Les déclarations faites par Obama durant sa visite en
Afghanistan au cours du week-end dernier viennent confirmer que sa campagne
pour la présidence se fait le porte-parole d’une importante section de
l’élite dirigeante américaine qui appelle à un changement dans la
politique étrangère américaine au Moyen-Orient et en Asie centrale. Loin de
suggérer un recul du militarisme, Obama argumente en faveur d’une
réduction plus rapide du nombre de soldats en Irak et d’une diminution
des tensions avec l’Iran, afin de favoriser une intensification importante
des opérations militaires américaines en Afghanistan, pour les étendre
potentiellement au Pakistan.
Mardi, dans une longue interview avec Lara Logan de CBS,
Obama a affirmé que la situation en Afghanistan était « précaire et
urgente ». Les réseaux de terroristes mondiaux, a-t-il soutenu, ont trouvé
« refuge » dans la région et se financent par le trafic de la drogue.
« Je crois que nous avons été clairement distraits [par l’invasion
de l’Irak] dans nos efforts pour traquer al-Qaïda et les talibans »,
a-t-il déclaré.
Obama a confié à Logan : « Il commence à y avoir
un large consensus sur le fait qu’il est maintenant temps pour nous de
retirer certaines de nos troupes de combat de l’Irak et de les déployer
ici en Afghanistan. Et je crois que nous devons saisir cette occasion.
C’est maintenant qu’il faut le faire... Si nous attendons à la
prochaine administration, cela pourrait prendre un an avec que les soldats
supplémentaires arrivent ici en Afghanistan. Et je crois que cela serait une
erreur. Je crois que la situation est si urgente que nous devons faire quelque
chose immédiatement. »
Obama a réitéré ses appels à une augmentation des forces en
Afghanistan et à une plus grande intervention dans le Pakistan contre les
militants anti-américains. « J’ai dit que si nous avions des
renseignements suffisants contre des cibles d’importance d’al-Qaïda,
et que le gouvernement pakistanais refusait de les traquer, nous devrions le
faire », a-t-il déclaré. Bien qu’affirmant qu’il augmenterait
l’aide au Pakistan et qu’il « l’inciterait
fortement » à attaquer les camps d’insurgés avec sa propre armée,
ses remarques démontrent clairement qu’il est prêt à déclencher
unilatéralement des attaques de l’autre côté de la frontière.
En ce qui concerne l’Irak, le sénateur de
l’Illinois a encore une fois souligné la déclaration du premier ministre
Nouri al-Maliki selon laquelle le gouvernement irakien souhaitait l’inclusion
d’un échéancier pour le retrait des forces américaines dans
l’entente en cours de négociation pour établir son contrôle sur la
présence des troupes américaines après décembre. Obama a déclaré :
« C’est le moment idéal pour nous de dire : "Nous allons
déplacer nos ressources. Nous allons déployer quelques brigades de plus ici en
Afghanistan. Nous allons accepter d’augmenter notre aide envers le
Pakistan.” »
Les commentaires d’Obama soulignent la complète
supercherie des tentatives visant à le présenter comme un candidat
« antiguerre ». Il parle au nom d’une couche de
l’establishment politique et militaire américain qui considère que la
guerre en Irak constitue une bourde stratégique coûteuse. Elle a nécessité le
déploiement d’une large proportion des forces armées, a exigé de vastes
ressources, et a aussi provoqué d’immenses divisions sociales aux
Etats-Unis et une hostilité de masse envers le militarisme américain à travers
le monde.
En février, le WSWS commentait l’appui
d’importantes figures de la bourgeoisie, telles que le milliardaire
Warren Buffet et l’ancien directeur de la Réserve fédérale Paul Volcker,
pour Obama dans un article intitulé « Les
deux visages de Barack Obama ». Nous avions écrit : « Sans
doute croient-ils qu’Obama, qui serait le premier président
africain-américain des Etats-Unis, est le mieux équipé pour faire face aux
dangers posés par une crise économique perpétuelle et des tensions économiques
grandissantes. Qui d’autre que lui est le mieux placé pour demander des
sacrifices encore plus grands à la classe ouvrière, au nom de l’unité et
du “changement” ?
Au même moment, il présenterait un nouveau visage au monde, espérant que cela
aiderait l’impérialisme américain à se sortir des débâcles de la
politique étrangère et de l’isolation mondiale croissante qui sont
l’héritage de l’administration Bush. »
C’est précisément le contenu des recommandations d’Obama pour
les guerres en Irak et en Afghanistan. Pendant qu’une grande proportion
de la machine de guerre américaine s’est embourbée dans l’occupation
de l’Irak, les ambitions économiques et stratégiques en Afghanistan et en
Asie centrale ont encaissé de sérieux revers. Des insurgés parmi les membres de
la tribu pachtoune du sud de l’Afghanistan et des provinces frontalières
du Pakistan conduisent présentement une guérilla de grande envergure non
seulement contre les troupes américaines et de l’OTAN ainsi que contre le
gouvernement pro-occupation du président Hamid Karzaï, mais aussi contre le
gouvernement pakistanais, qui est depuis longtemps un allié crucial des
Etats-Unis dans la région. Le Pakistan a réellement perdu le contrôle de ses
zones frontalières.
