d’intérêt parmi les responsables américains ou afghans à suivre les morts
civiles. « La complaisance en réponse à ces morts est étonnamment
élevée » a-t-il dit.
Lors de la conférence de presse, il a noté
« Lorsque je demandais le nombre des morts civiles enregistrées au cours
de l’année, je me faisais répondre que ces chiffres ne sont disponibles en
Afghanistan — c’est ce que m’ont répondu plusieurs représentants seniors de
l’armée — ou encore qu’ils étaient secrets et que l’on ne pouvait me les
transmettre. Lorsque je demandais plus d’informations sur certains incidents,
dans le but de vérifier si les personnes impliquées avaient bien été punies, on
me répondait qu’une telle information n’était pas disponible en Afghanistan et
que je devrais plutôt lire les journaux des pays concernés. »
Le fait que la CIA a été impliquée dans des
opérations secrètes en Afghanistan n’est ni nouveau ni surprenant. Déjà dans
les années 1970, la CIA a développé des liens avec des sections de la
population afghane, en particulier des éléments fondamentalistes islamiques,
dans sa tentative de miner le gouvernement qui était alors soutenu par l’Union
soviétique. Plus tard, la CIA a été très impliquée dans le développement de
liens avec les seigneurs de guerre anti-talibans avant l’invasion et
l’occupation américaines en 2001.
Après l’invasion, l’Afghanistan, en
particulier la base aérienne de Bagram près de Kaboul, est devenu un point de
transit pour les prisonniers capturés par les Etats-Unis et que l’on voulait
expédier à la prison de Guantanamo, vers des prisons secrètes de la CIA ou vers
des pays alliés des Américains pratiquant la torture. Les agences de
renseignement américaines auraient également été impliquées dans
l’interrogation de prisonniers dans la prison d’Abou Ghraib en Irak.
En 2005, les médias américains ont écrit
des reportages sur les opérations des escadrons de la mort soutenus par les
Américains en Irak et qui étaient déployés pour tuer des personnes suspectées
d’être des opposants à l’occupation américaine. Yasser Salihee, un
correspondant spécial de l’agence de presse Knight Ridder qui enquêtait sur les
escadrons de la mort, a été tué d’une balle dans la tête en juin de cette
année. D’autres reportages montrent comment l’armée américaine a modelé les
unités irakiennes sur les escadrons de la mort déployées en Amérique centrale
durant les années 1980 pour éliminer l’opposition de gauche aux intérêts américains.
Alors que la plupart des actions de la CIA
sont cachées dans une aura de secret, un contractant de la CIA a été poursuivi
pour avoir torturé un prisonnier afghan à mort en 2003. Ce contractant, David
Passaro, a interrogé et battu le prisonnier, Abdul Wali, pendant deux jours, le
blessant si sérieusement qu’il en est mort deux jours plus tard.
Dans une autre affaire, le New York
Times a écrit samedi que le Pentagone allait de l’avant avec son projet de
construction d’un complexe pénitentiaire de 160.000 mètres carrés à la base
militaire de Bagram. La prison actuelle, ainsi que d’autres prisons afghanes et
américaines, sont apparemment insuffisantes pour détenir le grand nombre de
prisonniers faits par les forces d’occupation.
La nouvelle prison pourra aussi être
utilisée pour des prisonniers actuellement détenus à Guantanamo. Elle sera
conçue pour détenir jusqu’à 1100 personnes.