Pour la deuxième fois en quatre mois, le gouvernement
américain est intervenu pour renflouer d’importantes firmes financières
et ainsi empêcher l’effondrement imminent du système bancaire américain
et mondial.
Le sauvetage gouvernemental des deux géants du
refinancement hypothécaire, Fannie Mae et Freddie Mac, annoncé dimanche va bien
plus loin que l’injection de 29 milliards $ de fonds par la Réserve
fédérale (la Fed) pour subventionner le rachat de Bear Stearns par JPMorgan
Chase en mars dernier.
Cela ne fait pas que démontrer l’ampleur de la crise
économique du capitalisme américain, c’est aussi un parfait exemple des
véritables relations de pouvoir et d’influence politiques derrière la
façade de la démocratie américaine.
Le plan présenté par le secrétaire américain au Trésor
Henry Paulson lui donnerait pratiquement le droit illimité et unilatéral
d’injecter de dizaines de milliards de dollars de fonds publics dans les
compagnies de financement hypothécaire. Au même moment, la direction de la
Réserve fédérale annonçait qu’elle permettrait aux compagnies
d’emprunter directement de la Fed.
La plupart reconnaissent qu’un effondrement des deux géants
du financement hypothécaire établis par le gouvernement aurait eu des
conséquences encore plus cataclysmiques que celles qui auraient probablement
suivi un effondrement de Bear Stearns. À eux deux, Fannie Mae et Freddie Mac,
qui achètent des prêts hypothécaires à des banques et autres prêteurs et les
revendent à des institutions financières et de gros investisseurs à travers le
monde sous forme de titres, détiennent ou garantissent plus de 5000 milliards $
de créances hypothécaires. Ils sont responsables actuellement d’environ
80 pour cent de toutes les nouvelles hypothèques aux Etats-Unis. S’ils perdaient
la capacité d’emprunter à rabais, le marché de l’immobilier
américain arrêterait brutalement de fonctionner.
Mais même avant que cela ne se produise, les marchés
financiers aux Etats-Unis et internationalement s’effondreraient, car des
milliers des banques, de fonds spéculatifs, de fonds de pension et
d’autres institutions américaines détiennent des titres garantis par les
deux compagnies, et les banques centrales, les gouvernements et les banques
privées à travers le monde sont considérablement impliqués dans les capitaux
empruntés de Fannie Mae et Freddie Mac.
Ces derniers sont au centre de la spéculation immobilière
qui a généré des milliards de dollars pour les investisseurs et les directeurs
généraux de Wall Street, et ils sont présentement en train de s’écrouler,
précipitant ainsi la plus grande crise financière depuis les années 1930. Les
deux compagnies sont massivement endettées, possédant ensemble un total de 81
milliards $ en capital pour soutenir les prêts hypothécaires qu’ils
détiennent ou qu’ils garantissent : un rapport du capital à la dette
de 1,6 pour cent.
Leurs manœuvres et mécanismes frauduleux ont été minés
par la chute du prix des maisons et la multiplication virulente des saisies
immobilières. Au cours des neuf derniers mois, ils ont perdu ensemble 11
milliards $ et leurs actions ont dégringolé de 80 pour cent : un
déclin qui s’est transformé en déroute la semaine dernière alors que la valeur
de leurs actions a presque diminué de moitié.
Leur débâcle est la dernière et jusqu’à maintenant la
plus spectaculaire expression du déclin du capitalisme américain. C’est
une autre réfutation des mythes avancés par l’élite dirigeante américaine
sur le fonctionnement merveilleux du marché capitaliste, supposé représenter
l’apogée des réalisations de l’humanité.
Au même moment, cela expose le cynisme derrière le slogan officiel de la
« libre entreprise. » Lorsque le grand capital est menacé, les
pertes sont socialisées. Seuls les profits demeurent privés.
Que Fannie Mae et Freddie Mac ne soient pas des cas isolés, mais plutôt les
expressions de crise systémique, fut mis en évidence lors de la saisie,
vendredi, par le gouvernement de IndyMac, le troisième plus grand effondrement
de banque dans l’histoire des Etats-Unis. Selon certains rapports,
jusqu’à 150 autres banques pourraient s’écrouler.
Les plans de Paulson pour utiliser les fonds des contribuables pour sauver
Wall Street ont été travaillés pendant la fin de semaine lors de fiévreuses
consultations à huis clos entre l’administration Bush, la Réserve
fédérale, les grandes banques et les firmes d’investissements ainsi que
les leaders du Congrès. Ils étaient sous d’énormes pressions pour en
arriver à un plan avant l’ouverture des marchés asiatiques lundi et
l’atmosphère de crise était accentuée par le fait que Freddie Mac était
en voie de vendre 3 milliards de dettes à court terme. Une catastrophe était
sur le point d’être déclenchée si les banques et les firmes
d’investissements refusaient d’acheter les obligations de la
compagnie.
