L’occupation des locaux de la CGT à la Bourse du travail
de Paris, par quelque 800 immigrés sans-papiers organisés par la Coordination
des sans-papiers 75 (CSP75), entre dans sa dixième semaine. Les occupants exigent
le soutien du syndicat pour leur demande de permis de séjour en France.
La CGT, proche du Parti communiste stalinien, n’est prête
qu’à s’occuper du cas des travailleurs sans-papiers syndiqués chez
elle. La préfecture de Paris insiste pour exiger que toutes les demandes de
régularisation passent par la CGT, ce qui fait du syndicat une sorte
d’intermédiaire entre le gouvernement et les sans-papiers.
Le refus de la CGT de s’occuper du cas des travailleurs
sans-papiers représentés par CSP75, après que la préfecture ait demandé à ces
derniers de passer par la CGT, les a laissés dans une impasse dont ils ont
essayé de sortir en occupant la Bourse du travail.
Pendant les trois premières semaines de l’occupation qui
a débuté le 2 mai, la CGT a isolé les occupants, en demandant aux associations
d’aide de boycotter ce mouvement. La CGT a même persuadé le maire du 3e
arrondissement, où se trouve la Bourse du travail, de revenir sur sa promesse
de fournir du lait et autres aliments de première nécessité aux enfants.
Lorsque l’un des quatre grévistes de la faim faisant
partie de l’occupation s’est rapproché de l’organisation Médecins
du monde il lui a été répondu qu’il leur faudrait d’abord
passer par la CGT avant que les médecins de l’organisation ne puissent
s’occuper des grévistes de la faim.
Les délégués de CSP75 reconnaissent que jusqu’au 28 mai,
l’unique organisation de gauche à soutenir leur lutte a été le WSWS.
La soi-disant organisation « d’extrême-gauche »
la Ligue communiste révolutionnaire, qui espère obtenir le soutien de la
CGT pour le lancement cette année du « Nouveau parti
anticapitaliste », a été l’un des défenseurs les plus déterminés du
syndicat stalinien. L’hebdomadaire de la LCR, Rouge est
immédiatement venu au secours des bureaucrates de la CGT et attaqué « la
dommageable occupation de la Bourse du travail de Paris par la coordination 75, »
l’accusant d’être responsable du « poison de la
division. »
Une prise de position de la LCR sur son site Internet laisse
entendre que l’action de la Coordination 75 fait le jeu du
gouvernement : « Le gouvernement a peut-être trouvé le moyen par
lequel il souhaite diviser et neutraliser le mouvement en cours des travailleurs
sans-papiers. »
La LCR participe depuis à la conspiration du silence pratiquée
par les médias au sujet de l’occupation. Entre temps, la LCR loue sans
aucune critique la campagne pour la régularisation, sous forme de grèves et d’occupations
des lieux de travail, des travailleurs sans-papiers organisés par la CGT. Ces
actions sont en majorité faites en collaboration avec des employeurs qui
comptent sur ces travailleurs pour que leur entreprise soit profitable, dans
les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration, des services de
nettoyage, du bâtiment.
Régularisation par l’emploi
Les lois d’immigration extrêmement restrictives mise en
place par le gouvernement du président Nicolas Sarkozy depuis son élection en
mai 2007 ont crée une situation où les patrons d’entreprise qui
employaient des immigrés sans-papiers sans regarder de trop près leurs papiers,
sont à présent tenus de faire viser le permis de séjour de leurs employés par
la police et risquent d’être poursuivis ou de perdre leur main
d’œuvre.
