La journée d’action et de manifestations
appelée pour le 17 juin est une tentative des confédérations syndicales CGT et
CFDT de couvrir leur trahison historique de la classe ouvrière, perpétrée le 9
avril, lorsqu’elles ont signé avec les employeurs la « position
commune » que le gouvernement a ensuite utilisée comme base pour un projet
de loi extrêmement régressif sur la représentativité syndicale et la durée du
temps de travail.
La loi propose la possibilité à titre
« expérimental » d’une déréglementation du temps de travail, libérant
ainsi les employeurs des contraintes légales régissant les conditions de
travail à échelle nationale et par branche industrielle. Pour des raisons de
rivalités bureaucratiques plutôt que de principes, les six autres organisations
syndicales plus petites, impliquées dans les discussions sur ces questions avec
les organisations patronales, ont refusé de signer le document.
Gérard Filoche, membre du Parti socialiste,
inspecteur du travail et un expert sur les lois du travail évalue ainsi ce
projet de loi: « il vise toutes les clauses [du code du travail]
concernant les heures supplémentaires, elles devront être renégociées d'ici au
1er janvier 2010 de façon à
supprimer les majorations et les repos compensateurs qui leur sont afférents.
…la durée du travail de tout salarié peut être fixée sans accord collectif
préalable par une convention individuelle de forfait en heures, sur la semaine
ou le mois.»
Il ajoute: « Les employeurs pourront
ainsi ne plus payer les majorations des heures
supplémentaires, la durée pourra être supérieure à 1607 h [durée annuelle
légale du travail] c'est à dire inclure les ex-heures supplémentaires… Il y
aura suppression de la justification économique de l'annualisation, des limites
de 10 h et de 48 h…On revient au 19e siècle du point de vue des horaires et des
soumissions des salariés à ceux ci. »
Ces changements sont en droite ligne avec des
propositions pour une directive sur le temps de travail actuellement débattues
dans les instances gouvernantes de l’Union européenne (UE). Un document rédigé
à Luxembourg par des représentants des 27 Etats membres de l’UE autoriserait
une durée hebdomadaire de travail de 60 heures et plus.
Et maintenant les syndicats organisent des
protestations contre ce projet de loi. L’imposture c’est que la CGT
(Confédération générale du travail, proche du Parti communiste stalinien) et la
CFDT (Confédération française démocratique du travail, proche du Parti
socialiste) mobilisent les travailleurs contre une politique qu’elles ont
elles-mêmes initiée et qu’elles soutiennent largement.
Dans une interview accordée à Libération
le 29 mai, le dirigeant de la CGT, Bernard Thibault a reconnu, « Nous
avons accepté, ce qui était de notre part une concession importante, que l’on
puisse déroger au principe du contingent d’heures supplémentaires dans le cadre
d’un accord d’entreprise majoritaire. Mais à deux conditions : que ce soit
à titre expérimental, et que cela s’inscrive dans un accord signé par des
syndicats représentant une majorité de salariés.» Dans l’interview, Thibault
s’est plaint de ce que le gouvernement « renvoie au niveau de l’entreprise
l’essentiel de la législation sur le temps de travail. » Mais c’est
précisément cette concession là que fait la partie « expérimentale »
de la « position commune.»
C’est ainsi qu’a été abandonné le principe,
établi au cours de longues luttes acharnées remontant au 19e siècle,
que les garanties à échelle nationale et par branche industrielle contre
l’exploitation sans borne des travailleurs doivent être respectées, quelles que
soient la relation de force existant sur un lieu de travail ou une entreprise.
L’étroite collaboration entre les syndicats et
la classe dirigeante a été soulignée par une réunion de crise conjointe des
syndicats, du MEDEF (Mouvement des entreprises de France), et du groupe
parlementaire conservateur UMP (Union pour un mouvement populaire), le 10 juin.
Les participants à la réunion ont principalement exprimé leur préoccupation
que, en avançant à un tel rythme dans la situation française actuelle qui est
socialement explosive, le gouvernement était en train de contourner et de
discréditer les soutiens syndicaux du régime bourgeois.
Le dirigeant de la CFDT François Chérèque a déclaré :
« Nous avons le sentiment d’avoir été trompés par le ministre du Travail.