Il n’y a aucun doute que Wall Street a exploité la situation afin
d’obtenir du gouvernement les garanties et les assurances les plus larges
possibles pour ses intérêts. Mais, le plan d’ensemble se devait
d’être sanctionné par les démocrates au Congrès, vu que cela requiert des
changements dans les chartes et les régulations légales des deux compagnies.
Le soutien vocal et immédiat annoncé par des législateurs démocrates clés pour
ce sauvetage massif à l’aide des fonds des contribuables démontre le fait
le plus important de la vie politique américaine : l’asservissement
complet des deux partis et de toutes les institutions officielles à
l’aristocratie financière.
Le républicain Barney Frank, le président du comité des services financiers
de la Chambre des représentants, a déclaré son accord et son engagement à
obtenir une législation d’urgence prête pour la signature de Bush au
début de la semaine prochaine au plus tard.
Le sénateur Christopher Dodd, le président du comité des banques du Sénat,
a, de manière similaire, signé un chèque en blanc pour les géants de
l’hypothèque. Le sénateur Charles Schumer, un membre expérimenté du comité
des banques, a dit : « Le plan du Trésor est chirurgical et
prudemment élaboré et il va maximiser la confiance envers Fannie et Freddie
tout en minimisant les coûts potentiels aux contribuables américains. » Il
a ajouté que le plan serait « rassurant pour les investisseurs, les
détenteurs d’obligations et les détenteurs d’hypothèques que le
gouvernement fédéral sera derrière ces agences si nécessaire. »
Les médias contrôlés par la grande entreprise ont participé à embellir le
plan en le présentant en grande partie comme une solution bon marché pour les
contribuables.
Qu’est-ce que cela démontre ? Que lorsque vient le temps de
défendre les intérêts vitaux de l’aristocratie financière, tout le
système politique agit sur commande.
Soudainement, le soi-disant « embouteillage » au Congrès
s’évapore. Les démocrates, qui ont tenté d’expliquer leurs votes
répétés pour financer la guerre en Irak en blâmant l’opposition
supposément insurmontable des républicains à leurs plans de
« redéploiement », affirmant que « les votes ne sont pas
là » pour leurs plans de retrait partiel, marchent maintenant au pas avec
le parti minoritaire pour passer des lois exigées par Wall Street.
D’autres projets de loi, comme ceux sur l’immigration, sont morts
en raison de différends infranchissables entre des projets de loi punitifs et
d’autres encore plus punitifs. Mais sur cette question, le Congrès a agi
comme si c’était une marche militaire.
Les mesures d'urgence demandées par Paulson doivent être comparées aux
autres lois présentées par les démocrates et déjà entérinées par la Chambre
des représentants et le Sénat. Le contraste entre l’aide à Wall Street et
les mesures adoptées pour venir en aide aux propriétaires de maison en détresse
dans les lois déjà votées est parlant. Pour Wall Street, le Congrès a signé un
chèque en blanc pour que le Trésor américain octroie peut-être des centaines de
milliards de dollars en fonds publics pour soutenir les banques. Pour les
propriétaires de maison, il n’y a rien pour empêcher les reprises, et selon
le Bureau du budget du Congrès (Congressional Budget Office, BCO), le plan
viendra en aide à moins de 20 pour cent des 2,5 millions de propriétaires qui
recevront un avis de reprise de maison cette année. Le BCO estime que le coût
total des mesures démocrates sur l’habitation atteindra à peine 2,7 milliards
au cours des cinq prochaines années.
Il n’y aucun mystère dans la subordination abjecte des deux chambres
du Congrès et de la branche exécutive à Wall Street. Paulson, dont la richesse
se compte en centaines de millions, a été le président et le PDG de Goldman
Sachs avant d’accepter sa nomination au poste de secrétaire au Trésor.
Le Center for Responsive Politics (Centre pour une politique réceptive) a
rapporté en 2006 qu’environ la moitié des cent membres du Sénat sont
millionnaires et que leur richesse nette moyenne atteignait les 8,9 millions de
dollars. En 2004, 123 des 423 membres de la Chambre des représentants avaient
des revenus de plus d’un million.
