Le président français Nicolas Sarkozy a présidé dimanche dernier un sommet
de 44 dirigeants de pays européens et méditerranéens qui a procédé à la
fondation de « l’Union pour la méditerranée ». La plupart des
chefs d’Etat présents ont été invités le jour suivant au défilé militaire
et aux célébrations marquant la fête nationale du 14 juillet.
Cette nouvelle union est conçue comme une tête de pont politique et
économique entre les Etats d’Europe de l’Ouest et les principaux
Etats d’Afrique du Nord, des Etats arabes et des Balkans, situés sur la
mer Méditerranée. Cette union avait été prévue, à l’origine, par Sarkozy
pour être exclusivement dirigée par la France, mais une opposition virulente,
notamment du gouvernement allemand, a conduit Sarkozy à accepter un compromis
permettant aux 27 Etats membres de l’Union européenne d’y
participer.
L’unique pays méditerranéen majeur à ne pas y participer a été la
Libye dont le dirigeant, Mouammar Kadhafi, a décliné l’invitation. Les
rois du Maroc et de la Jordanie n’étaient pas présents non plus, mettant
en avant d’autres engagements, mais ont envoyé des émissaires de haut
rang à leur place.
Après le sommet, un certain nombre de délégués ont applaudi
l’initiative de fonder cette union. Bien qu’elle ait exprimé en
avril dernier son opposition initiale au projet d’union de Sarkozy, la
chancelière allemande Angela Merkel a déclaré que cette réunion de trois heures
représentait « un très bon début pour une nouvelle phase dans la coopération »
entre l’Europe et le Sud.
Les décisions prises lors du sommet et concernant des pays dont la
population totale représente 800 millions de personnes, ont incontestablement étémaigres. Il n’y a eu d’accord sur aucun objectif politique
majeur. Au contraire, de modestes propositions ont été faites concernant
l’environnement, le climat, les transports et l’éducation. Les
dirigeants se sont mis d’accord pour tenir un sommet tous les deux ans,
avec pour objectif de rédiger une déclaration politique et une courte liste de
projets régionaux concrets. De plus, les ministres des Affaires étrangères se
réuniront tous les ans pour examiner les progrès accomplis, préparer les
sommets et approuver les projets.
Les questions d’immigration et de surveillance policière figuraient en
haut de la liste de l’agenda de l’union. Il ne se passe pas un jour
sans qu’un rapport abominable ne fasse état de groupes d’immigrants
africains en rade ou se noyant alors qu’ils cherchaient à atteindre
l’Europe, et une des priorités majeures de Sarkozy est de garantir une
immigration plus difficile et des contrôles policiers plus stricts afin
d’empêcher en premier lieu les immigrants de quitter leur pays.
Malgré l’absence de propositions politiques majeures,
l’initiative de Sarkozy a de sérieuses implications au niveau
international.
En premier lieu, la conférence de Paris a, dans les faits, mis fin à
l’isolement politique du président syrien Bashar al-Assad qui est depuis
longtemps considéré comme un paria politique par les Etats-Unis. Assad était
assis à la même table de négociation que le premier ministre israélien Ehoud
Olmert, ce qui a fait couler beaucoup d’encre.
Bien qu’Assad ait froidement évité tout contact personnel durant la
réunion au Palais de l’Elysée, on considère que c’est la première
occasion où les chefs d’Etat respectifs de ces deux pays se sont retrouvés
dans la même salle. Cet événement fait suite à trois séries de négociations ces
derniers mois entre ces deux pays, avec la Turquie pour médiateur.
Samedi dernier, Sarkozy a pu revendiquer un succès de plus lorsque Assad et
le nouveau président libanais Michel Suleiman se sont mis d’accord pour
ouvrir des ambassades dans leurs capitales respectives. Toujours prêt à
exploiter une occasion d’apparaître en photo, Sarkozy a aussi posé à
l’entrée de la conférence auprès d’Olmert et du président
palestinien, Mahmoud Abbas.
Depuis sa venue au pouvoir il y a plus d’un an, la présidence de
Sarkozy a été marquée par un activisme débordant sur la scène internationale. Il
y a tout juste une semaine, Sarkozy a pris la présidence tournante de
l’Union européenne et annoncé un programme ambitieux pour les six mois à
venir avec pour objectif de sauver la constitution européenne qui patauge,
ainsi que de nouvelles propositions pour réprimer l’immigration et renforcer
la politique sécuritaire.
