L’occupation par des sans-papiers des locaux de la CGT
(Confédération générale du travail) à la Bourse du travail dans le 3e arrondissement
de Paris dure depuis plus d’un mois. Elle est organisée par la Coordination de
sans-papiers 75 (CSP75), et les locaux sont occupés jour et nuit depuis le 2
mai. Les occupants exigent que le syndicat, proche du Parti communiste
stalinien, s’occupe de leur dossier comprenant un millier de demandes de
régularisation de travailleurs immigrés.
Lundi 2 juin, des représentants de la CSP75 se sont réunis
en intersyndicale avec la CGT et des représentants d’autres syndicats
impliqués. Le porte-parole de la CSP75 Anzoumane Sissoko a dit au WSWS que la
réunion avait mis en place une commission qui travaillera sur les
revendications de la Coordination. Il a dit que l’occupation se poursuivrait
jusqu’à la satisfaction de leurs demandes, c'est-à-dire une réunion entre
représentants de la CSP75 et le gouvernement, avec le soutien des syndicats, et
la régularisation de l’ensemble des 1000 sans-papiers.
Le 15 avril, la CGT avait lancé une série de grèves et
d’occupations de lieux de travail pour obtenir la régularisation des sans-papiers
syndiqués à la CGT et dont beaucoup sont employés dans l’hôtellerie, la
restauration, le bâtiment et les entreprises de nettoyage, avec dans la plupart
des cas la collaboration des employeurs qui ont besoin de ces travailleurs. En
même temps, le syndicat déposait à la préfecture de Paris un dossier de 900
demandes de régularisation de ses membres.
La CSP75, qui compte quelque 2000 membres à Paris, a ensuite
essayé de déposer son propre dossier de demandes et la préfecture de Paris lui
a signifié qu’il leur fallait passer par la CGT. Lorsque la CSP75 a demandé à
la CGT de s’occuper de leur cas, le syndicat n’a pas voulu le faire. Le
représentant de la CGT en région parisienne, Christian Khalifa a dit à la
chaîne télévisée LCI le 8 mai : « La CGT ne peut pas prendre en
charge toutes les demandes de régularisation des sans-papiers. On est une
organisation syndicale, pas une association de sans-papiers. »
Mamoudou Dialo, membre en vue de la CSP75 a dit au journal La
Croix le 22 mai: « Mais on demande au gouvernement de pouvoir au moins
déposer nos dossiers en préfecture. Il n’est pas juste que les syndicats
puissent le faire et que nous, quireprésentons les travailleurs les
plus isolés, en soyons exclus. S’il le faut, nous resterons des mois, des
années ici. »
La CSP75 a rejeté l’accord conclu entre la CGT et l’Etat
français, qui exclut la masse des sans-papiers et fait de la CGT le seul
intermédiaire reconnu pour les sans-papiers. La déclaration du 15 mai de la
CSP75 dit : « La CSP75 ne peut se satisfaire de l'exclusivité qui
aurait été accordée à la CGT à déposer les dossiers collectivement dans les
préfectures d'Ile de France » et insiste sur le fait que leur mouvement
représente une lutte contre la « casse du droit du travail et du droit
salarial » en général.
La déclaration poursuit : « Nous exigeons la
régularisation de tous les travailleurs et travailleuses sans papiers, les
réfugiés et sans emploi, et à cette fin d'être reçus avec l'appui de la
CGT, par Mrs Hortefeux (ministre de l'Immigration) et Gaudin (préfet de police
de Paris) la fermeture des centres de rétention, le retrait des lois
xénophobes de l'immigration ! L'arrêt des rafles et des contrôles au
faciès, le retrait de la taxe ANAEM, discriminative et illégale, versée
pour tout emploi d'un étranger ! »
Interviewé à la Bourse du travail la semaine dernière, le
représentant de la CSP75 Djibril Diaby a dit au WSWS : « Actuellement
on a beaucoup de soutien. Nuit et jour, on a des soutiens qui nous défendent,
qui défendent la cause des sans-papiers et la régularisation des sans-papiers.
