Le 31 mai, le magazine d’actualités Marianne
a publié un débat entre la candidate du Parti socialiste (PS) aux élections
présidentielles de 2007, Ségolène Royal et Olivier Besancenot, porte-parole de
la LCR (Ligue communiste révolutionnaire) et ancien candidat à la
présidentielle. Répondant à une série de questions durant l’interview, Besancenot
a laissé entendre qu’il envisagerait de participer à un gouvernement PS.
Ce débat arrive à un moment où le PS cherche à
la fois à tirer parti et à contenir l’amertume populaire croissante envers l’establishment
politique et la colère envers le président gaulliste conservateur Nicolas
Sarkozy.
Les promesses électorales de Sarkozy
d’augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs ont volé en éclats avec la
flambée du prix des carburants et des produits alimentaires qui ont provoqué
une vague de grèves des marins-pêcheurs, des routiers et des fermiers. Dans le
même temps, le président gaulliste poursuit sa politique d’austérité,
provoquant grèves et manifestations dans divers secteurs économiques, dont le
transport maritime, les transports et les services publics.
Royal a dit clairement dans Marianne
qu’elle était tout à fait consciente des risques sérieux que le discrédit de
Sarkozy posait à tous les partis bourgeois. Elle a dit : « Les gens
ont été trompés par l'énergie de la parole de Nicolas Sarkozy qui disait :
"Vous allez voir, votez pour moi et je vais tout résoudre parce que je
suis un surhomme !". Aujourd'hui, le désespoir par rapport à ces
promesses risque de décrédibiliser, si l'on n'y prend garde, toutes les formes
d'exercice du pouvoir. »
Royal et Besancenot se sont donné beaucoup de
mal pour mettre l’accent sur le fait qu’ils étaient prêts à travailler
ensemble. Quand Marianne a demandé à Besancenot s’il considérait qu’un
débat avec Royal avait quelque chose d’un « combat », Besancenot a
répondu : « Non, non, je suis venu dans l'idée de débattre. »
Royal a immédiatement ajouté, « Il est des confrontations
créatrices. »
Besancenot a dit clairement qu’il cherchait à
travailler avec le PS: « Parlons concrètement : comment faire là où
on est, avec nos divergences, pour aider à ce qu'un front solide, massif, majoritaire
réponde aux attaques d'un gouvernement qui cherche à opposer les uns aux
autres. [...] Nous pouvons avoir des propositions différentes, mais il faut
d'abord résister aux 55 contre-réformes libérales de Sarkozy. Pour cela, on
devrait être soudés et unis dans les mobilisations. »
Royal a cherché à démontrer la compatibilité
de sa politique avec la rhétorique de Besancenot. En réponse aux éloges de
l’anarchisme et du contrôle local des recettes de l’Etat, exprimés par Besancenot,
Royal a maintenu, de façon absurde, que son initiative, en tant que présidente
de la région Poitou-Charente, d’accorder aux lycées un contrôle partiel sur les
fonds accordés par la région, prouvait qu’elle était une
« révolutionnaire. » Néanmoins, Royal a ajouté qu’il était possible
de « bâtir une opposition cohérente à Nicolas Sarkozy sans être d'accord
sur toutes les solutions alternatives. »
A la fin de l’interview, Marianne a
demandé à Besancenot : « Pour que la gauche gagne en 2012, la LCR
est-elle prête à appeler à voter socialiste, voire à participer, au lendemain
d'une victoire, à un gouvernement de gauche ? »
Besancenot a répondu : « Moi, je ne
suis pas obsédé par 2012. Nous contestons l'hégémonie du PS sur la gauche et
nous revendiquons notre indépendance. [...] Mais aller dans un gouvernement de
gauche anticapitaliste, qui remette en cause l'économie de marché, je ne suis
pas contre. »
Commentant les possibilités d’une gauche unie,
Royal a dit : « Il faut un Parti socialiste très attractif. Je ne me
satisfais pas d'un parti qui ait si peu d'adhérents. Tout le monde sera le
bienvenu pour construire un autre monde. Mais si, plutôt que d'assumer les
responsabilités du pouvoir, d'autres veulent rester dans les luttes, c'est leur
choix et je le respecte. »
Besancenot a répondu: « Rassurez-vous,
nous ne nous résignons pas à n'être que dans les luttes. [...] Si vous aviez
été élue présidente, votre gouvernement aurait eu une opposition politique à sa
gauche qui aurait appuyée ce qui serait allé dans le bon sens et, qui, sur le
restant, aurait agi suffisamment pour le faire avancer à coups de pied dans le
derrière. »
Ces paroles de Besancenot révèlent clairement
le caractère collaborationniste de classes de la politique du « faire
pression » adoptée par la direction de la LCR. Ces commentaires mettent
aussi en lumière la nature de ce projet d’une « gauche
anticapitaliste », dont le manque de référence à Trotsky ou au socialisme
révolutionnaire a pour objectif de permettre des compromis avec toutes sortes
de forces politiques.
La LCR se prépare en ce moment à se dissoudre
dans un nouveau parti anticapitaliste (NPA), dont le but est de rassembler tous
les déçus à la gauche du PS - dans la soi-disant « extrême-gauche »,
parmi des sections du Parti communiste français (PCF), dans les cercles
universitaires, etc – dans un grand parti politiquement informe qui cherchera à
intervenir dans la politique bourgeoise française. La perspective des
fondateurs du NPA au sein de la LCR, en totale opposition avec le marxisme
révolutionnaire, est la perspective d’un parti qui fasse pression sur les
politiciens bourgeois pour qu’ils gouvernent d’une manière qui semble
acceptable aux classes opprimées de la société capitaliste.