Le sommet parisien de dimanche dernier avait été précédé par une série
répétée de visites et de négociations par le ministre français des Affaires
étrangères Bernard Kouchner et Sarkozy lui-même, avec bon nombre de pays qui y
ont participé, notamment Israël, la Syrie et le Liban.
Les motivations de Sarkozy sont loin d’être altruistes. Bien
qu’il ait été contraint de reculer sur sa vision originelle d’un
monopole politique français sur l’Union pour la Méditerranée, Sarkozy est
déterminé à s’assurer que l’organisation constituée ce week-end soit
fortement sous contrôle français. Pour la presse conservatrice française, la
création de l’union représente le retour de la France à une position
proéminente au Proche-Orient. Le Figaro écrit triomphalement : « Le
lancement, ce week-end à Paris, de l'Union pour la Méditerranée célèbre en
grande pompe le retour de la France au Proche-Orient. La présence à la même
table de l'Israélien Ehoud Olmert, du Syrien Bachar el-Assad et du Libanais
Michel Sleimane est un premier triomphe pour un projet qui a connu bien des
vicissitudes avant de voir le jour…Nicolas Sarkozy va parrainer,
aujourd'hui à l'Élysée, l'établissement d'une nouvelle relation entre Damas et
Beyrouth. »
Le quotidien poursuit en faisant remarquer les risques encourus à jouer le rôle
de « parrain », mais conclut que « cette lourde responsabilité
qu'assume le président de la République est à la hauteur des ambitions que
notre pays a toujours entretenues pour le Liban et pour la région. »
Dans son propre commentaire sur la constitution de la nouvelle union, le journal
allemand Süddeutsche Zeitung insiste sur le fait que Sarkozy cherche à
exploiter l’influence déclinante des Etats-Unis au Proche-Orient pour rétablir
à nouveau un rôle majeur pour la France :
« Il considère l’Union pour la Méditerranée, ainsi que la
présidence française de l’Union européenne (UE) comme une double
opportunité pour s’engouffrer dans le vide qui a émergé au Proche-Orient durant
le changement de présidence à Washington. Sarkozy espère rétablir un rôle pour Paris
dans cette région, qui dépasse celui joué par d’autres Etats de
l’UE. »
Dans le dernier Le Monde diplomatique, l’expert en politique
internationale Alain Gresh identifie un certain nombre de questions qui
marquent une rupture majeure de la part du gouvernement Sarkozy d’avec
les principales lignes de politique étrangère adoptées par des gouvernements
gaullistes successifs depuis les années 1950.
Gresh fait remarquer : « Depuis son élection à la présidence en
mai de l’année dernière, Nicolas Sarkozy concentre dans ses mains la
politique étrangère tout en la détournant vers des alignements et des alliances
tout à fait à l’opposé de ceux de Jacques Chirac. La politique étrangère
est à présent pro-Israël, pro-Etats-Unis et pro-OTAN, alors qu’avant elle
les rejetait tous trois ouvertement. » [retraduit de l’anglais.]
Le changement des priorités françaises en matière de politique étrangère
sous la présidence de Sarkozy est souligné par le fait que, défiant le
protocole traditionnel, l’ancien président Jacques Chirac n’a pas
pris part aux célébrations du 14 juillet. Chirac était un ami proche du premier
ministre libanais assassiné, Rafiq Hariri, et il s’est montré très
critique envers Sarkozy pour avoir invité Assad à prendre part aux cérémonies à
Paris.
L’orientation de Sarkozy vers les Etats-Unis et Israël, qui marque une
rupture brutale d’avec l’ancienne politique gaulliste, lui a valu
des critiques de ses opposants politiques du Parti socialiste disant
qu’il est un « un néo-conservateur américain avec un passeport
français. »
D’autres voix s’élèvent pour avertir le président français des
conséquences d’un rapprochement avec Washington. Thierry Fabre, sur le
site Internet Rue 89 met en garde, « Se rapprocher en ce moment de
L'OTAN et des Etats-Unis, complètement déconsidérés après l'intervention
militaire en Irak et ses effets désastreux, pose un sérieux problème de crédibilité
à la France. »
Mais il est clair que Sarkozy n’agit pas simplement en substitut de
Washington. L’administration Bush reste hostile à la Syrie et pourtant le
président syrien a réussi à exploiter son voyage à Paris, donnant des
interviews à la presse française lundi critiquant la politique américaine au
Proche-Orient et mettant en garde contre les conséquences d’une guerre
contre l’Iran.