Nous survivons par les dons des associations et par les gens de bonne volonté,
et avec la quête des sans-papiers. »
Il a ajouté qu’il y avait d’autres coordinations de
sans-papiers menant les mêmes luttes : « Le 92, ils ont occupé une église...
Hier à Montreuil, les collectifs de sans-papiers ont occupé d’autres endroits,
donc il y a d’autres initiatives qui sont en cours. »
Diaby a aussi fait remarquer que des sans-papiers d’autres
départements venaient là avec leurs demandes de régularisation : « Ici,
nous avons des sans-papiers de toute l’Île-de-France. Donc nous avons des
sans-papiers de 92, 93, 91. Depuis qu’on a occupé le 2 mai, chaque jour on a
des nouveaux qui viennent nous voir. Nous sommes au 25e jour de
l’occupation. Donc le combat, cela vient de commencer. Parce que tant que nous
n’avons pas satisfaction de notre revendication, on restera toujours ici. »
Il a insisté pour dire : « Pour nous tous les
sans-papiers travaillent. Tous ceux qui ne travaillent pas avec les
papiers d’un cousin, ils travaillent au noir pour survivre, même s’ils
travaillent pour des salaires médiocres. La CGT et la CFDT, eux, ils sont des
syndicats, et ce sont leurs revendications syndicales. Nous, on est des
défenseurs des sans-papiers. »
A la question de savoir pourquoi la CGT ne s’occupait pas de
leur dossier, il a répondu : « Quand ils ont monté leur piquet de
grève le 15 avril, la CGT nous a dit d’attendre. Mais, les sans-papiers, vous
avez vu, ils sont impatients, ils ne peuvent plus attendre, ceux dont les
patrons acceptent de faire les contrats de travail avec des promesses
d’embauche. Nous aussi nous avons ramassé leur dossier pour aller faire un
dépôt au niveau de la préfecture. Alors nous on ne peut plus attendre parce que
nous avons la pression de ces gens là. » Djibril a montré le groupe de
sans-papiers qui écoutaient l’interview. « C’est ça la raison pour
laquelle nous voulons prendre notre destin en main. »
Il a affirmé que le cas par cas n’était pas la solution. « La
seule solution, la bonne solution actuellement, c’est la régularisation massive. »
Générale ? « Générale, globale de tous les sans-papiers qui sont
intégrés dans la société française et qui veulent rester là. Ces gens-là, ils
ont le droit d’être régularisés parce qu’ils veulent vivre dignement, comme les
autres citoyens français. »
Lorsqu’on lui a demandé s’il était possible de gagner par
des méthodes syndicales, Diaby a dit: « Nous, notre lutte et la méthode
syndicale sont différentes. Car nous, ça fait 11 ans que nous sommes dans cette
lutte. La CGT est dans cette lutte seulement depuis 5 ou 6 mois. »
Le WSWS a fait remarquer : « Il semble que les
syndicats et les associations acceptent le cas par cas, et Sarkozy et Hortefeux
[Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration] ont fermé la porte car ils ont dit
"il faut avoir un certificat de travail, et donc il faut être accepté par
un patron". Et cela, c’est une limite énorme. »
Diaby a répondu: « Nous on connaît très bien la
position du gouvernement. Le cas par cas c’est entre les mains du patron et du
gouvernement. Le gouvernement dit que régulariser tous les sans-papiers, c’est
un appel d’air, alors que les patrons disent qu’il faut régulariser pour garder
la main-d'œuvre. Car sinon il y a certaines entreprises, certaines usines, qui
risquent d’être fermées, parce qu’il y a manque de main-d'œuvre. La nouvelle
loi de monsieur Hortefeux de juin 2007 dit que tout patron doit envoyer
maintenant la photocopie du titre de séjour de quelqu’un qu’il veut employer à
la préfecture. Maintenant, c’est les policiers qui vont se charger de vérifier
si le titre de séjour est bon ou pas. Raison pourquoi les patrons ont dit "il
faut régulariser ces gens massivement", sinon si on dit qu’on va licencier
tous ces gens là, certaines entreprises vont être fermées en France, alors que
cela n’est pas l’intérêt de l’économie française. »
Il nous faut exprimer ici notre désaccord avec Diaby quand
il en appelle au gouvernement, utilisant l’argument que les travailleurs
sans-papiers sont nécessaires à l’économie nationale. Ils ne sont nécessaires
que dans la mesure où ils sont exploitables, et c’est bien là tout le sens de
« l’immigration choisie ». A part cela, le gouvernement peut tout à
fait s’en passer et ne leur reconnaît aucun droit.
