Tandis que l’hostilité contre le gouvernement
du président Nicolas Sarkozy et sa politique d’austérité prend de l’ampleur, le
gouvernement français procède à de nouvelles réformes visant à diminuer le
niveau de vie des travailleurs. Cette fois, la réforme cible les chômeurs et
vise à diminuer leurs allocations et, plus généralement, à faire d’eux une
source de main-d'œuvre à bon marché, facilement contrôlée, en leur supprimant
les allocations s’ils rejettent deux propositions d’emploi.
Le 6 mai, le ministre de l’Economie a
rencontré les « partenaires sociaux » (c'est-à-dire les organisations
patronales et les syndicats, qui travaillent main dans la main pour préparer la
mise en place des attaques sur les acquis sociaux) pour renégocier le système
de l’assurance-chômage. Ils ont présenté un avant-projet de loi sur
« l’offre raisonnable d’emploi » et qui devrait être votée d’ici la
fin de l’été.
Ce projet de loi spécifie qu’après trois mois
de chômage, le demandeur d'emploi ne pourrait pas refuser deux fois un emploi
« compatible avec ses qualifications », « rémunéré à 95 pour
cent du salaire antérieur », « dans la zone définie ». Au bout
de six mois de chômage, « le demandeur d'emploi s'engagerait à ne pas
refuser plus de deux offres d'emploi compatibles avec ses qualifications
rémunérées à 80 pour cent du salaire antérieur ». L'emploi devra également
être situé à 30 km du domicile ou se trouver à une heure de transport en
commun. Après un an sans emploi, serait considérée comme
« raisonnable » tout emploi proposé d'un montant supérieur à
l'allocation chômage (57,4 pour cent dans le cas général) avec toujours les
mêmes dispositions sur la distance entre le lieu de travail et le domicile et
le temps de transport.
Le document donnant le détail des mesures de
cette réforme soumise aux organisations syndicales et patronales fait remarquer
qu’après deux refus, « Les demandeurs d'emploi qui refuseraient ces mesures
pourraient se voir radiés pendant deux mois avec le cas échéant, la suspension
de l'allocation perçue. »
Le quotidien de centre-gauche Le Monde
n’a pas hésité à déclarer l’objectif de ce projet de loi dans le titre de son
article : « Le but : obliger les chômeurs à prendre les "bad
jobs". »
Après une réunion de plus entre syndicats et
patrons le 26 mai dernier pour considérer la proposition finale du texte du
projet de loi, les représentants de la bureaucratie syndicale ont dénoncé ce
texte comme étant « injuste » et « malsain ». Conformément
à la position habituelle des syndicats, selon laquelle les attaques du
gouvernement vont trop loin, bien qu’elles aillent, dans l’ensemble, dans la
direction nécessaire, le leader de la CGT (Confédération générale du travail)
Jean-Christophe Le Duigou a dit : « il n’y a pas besoin d’instrument
supplémentaire visant une fois de plus à faire porter la pression sur le
salarié à la recherche d’un emploi. »
Ce n’est que le dernier exemple en date de
toute une série d’initiativeslégislatives cette année où les syndicats
ont collaboré avec le gouvernement pour ensuite exprimer quelques critiques
mineures une fois que la mesure est prête à passer. On peut citer comme autres
exemples de telles pratiques la réforme du Code du travail de janvier 2008 en
faveur du patronat et la réforme en mars 2008 de la représentation syndicale,
ainsi que l’étouffement en octobre novembre 2007 des grèves des transports
contre la suppression des régimes spéciaux de retraite. Le président Nicolas
Sarkozy avait écrit un long éditorial dans le quotidien Le Monde
intitulé « Pour des syndicats forts », qui commençait par ces mots,
« j'ai l'intime conviction que, pour expliquer et mener à bien les
réformes dont notre pays a besoin, nous devons le faire en partenariat étroit
avec ceux qui représentent les intérêts des salariés et des entreprises. »
Le Duigou avait répondu dans une interview
accordée au Financial Times et dans laquelle il faisait l’éloge de
Sarkozy : « Il comprend que nous devons donner une place au dialogue.
Nous nous trouvons à un tournant dans la situation sociale de notre pays. Tout
le monde pense que les choses doivent changer. »
La bourgeoisie française ressent le besoin
urgent de faire des coupes dans l’assurance-chômage, et plus généralement dans
les dépenses publiques, afin de rivaliser dans la course vers le bas, en terme
de salaires et de conditions de vie des travailleurs, qui se déroule en ce
moment dans l’Europe capitaliste.
A cet égard, la bourgeoisie allemande a une
avance considérable sur la bourgeoisie française. Le gouvernement
social-démocrate (SPD) a introduit la réforme des services sociaux Hartz IV en
2005, grâce à laquelle il a été en mesure de faire des économies massives en
matière de dépenses sociales. Cette réforme a contraint de nombreux chômeurs à
accepter n’importe quel emploi très mal payé et a eu pour conséquence que de
nombreux chômeurs ont perdu leurs allocations chômage. Avec les lois Hartz IV,
des millions d’Allemands vivant dans la pauvreté reçoivent 347 euros par mois.
Selon le dernier rapport sur la pauvreté publié par le gouvernement, plus d’un
Allemand sur huit, soit 13 pour cent, vit au-dessous du seuil de pauvreté,
chiffre qui a brutalement augmenté depuis l’introduction de Hartz IV.
La bourgeoisie française a néanmoins fait une
très longue campagne pour diminuer les dépenses sociales et notamment les
allocations chômage.