Dans une situation d’énormes changements politiquesau
Proche-Orient, résultant principalement de la guerre en Irak, Sarkozy cherche à
mettre le cap dans une direction qui permette à la France d’augmenter son
influence politique et économique dans la région. En même temps, il souhaite
éviter tout conflit déclaré avec les Etats-Unis.
Les effets de la guerre en Irak, auxquels s’ajoutent des difficultés
économiques qui augmentent, ont conduit à une instabilité grandissante au
Proche-Orient. Les médias ont noté que les efforts du premier ministre
israélien actuellement en difficulté, efforts pour utiliser la conférence de
Paris dans le but de détourner l’attention de sa propre crise politique
et de souffler la vedette à ses détracteurs, avaient lamentablement échoué.
Confronté à une série d’accusations de corruption, Olmert essuie le feu
de son propre parti et est considéré comme un dirigeant éclopé et sans aucune
crédibilité politique.
Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a publié une déclaration avant
de quitter Paris dans laquelle il critique sévèrement la France pour son
opposition à l’entrée de la Turquie dans l’UE. Les analystes
politiques disent que l’unique raison pour laquelle Erdogan a assisté au
sommet est sa volonté de se servir de cette occasion pour recueillir le soutien
des dirigeants européens et du Proche-Orient dans sa propre bataille contre la Cour
suprême turque, qui cherche à bannir son parti.
Celui qui présidait la conférence aux côtés de Sarkozy, le président
égyptien Hosni Mubarak est à la tête d’un pays de plus en plus instable
qui a été le théâtre, à plusieurs reprises ces derniers mois, d’émeutes
de la faim.
Toute tentative par Sarkozy de combler effectivement le vide au
Proche-Orient et dans la région méditerranéenne nécessite qu’il
s’assure des alliés fermes pour son projet parmi les autres grands Etats
européens. A diverses étapes, Sarkozy a fait des avances à la Grande-Bretagne
et à l’Allemagne, mais les liens restent hésitants. Des différends ont
émergé entre l’Allemagne et la France ces derniers mois concernant un
certain nombre de questions économiques, et plus récemment sur la question de
la politique financière de la Banque centrale européenne.
Sous la pression allemande, Sarkozy a revu ses projets d’Union pour la
Méditerranée. En retour la chancelière allemande a exprimé son approbation pour
la réunion de Paris, mais la relation entre ces deux pays reste fragile.
Résumant la conférence, le journal français Les Echos a déclaré que « l'impression
sera trompeuse. Car, lors de ce grand raout, ce n'est pas lui, mais Angela
Merkel, qui triomphera. En silence. Discrètement, comme à son habitude. Mais
avec une belle assurance. Celle des vainqueurs sûrs de leur fait, de leur force
tranquille. La chancelière allemande a imposé au président français que l'Union
pour la Méditerranée soit sérieusement recadrée... Angela Merkel ne voulait pas
d'une Union pour la Méditerranée qui divise les Vingt-Sept. Elle a obtenu gain
de cause : Nicolas Sarkozy a dû lui céder pour sauver leur couple... Après les
brouilles et les infidélités, le couple s'affiche de nouveau uni. Et
harmonieux… Pas question néanmoins de tolérer de nouveaux écarts de
conduite. Angela Merkel a passé l'éponge. Mais ne veut pas que l'épisode de
l'Union pour la Méditerranée se reproduise. Nicolas Sarkozy reste sous
surveillance. »
Merkel a exprimé son approbation pour la conférence de Paris parce
qu’à ce stade les initiatives de politique étrangère du président
français vont, en grande partie, dans le même sens que celles de Berlin.
Cependant, la discorde grandissante entre les principales puissances
européennes a été un facteur majeur de déstabilisation de l’Union
européenne. Il n’y a aucune raison de penser que le projet de Sarkozy d’une
Union pour la Méditerranée aura davantage de succès.
(Article original anglais paru le 16 juillet 2008)