L’achat des législateurs et de leurs votes par les grandes entreprises
a lieu ouvertement et sans honte. Les membres du comité des services financiers
de la Chambre des représentants dirigé par Frank ont reçu plus de 18
millions $ cette année de firmes offrant des services financiers,
d’assurance et de l’immobilier. Frank lui-même a obtenu plus de 1,2
million de dollars, presque la moitié provenant du milieu financier et
d’industries connexes.
Le principal contributeur du sénateur Dodd durant le cycle électoral
2003-2008 a été Citigroup, suivi par SAC Capital Partners. Il a obtenu 4,25
millions $ de firmes d’investissement et de courtage.
Le principal contributeur du sénateur Schumer a aussi été Citigroup. Il a eu
1,4 million $ de firmes d’investissement et de courtage, le secteur
d’affaires qui l’a le plus subventionné.
La collaboration gouvernement-compagnies est huilée à la corruption et aux
pots-de-vin. Cet état de fait a connu un grand développement avec la soi-disant
« financiarisation » de l’économie américaine depuis trente
ans. L’élite dirigeante a systématiquement fermé de grandes sections de
l’industrie et a accru de plus en plus sa richesse au moyen de la
spéculation financière, non pas en développant mais en détruisant les forces
productives. Le résultat est une immense croissance du parasitisme financier en
même temps qu’un assaut brutal sur la position sociale et le niveau de
vie de la classe ouvrière.
L’inégalité sociale a atteint des sommets sans précédent et une
nouvelle aristocratie financière s’est développé qui domine tous les
aspects de la vie publique.
La contrepartie de la financiarisation de l’élite américaine des
affaires et de la finance est sa criminalisation. Fannie Mae et Freddie Mac,
dont l’origine est liée aux réformes sociales de l’époque dite du New
Deal, sont des exemples typiques de l’impact de ces deux processus. A
toutes fins pratiques non régulées, ces compagnies se sont engagées dans la
spéculation massive, s’appuyant sur la fraude comptable et la corruption,
pour que les hauts dirigeants puissent avoir des revenus annuels de plusieurs
millions.
L’ancien PDG de Freddie Mac, Leland C. Brendsel, a payé 16,4
millions $ en amendes l’an dernier pour des accusations de fraudes contre
la compagnie. L’année précédente, la compagnie avait dû payer une amende
de 3,8 millions $ pour avoir fait des paiements et offert des privilèges
illégaux à des membres du comité des services financiers de la Chambre des
représentants.
Fannie Mae, quant à elle, a été condamnée à payer 400 millions $ pour
des manipulations comptables de 1998 à 2004. Durant la même période, ses hauts
dirigeants ont reçu des bonus totalisant 90 millions.
Le sauvetage proposé de ces compagnies n’empêchera pas que la crise du
capitalisme américain et mondial s’accélère. Il est inévitable
qu’il minera la confiance mondiale envers le système financier américain,
qu’il intensifiera la crise du dollar américain et qu’il
contribuera aux pressions inflationnistes. Ce qui émerge de tout cela,
c’est une crise dans laquelle la solvabilité du gouvernement américain
lui-même est mise en doute. Comme le Wall Street Journal l’a écrit
lundi passé, « Avec la multiplication des problèmes financiers, des
investisseurs parient qu’ils pourraient engranger des profits en songeant
à l’impensable : est-ce que le gouvernement américain pourrait faire
faillite ? »
Le sauvetage de Fannie Mae et de Freddie Mac avec des fonds publics ouvre la
porte pour un usage beaucoup plus vaste de l’argent des contribuables
pour venir en aide aux principales sociétés financières. La semaine passée,
Paulson et Bernanke ont demandé devant le comité des services financiers de la
Chambre des représentants une loi qui institutionnaliserait
l’intervention du gouvernement fédéral pour soutenir les compagnies de
Wall Street qui feraient faillite. La réponse de principaux démocrates, tel
Frank, à cette demande a été de presser les régulateurs de demander de telles
mesures dès maintenant et de ne pas attendre le nouveau Congrès au début de
l’an prochain.
Il reviendra à la classe ouvrière de payer pour de tels sauvetages sous la
forme de coupes dans les programmes sociaux, l’éducation, le logement et
l’infrastructure de base ainsi que de nouvelles vagues
d’élimination des emplois et de diminution des salaires.
La classe ouvrière ne peut pas défendre ses intérêts vitaux en faisant
pression sur les démocrates ou toute autre institution de la ploutocratie
américaine. Dans les luttes de classe à venir, elle doit s’organiser en
tant que force politique indépendante pour lutter pour la réorganisation de la
société sur une base socialiste, y compris la transformation des banques et des
firmes financières en services publics sous le contrôle démocratique de la
population travailleuse.
(Article original anglais paru le 15 juillet 2008)