La pression de la concurrence mondiale entre grandes
puissances sur le marché mondial, exacerbée par la crise actuelle du crédit et
l’inflation galopante des prix de l’alimentation et de l’énergie, poussent les
patrons à procéder à la destruction des droits et du niveau de vie de tous les
travailleurs. La relation entre l’Etat et les travailleurs devient de plus en
plus brutale et ceux qui le ressentent le plus sont les sections les plus
vulnérables de la classe ouvrière, notamment les sans-papiers.
L’impérialisme français et européen, représenté par des
gouvernements conservateurs comme de « gauche », a besoin, en matière
d’immigration d’une main-d’œuvre bon marché, soumise et sans droit. La
politique de Sarkozy consistant à limiter l’immigration aux travailleurs dont
les capitalistes français ont besoin et connue sous le nom « d’immigration
choisie », contrairement à « l’immigration subie, » représente
une intensification des restrictions toujours plus strictes d’année en année et
qui sont à l’origine de l’existence de centaines de milliers de sans-papiers.
Prise entre la concurrence mondiale et la résistance de la
classe ouvrière et des jeunes à sa politique d’austérité, la bourgeoisie
française renonce à tout semblant d’adhésion aux traditions de la reconnaissance
universelle des droits de l’Homme, qui remontent à la Révolution française de
1789. La bourgeoisie française est en train de mener la charge en Europe contre
ces droits.
Le président Nicolas Sarkozy est à présent en train de
démarcher les 27 Etats membres de l’Union européenne (UE) pour qu’ils adoptent
le « Pacte européen pour l’immigration » qui accroîtrait massivement
le déploiement de forces militarisées visant à faire barrage aux immigrés aux
frontières de la « Forteresse Europe » ainsi que dans les pays de
transit. Le pacte renforcerait les conditions déjà draconiennes requises pour
obtenir des titres de séjour de par l’UE et intensifierait les rafles
policières massives et permanentes et les déportations d’immigrés. Ce pacte a
le soutien de toute la classe politique européenne, des partis conservateurs et
de la gauche politique et syndicale.
Des organisations de soutien aux sans-papiers, tel RESF
(Réseau éducation sans frontière) se rendent compte que face aux appels
humanitaires à la clémence pour les immigrés malades, les femmes enceintes, les
parents de bébés ou de jeunes enfants, les autorités font la sourde oreille
tandis que l’Etat prive de fonds les services sociaux qui portent assistance
aux réfugiés et autres immigrés en difficulté.
Le WSWS soutient sans réserve l’action des sans-papiers et
leur demande que les syndicats s’occupent de leur cas. Nous appelons tous les
travailleurs et les jeunes français à venir en aide aux sans-papiers.
Cependant, il nous faut lancer une mise en garde: la
perspective exprimée par Djibril Diaby dans l’interview qu’il a accordée au
WSWS est très mal fondée. Il a dit qu’« Il faut l’unité pour pousser le
gouvernement et le patronat à régulariser les sans-papiers.» Il a dit aussi au
WSWS : « Pour essayer d’obliger ce gouvernement à reculer, nous
demandons à tous les syndicats, tous les collectifs de sans-papiers de s’unir
et de mettre la pression au gouvernement et au patronat.. »
Il ne faut absolument pas compter sur les syndicats pour qu’ils
mènent le combat contre le gouvernement. Le fait que la CGT a accepté de ne
déposer que les demandes de régularisation de ses propres membres sert à
diviser et à contenirle mouvement des sans-papiers. Hortefeux a maintes
fois affirmé que seulement « quelques centaines seraient régularisés, »
donc nous pouvons supposer que les demandes de régularisation de nombreux
membres de la CGT seront rejetées.