Le Monde du 4 juillet expliquait
la solution qui avait été trouvée : « La brèche finira de s'ouvrir
avec un amendement à la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de
l'immigration, déposé par un proche de M. Sarkozy, le député UMP des
Hauts-de-Seine Frédéric Lefebvre. Cet amendement de « bon sens »,
selon les termes même de son auteur, permet à un employeur de « bonne foi »,
ayant fait travailler un sans-papiers à son insu, de se tourner vers la
préfecture pour demander sa régularisation... Il a fait l'objet d'une circulaire
en date du 7 janvier… Le principe d’une régularisation par
l’emploi est acté. »
Lefebvre, chef d’entreprise et lobbyiste de profession pour
les grandes entreprises, n’agissait nullement par souci humanitaire
lorsqu’il a proposé son amendement permettant la régularisation par
l’emploi. Il a démontré son extrême antipathie pour les immigrés quand il
s’est servi de la mort tragique de Belkacem Souli, un Tunisien de 41 ans,
décédé d’un arrêt cardiaque du fait des mauvaises conditions de sa
détention au centre de rétention de Vincennes, pour lancer une chasse aux
sorcières contre les organisations de soutien aux sans-papiers. En réaction à
la mort de Belkacem Souli, des retenus du centre avaient incendié le bâtiment.
Lefebvre avait demandé que « toutes les conséquences [soient] tirées y
compris au plan judiciaire si la responsabilité de membres de collectifs comme
RESF [Réseau éducation sans frontière] était avérée. »
La disposition extrêmement discriminatoire crée par
l’amendement de Lefebvre place les intérêts des patrons au-dessus de tout
autre critère humain, tel le danger que représenterait pour un immigré le retour
dans son pays d’origine, le regroupement familial, les besoins éducatifs
ou médicaux.
La CGT s’est saisie de cette opportunité pour lancer une
campagne de recrutement qui a permis au syndicat d’accroître son
influence sur les quelque 400 000 sans-papiers vivant en France et aider
le gouvernement à gérer la crise sociale et politique provoquée par son projet
d’expulser 25 000 immigrés sans-papiers en 2008.
La CGT mobilise les organisations d’aide et les syndicats pour
faire pression sur CSP75
Le 28 mai, la CGT confrontée à la détermination des occupants
de ses locaux, a changé de tactique et invité les délégués de CSP75 à une
réunion avec une intersyndicale composée de représentants de la CGT, CFDT
(Confédération française démocratique du travail, proche du Parti socialiste),
la FSU (le plus grand syndicat de fonctionnaires, notamment dans
l’éducation) et les confédérations syndicales plus petites FO (Force
ouvrière) et SUD (Solidarité, Unité, Démocratie.)
Une déclaration signée Sissoko, Dabo, Djibril et
d’autres délégués de CSP75 publiée dans le Journal de la Bourse du
travail occupée, du 28 juin, rapporte que cette réunion a été suivie
d’autres, avec la participation d’organisations de défense des
immigrés tels le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié des
peuples), le GISTI (Groupe d’information et de soutien aux immigrés),
l’UCIJ (Unis contre l’immigration jetable), LDH (Ligue des droits
de l’Homme) et RESF, dont toutes avaient respecté le boycott contre
l’occupation prôné par la CGT et n’avaient pas auparavant contacté
CSP75.
Ces organisations ont ensuite exercé une pression énorme sur
les dirigeants de CSP75 afin que ces derniers quittent les locaux de la CGT et
se montrent « flexibles » par rapport à leurs revendications clé et
les principes de CSP75, à savoir la régularisation de tous les sans-papiers et
le rejet de la sélection au cas par cas, par les autorités, des postulants à la
régularisation.
La déclaration des délégués de CSP75 fait remarquer: « Les
syndicats voulaient traiter l’ensemble de nos dossiers dans le cadre du
travail, mais ceci n’est pas applicable à tous les occupants de la
Bourse, il y a aussi des femmes sans travail, il y a des enfants, des
malades. »
La déclaration a aussi révélé que, sous la
pression des syndicats et à la demande de la préfecture, de dangereuses
concessions ont été faites aux principes de la circulaire du 7 janvier 2008 sur
la régularisation par l’emploi. Elle explique que pendant des réunions
avec l’intersyndicale et les associations tenues depuis le 28 mai
« Dans le but d’un dépôt global de dossiers, une grille classant des
sans-papiers par branche professionnelle, mais aussi par statut juridique et
social [….] a été convenue. »
Le 2 juillet, la CGT et d’autres syndicats participants
ont déposé à la préfecture de Paris des demandes de régularisation, en échange de
quoi les délégués de CSP75 ont accepté de permettre à la CGT de revenir dans
ses bureaux du premier et du troisième étage de la Bourse du travail. Ils ont
aussi été obligés, confrontés au refus de la préfecture d’accepter toutes
les demandes en bloc, de ne déposer que les demandes pour lesquelles les
employeurs avaient garanti leur volonté de leur donner du travail.