Il est significatif que la campagne de la LCR
pour fonder le NPA s’accompagne de l’adoption de Che Guevara comme symbole du
mouvement et la mise au rencard des anciennes prétentions trotskystes de la
LCR. En mars de l’année dernière, Besancenot avait déclaré publiquement qu’il
n’avait jamais été trotskyste.
La campagne de la LCR a été accueillie par un
battage de la part des grands médias, ce qui accorde à Besancenot un temps
d’antenne substantiel. En conséquence, sa cote de popularité dans les sondages
bourgeois a grimpé en flèche. Un sondage ifop de mai dernier a révélé qu’il
était le troisième politicien de gauche le plus populaire, devant Royal
elle-même. Pour le PS, qui cherche à tout prix à rétablir une certaine
crédibilité politique, une alliance avec la LCR lui accorde un moyen de se
refaire une crédibilité auprès des électeurs de gauche.
Bien qu’il soit le parti de gouvernement
« de la gauche » que la bourgeoisie française préfère, le PS ne s’est
jamais vraiment remis de sa défaite humiliante du premier tour de l’élection
présidentielle de 2002, qui a fortement ébranlé l’illusion que le PS représente
une alternative politique à la droite bourgeoise.
Hostile à la politique sociale droitière et
aux nombreuses privatisations effectuées par le gouvernement PS du premier
ministre Lionel Jospin, les voix de la gauche s’étaient partagées entre le PS,
l’« extrême-gauche » soi-disant trotskyste, le Mouvement citoyen,
maintenant disparu, de Jean-Pierre Chevènement, les Verts et le Parti
communiste. Le président sortant de droite Jacques Chirac ainsi que le candidat
néofasciste Jean-Marie Le Pen avaient tous deux battu Jospin, le candidat PS,
qui n’avait donc pas pu rester au second tour de l’élection.
A l’époque, le World Socialist Web Site
avait publié une lettre ouverte à la LCR et aux autres partis qui se disent
trotskystes, Lutte ouvrière et le Parti des travailleurs, appelant à un boycott
ouvrier du second tour de l’élection présidentielle, qui proposait aux
électeurs le choix entre deux candidats bourgeois de droite, Chirac et Le Pen.
La LCR avait rejeté cette ligne politique basée
sur des principes et avait préféré adopter la position de l’establishment français
consistant à appeler à voter pour Chirac. Cette action, et la couverture
politique que la LCR a fournies à la bureaucratie syndicale au moment où elle
trahissait les mouvements massifs de grève contre la politique d’austérité du
gouvernement en 2003, 2006 et 2007, ont conduit une section du PS à envisager
la possibilité que la LCR pourrait leur être utile.
Tout spécialement depuis l’élection de Sarkozy
l’année dernière, le PS sonde activement la direction de la LCR et les contacts
entre le PS et la LCR se font de plus en plus ouvertement. En décembre dernier,
Henri Weber, responsable haut placé du PS et ex- membre de la LCR rencontrait
le dirigeant de la LCR Alain Krivine tandis que des éloges publics de Besancenot
émanaient de plusieurs ténors du PS.
A l’époque, Le Monde avait écrit un
article intitulé « La question des alliances est posée » faisant
remarquer que le PS ne pouvait espérer revenir au pouvoir sans l’aide supplémentaire
d’un parti à sa gauche.
Faisant référence au Congrès d’Epinay de 1971,
où le PS avait été formé sur la base d’une alliance avec le PCF, Le Monde
écrivait : « Le PC n'existe plus électoralement (1,3 pour cent pour
Mme Buffet en 2007 contre 15,3 pour cent pour Georges Marchais en 1981). Il en
est de même pour les Verts. [...] La gauche ne peut plus prétendre revenir au
pouvoir avec les alliances qui étaient celles du "cycle d'Epinay". »
L’idée de s’allier à la LCR pour essayer de
revenir au pouvoir est quelque peu controversée dans les cercles PS. Les
sympathisants du maire de Paris, Bertrand Delanoë, principal rival de Royal
pour la direction du PS, se sont mis à appeler Royal « Che’golène
Royal », pour se moquer des efforts qu’elle déploie pour se faire passer
pour plus à gauche qu’elle n’est. Ces sections du PS préfèrent une alliance
avec le politicien bourgeois de droite, François Bayrou et son Mouvement
démocratique (Mo-Dem.)
Néanmoins, certains éléments du PS envisagent
clairement cette idée. Selon Le Monde, après la prestation télévisée de Besancenot
le 11 mai, sur le plateau de l’émission « Vivement dimanche » sur
France 2, le secrétaire national du PS François Hollande a demandé au
représentant parisien du PS, Daniel Vaillant d’étudier « l'impact que
pourrait avoir la constitution d'un pôle de radicalité » sur la politique
française. Vaillant a dit qu’il allait « observer de près » les
efforts de la LCR pour former le NPA.
Vaillant a dit au Monde :
« En 1974, François Mitterrand avait confié à Lionel Jospin une mission
d'observation sur les relations avec le parti communiste. Ses travaux avaient
été très utiles. » En fait, ils avaient été tellement utiles que cela
avait conduit à l’alliance électorale entre le PS et le PCF qui avait permis à
Mitterrand de gagner la présidence en 1981.