Les syndicats ne sont plus en aucune façon des défenseurs de
la classe ouvrière, mais des agents directs de la classe capitaliste, des organisations
pro-capitalistes comme leurs alliés politiques du Parti socialiste (PS) et du
Parti communiste (PC). Ils ne font pas pression sur le gouvernement et les
patrons, ils font pression sur la classe ouvrière pour qu’elle accepte les
« réformes » nécessaires permettant au grand patronat d’être
compétitif. Leur préoccupation principale consiste à défendre l’économie
nationale, c'est-à-dire le capitalisme français, contre ses concurrents et par
extension contre la classe ouvrière de ses concurrents. C’est pour cela que la
CGT et la CFDT ont isolé et étouffé la lutte des cheminots, des enseignants,
des fonctionnaires, des étudiants et des lycéens. Ils ont récemment signé un
accord avec les patrons et le gouvernement, accord qui détruit la semaine de 35
heures et déréglemente les conditions de travail.
C’est pour cela que les syndicats sont incapables de
défendre les droits démocratiques des travailleurs immigrés.
Dans l’interview avec Diaby, le WSWS lui a rappelé que dès
le début de l’occupation par la CSP75 des locaux de la CGT, la LCR (Ligue
communiste révolutionnaire) d’Olivier Besancenot avait condamné cette action. Son
hebdomadaire Rouge avait ainsi attaqué « la dommageable occupation
de la Bourse du travail de Paris par la coordination 75 » l’accusant d’être
responsable du « poison de la division. » Une déclaration affichée
sur le site Internet de la LCR intitulée « Mouvement des
sans-papiers : Une prise de position de la LCR » laisse entendre que
l’action de la Coordination 75 fait le jeu du gouvernement : « Le
gouvernement a peut-être trouvé le moyen par lequel il souhaite diviser et
neutraliser le mouvement en cours des travailleurs sans-papiers. »
La réponse de Diaby, bien qu’elle exprime une certaine
amertume, et peut-être même une certaine ironie, n’a pas vraiment remis en
question l’opportunisme cynique de la CGT et de la LCR : « Mais je
peux vous dire que maintenant on a une bonne entente avec la CGT. Demain nous
avons une réunion avec les responsables de la CGT. Donc leurs piquets de grève,
la coordination 75, on va faire le tour pour soutenir les sans-papiers
grévistes. Donc, pour nous, sans-papiers est égal à sans-papiers. Nous on
soutient tout le monde. »
Ce qu’il est nécessaire de comprendre, c’est que ce n’est
pas par hasard que la LCR a déclaré de façon aussi brutale son soutien à la CGT
contre l’occupation de la CSP75. Le rôle de la LCR durant les 40 années de son
existence a consisté à dire aux travailleurs qu’il n’est pas nécessaire de
construire un parti indépendant de tous les soutiens du capitalisme tels le PS,
le PC et les syndicats. La crise de la gauche officielle en France signifie
qu’Olivier Besancenot et la LCR sont apprêtés par les médias pour prendre la
place du PS et du PC et pour oeuvrer avec la CGT à la construction de leur soi-disant
nouveau « parti anticapitaliste ».
L’unité de ces organisations est une unité bureaucratique
contre les travailleurs en lutte et visant à empêcher ces derniers de s’unir.
On ne peut défendre les droits démocratiques et sociaux de tous qu’en rompant
complètement avec ces organisations et en se fondant sur l’unité de la classe
ouvrière elle-même. Cela implique la construction de comités d’action de
travailleurs de tous les secteurs qui viennent en aide à tous ceux qui sont
attaqués et le développement d’un programme visant à mettre l’économie sous
contrôle social et démocratique.
Cela signifie renverser le régime bourgeois actuel et
établir un gouvernement ouvrier fondé sur le mouvement de masse de la classe
ouvrière et établir une unité politique avec les travailleurs de tous les pays
contre les attaques internationales de leurs moyens d’existence, qu’elles
soient d’ordre économique et social ou néocolonial comme en Irak et en
Afghanistan.
A cette fin, il est nécessaire de construire un nouveau mouvement
socialiste international, tâche à laquelle se consacre le WSWS. Nous
encourageons tous les travailleurs et tous les jeunes à rejoindre ce combat.