La CGT, déterminée à isoler CSP75, n’a pas mobilisé, le
2 juillet, les centaines de grévistes sans-papiers qu’ils organisent en
région parisienne, ni d’autres sections de travailleurs qu’ils
représentent.
Les délégués de CSP75 font remarquer : « D’un
côté, il y a les autres sans-papiers. Ceux qui ne travaillent pas, comme les
femmes au foyer, les enfants, les vieux, les malades. Et puis, encore une fois,
il y a ceux qui, tout en travaillant, ne sont pas à même de produire des
feuilles de travail ou de paye parce qu’ils ont toujours travaillé,
souvent pendant des décennies, dans des situations illégales, dans des situations
d’exploitation la plus noire. »
Les délégués expriment leur désir de rassembler tous les
collectifs de sans-papiers de France et de construire une position de force
contre le gouvernement, ce qui les rendrait autonomes. « Le mouvement
d’ensemble des sans-papiers ne doit plus dépendre du bon vouloir des
associations de soutien et des syndicats, il doit trouver sa propre voie, compter
sur lui-même et ses propres forces. »
Cela fait des décennies que le Parti socialiste, le Parti
communiste, la CGT et les autres partis de la gauche officielle sont
indifférents au sort des sans-papiers et aussi, il faut le dire, à celui des
immigrés en situation régulière. Cette « gauche » qui n’est
rien d’autre qu’une prolongation de l’establishment
français, est un défenseur du système capitaliste de profit et est nationaliste
jusqu’à la moelle. Lorsqu’ils étaient au gouvernement, les partis
de gauche avaient imposé des lois anti-immigrés et continuent, maintenant
qu’ils sont dans l’opposition, à maintenir ces positions dans leur
profession de foi électorale et leurs déclarations publiques.
C’est sous un gouvernement de gauche que les centres de
rétention avaient été crées parce que le Parti socialiste, tout comme l’UMP,
a une politique d’immigration choisie.
Abandonnés à eux-mêmes, les groupes de sans-papiers se sont
mis à organiser des occupations d’églises et d’autres bâtiments
publics et ont souvent recours à la grève de la faim pour en appeler à la
conscience morale des autorités.
Comme celui qui écrit ces lignes l’a fait remarquer lors
de la réunion du 28 juin à la Bourse du travail, cette position sous-entend que
les autorités auraient une conscience morale. En fait, le pouvoir en place a un
programme politique de plus en plus urgent, dans la situation de crise
économique actuelle. Ce programme politique c’est la destruction des
droits démocratiques et sociaux afin de rendre la bourgeoisie française et
européenne compétitive sur le marché mondial globalisé. Une conscience morale
humanitaire est un luxe que l’élite dirigeante ne peut pas se permettre,
comme les organisations de soutien aux sans-papiers ont pu s’en rendre
compte dans tout le pays ces derniers mois.
Il est impossible à des mouvements comme CSP75 de s’affranchir
de ces soutiens du capitalisme s’ils ne rompent pas d’avec une
perspective consistant à faire pression sur le gouvernement et l’élite
dirigeante. Sinon, et aussi répugnant que cela puisse être, ils seront obligés
de rester sous l’aile des syndicats et des autres organisations.
Ils doivent se tourner vers la classe ouvrière de France et
d’Europe. L’attaque des droits des immigrés fait partie intégrante
de l’offensive du patronat sur le niveau de vie et les conditions de
travail de tous les travailleurs de par l’Europe. Les sans-papiers ne
peuvent accomplir cela qu’en proposant une lutte conjointe avec la classe
ouvrière sur une perspective socialiste contre l’ensemble du programme
régressif du capitalisme européen.