Le système de l’assurance-chômage français
UNEDIC (Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi) a été créé en 1958
sous le contrôle conjoint du patronat et des syndicats. C’est un système relié
à l’emploi et qui obtient la plus grande part de son financement des
contributions des employeurs et des employés, prélevées sur le salaire des
employés. L’UNEDIC et l’ASSEDIC (Association pour l’emploi dans l’industrie et
le commerce) gèrent le programme d’assurance-chômage. L’ASSEDIC est responsable
du fonctionnement du programme et l’UNEDIC coordonne les activités de
l’ASSEDIC.
Une autre agence d’importance, l’ANPE (Agence
nationale pour l’emploi) a été crée en 1967 comme entité administrative
publique sous la tutelle du ministère de l’Economie, de l’Industrie et de
l’Emploi. Sa mission première est de mettre en relation demandeurs d’emploi et
employeurs à la recherche de personnel.
Depuis la crise économique de la fin des
années 1970, notamment dans les industries majeures comme l’aciérie, la
métallurgie et les mines, le taux de chômage augmente de façon substantielle et
les difficultés financières de l’UNEDIC sont devenues récurrentes. Le nombre de
chômeurs était passé de 400 000 en 1973 à 840 000 en 1975.
Depuis le début des années 1980, des réformes
successives ont réduit les allocations chômage, à la fois en termes de période
de cotisation requise pour prétendre à cette allocation et en termes de somme
allouée. Après 14 mois de cotisation à l’assurance-chômage, un smicard
(travailleur payé au smic, salaire minimum) de moins de 50 ans aurait reçu 36
mois d’allocations chômage en 1979, 30 mois en 1984 et 23 mois en 2001. En
1979, les smicards au chômage recevaient 60,8 pour cent de leur salaire brut
pendant 36 mois. En 1997, ils recevaient 53,5 pour cent pendant 30 mois. En
1990, l’assurance-chômage couvrait un demandeur d’emploi sur deux.
Ces coupes se sont produites sous divers
gouvernements conduits par le Parti socialiste (PS), initialement sous la
présidence de François Mitterrand et ont été accomplies en attaquant les
travailleurs ayant des emplois irréguliers ou de longues périodes de chômage.
En 1982, le paiement de l’allocation chômage a été indexé à la durée de
cotisation à l’UNEDIC du travailleur au chômage durant sa période d’emploi.
Avec sa réforme de 1984 qui a divisé le
système en deux, le gouvernement Mitterrand a encore attaqué ceux qui n’avaient
pas cotisé longtemps : les fonds de l’assurance-chômage gérés par les
syndicats et les patrons, qui couvrent uniquement les travailleurs ayant cotisé
longtemps ; et un système de soutien contrôlé par le gouvernement, qui
couvre ceux qui n’ont pas droit à l’assurance-chômage, c'est-à-dire les
chômeurs de longue durée, les jeunes, et ceux qui ont des emplois précaires.
La réforme de 1992 a attaqué un peu plus
encore les droits des chômeurs de longue durée : les allocations chômage
ont été placées sur une échelle mobile descendante, du fait qu’elles étaient
réduites de 17 pour cent tous les quatre mois.
En décembre 2000, un accord a été signé par
les organisations patronales et les syndicats et suivant lequel tous les
demandeurs d’emploi couverts par l’UNEDIC étaient tenus de signer un contrat
PARE (Plan d’aide au retour à l’emploi). S’ils ne respectaient pas les termes
de l’accord, ils voyaient leurs allocations diminuer. Il en a résulté qu’en
2000, 46 pour cent des chômeurs ont été exclus des allocations chômage et 31
pour cent recevaient moins de 460 euros par mois. En 2002, les organisations
patronales et les syndicats ont signé un autre accord draconien, rendant plus
difficile l’accès aux allocations. Cet accord réduisait la période de
couverture de 30 à 23 mois.
Participant d’une réforme générale du marché
du travail négociée avec les syndicats et des groupes d’employeurs en janvier
dernier, le gouvernement a fusionné l’ANPE et l’ASSEDIC. Cette fusion va
conduire à des suppressions d’emplois dans ces deux organismes et à l’application
plus étroite de contrôles et de sanctions contre les chômeurs. Le 15 mai, le
personnel de l’ANPE était en grève aux côtés des travailleurs du secteur public
pour protester contre les suppressions de postes dans la fonction publique.
Ces suppressions se produisent précisément au
moment où une légère baisse du taux de chômage réduit les responsabilités de
l’UNEDIC et lui donne un excédent budgétaire. Ceci confirme que l’objectif
principal de ces réformes n’est pas d’équilibrer les comptes de l’Etat, mais de
rendre effective la décision stratégique d’attaquer le niveau de vie de la
classe ouvrière.
Le taux de chômage actuel est de 7,8 pour
cent, ce qui représente environ 2,1 millions de chômeurs. Selon un rapport de
la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des
statistiques) en 2006, seuls 51 pour cent des chômeurs étaient couverts par le
système d’assurance-chômage UNEDIC. Mais aujourd’hui, plus de 16,5 millions de
salariés cotisent pour ce système d’assurance-chômage, générant plus de 30
milliards d’euros de recettes.
Selon APNEE (Alternatives pour une nouvelle
économie de l’emploi), organisme crée par un groupe de chômeurs, « Après
avoir cumulé un déficit de 15 milliards d'euros en 2005, les caisses de
l'Unedic redeviennent excédentaires : + 344 millions en 2006, + 3,5
milliards en 2007, avec une prévision de 5 milliards pour 2008. Ce redressement
spectaculaire est la conséquence de la réduction du nombre des
allocataires : on rappelle qu’aujourd'hui plus de la moitié (52,5 pour
cent) des chômeurs ne sont pas indemnisés par l'Assedic. Le but du jeu est de
poursuivre le massacre, avec pour double effet de continuer à résorber ce
déficit sur le dos des demandeurs d'emploi, tout en annonçant un taux de
chômage de plus en plus présentable aux yeux de l'opinion. »