Avec le premier ministre, il nous a tendu une sorte de piège, à savoir négocier
sur le temps de travail, ce qu’on a fait, et après profiter de cette
négociation pour faire autre chose. » Thibault a manifesté son
« désaccord sur la méthode et le contenu de la deuxième partie du projet
de loi relatif au temps de travail… qui modifie autoritairement plus de 60
articles du code du travail. »
La présidente du MEDEF Laurence Parisot a été
la plus virulente dans sa condamnation de l’UMP pour ce projet de loi.
« Nous avons été pris en traître, et l’esprit de l’accord n’est pas conforme
au projet de loi. Des évolutions significatives en matière de durée du travail
ont été actées dans la position commune sur la représentativité syndicale. Il
ne faudrait pas aujourd’hui prendre des décisions politiques qui cassent ce
nouvel élan, très sain pour la pacification et la construction sociale en
France. »
Une certaine nervosité a été exprimée par les
personnalités les plus prudentes de l’UMP au pouvoir, conduites par l’ancien
premier ministre Jean-Pierre Raffarin, au sujet de cette remise en question
manifeste de la durée légale du temps de travail dans le projet de loi.
L’éditorial du Monde du 30 mai a
approuvé, dénonçant Sarkozy, « Il semblait avoir construit une véritable
relation de confiance avec la CGT et la CFDT. Erreur. …. la CGT et la CFDT sont
roulées dans la farine. Pour calmer une UMP impatiente de "démanteler"
les 35 heures, M. Sarkozy met en pièces son "contrat" avec la CGT et
la CFDT. A l'heure où de délicats chantiers sociaux s'accumulent — retraites,
fonction publique, pouvoir d'achat —, c'est plus qu'une erreur. »
L’accord conclu entre les employeurs et la CGT
et la CFDT sur la durée du temps de travail est une concession à titre de
réciprocité pour la préférence accordée à ces deux syndicats sur la question de
la loi de représentativité syndicale. La loi requiert que les syndicats
obtiennent au moins 10 pour cent des voix lors d’élections aux instances
représentatives pour pouvoir être officiellement reconnues et donc financées,
ce qui donne à la CGT et à la CFDT, les deux plus importantes confédérations
syndicales, un avantage décisif sur leurs rivaux plus petits. Ce seuil de 10
pour cent garantit à la CGT et la CFDT la part du lion des places de
négociateurs et de participants dans les comités d’entreprise ainsi que des
postes lucratifs dans les instances où siègent employeurs, syndicats et
gouvernement pour réglementer les relations du travail, les retraites, les
allocations chômage entre autres.
En accord avec la conception de Sarkozy d’un
partenariat étroit avec des syndicats très collaborateurs, ou encore selon les
termes des bureaucrates de la CGT, « des syndicats de proposition et non
d’opposition », le document appelle à contribuer à reconstruire l’adhésion
en déclin des syndicats : « La réservation de certains avantages
conventionnels aux adhérents des organisations syndicales de salariés constitue
sous des formes différentes, une piste à explorer de nature à développer les
adhésions syndicales. »
Cet accord inclut aussi des récompenses aux
permanents syndicaux. La sous-section intitulée « Reconnaissance des
acteurs » encourage fortement « dans la perspective d’améliorer et de
développer le dialogue social, la recherche de dispositions facilitant, pour
les salariés exerçant des responsabilités syndicales, leur déroulement de
carrière. » Elle ajoute que les entreprises devraient « prendre en
compte l’expérience acquise dans l’exercice d’un mandat dans le déroulement de
carrière de l’intéressé ». Elle propose même : « pour faciliter
les parcours professionnels des salariés ayant eu un engagement syndical de
longue durée… une fondation dénommée "Fondation du dialogue social"
sera crée … en particulier pour faciliter le retour à une activité
professionnelle, prenant en compte l’apport des responsabilités syndicales
exercées ».
Les signataires de « la position
commune » devait certainement avoir en tête l’avancement de carrière de
Jean-François Le Duigou, négociateur de la CGT sur les retraites, architecte de
la trahison du mouvement des cheminots et travailleurs des transports parisiens
en octobre et novembre derniers pour la défense des régimes spéciaux de
retraite. En janvier de cette année, le WSWS écrivait : « Selon des
révélations faites par le quotidien de centre gauche Le Monde et le
magazine l’Express, Le Duigou reprendra son ancien poste de directeur
divisionnaire des impôts. Il percevra aussi un salaire de conservateur des
hypothèques. Pour ces deux postes, il recevra un salaire de 9000 euros nets par
mois, "l'un des mieux payés de Bercy", selon un commentaire du
Monde. »