Indiquant les inquiétudes des cercles dirigeants américains, la présente
édition du magazine Time a une page couverture intitulée :
« L’Afghanistan : la guerre juste ». Il met en évidence
l’appel pour plus de troupes par Obama et son rival républicain, John
McCain.
La situation militaire en Afghanistan s’est fortement détériorée cet
été. Le nombre d’attaques lancées contre les forces d’occupation a
augmenté de plus de 40 pour cent et les morts et les blessés ont augmenté
fortement. Une mesure des combats qui s’intensifient et du désespoir
parmi les commandants militaires américains et de l’OTAN est le nombre de
bombes larguées par les avions américains. En juin, 646 bombes furent larguées,
le deuxième plus haut total pour tous les mois de cette guerre qui dure depuis
près de sept ans. Dans la première moitié de 2008, 1853 bombes et missiles ont
été utilisés, 40 pour cent plus que pour la même période l’an passé. Les
analystes parlent ouvertement que la guerre en Afghanistan pourrait durer
encore 10 ou 20 ans.
Le chef d’état-major interarmées, l’amiral Michael Mullen, a
déclaré que jusqu’à trois brigades de combat de plus sont nécessaires en
Afghanistan, mais il a admis qu’il ne peut pas en envoyer, vu le nombre
de troupes au Moyen-Orient.
Les alliés des Etats-Unis continuent de se dérober face aux appels que
ceux-ci leur lancent pour qu’ils déploient une plus grande force
militaire en Afghanistan. Un facteur majeur est que les gouvernements européens
craignent l’hostilité répandue qui existent envers l’administration
Bush en raison de son invasion illégale et meurtrière de l’Irak. Avec
Obama qui commence cette semaine ses visites de la France, de l’Allemagne
et de la Grande-Bretagne, il n’y a pas de doute qu’il tentera
d’exploiter les illusions et les faux espoirs dans sa campagne pour
tenter de renverser cette hostilité avec de la démagogie populiste sur la légitimité
de la guerre en Afghanistan.
Dans des conditions où la situation militaire en Afghanistan se détériore,
les appels par des éléments dans et autour de l’administration Bush pour
des frappes américaines ou israéliennes contre les établissements nucléaires en
Iran sont vus par le camp Obama et plus largement comme le meilleur moyen pour
tomber dans la catastrophe.
Des inquiétudes claires ont été exprimées dans l’armée qu’une
guerre contre l’Iran affaiblirait les efforts pour stabiliser
l’occupation américaine de l’Irak et tout redéploiement des forces
vers l’Afghanistan. Malgré les accusations américaines que l’Iran
soutien les insurgés, Téhéran a régulièrement intervenu pour consolider le
gouvernement soutenu par les Etats-Unis à Bagdad contre des éléments plus
radicaux de la majorité chiite de la population. La pression iranienne fut un
facteur critique cette année dans la capacité du gouvernement Maliki et des
forces américaines pour détruire grandement l’Armée du Mahdi, la milice
anti-occupation du chef religieux Moqtada al-Sadr.
De plus, des hauts officiers américains ont remis en question leur capacité
à entreprendre une offensive de grande ampleur contre l’Iran. L’amiral
Mullen a dit sur Fox News : « Je m’inquiète beaucoup à ce
sujet… J’ai déjà dit lorsque l’on m’a demandé son avis
que j’avais déjà deux guerres à faire et que je n’avais pas besoin
d’une troisième… Ce ne pas que nous n’avons pas les réserves
aux Etats-Unis pour le faire. Nous les avons. Je m’inquiète de l’instabilité
dans cette région du monde… les conséquences possibles qu’auront une
frappe comme celle-là, qui auront en fait un impact sur toute la région, sont
difficiles à prévoir exactement et ensuite les actions qu’il faudra que
nous entreprenions pour les endiguer. »
Une conséquence évidente de récentes discussions au sujet de préparatifs d’une
agression sur l’Iran par les Etats-Unis ou Israël a été de contribuer à l’augmentation
des prix du pétrole et aux pressions inflationnistes. Devant déjà faire face à
la plus sérieuse crise depuis les années 1930, l’élite américaine du
monde des affaires ne souhaite pas voir le prix du pétrole atteindre les 200
dollars le baril en conséquence de la guerre en Iran.
L’administration Bush s’est clairement réalignée sur la ligne avancée
par Obama et ceux qui l’appuient. Les tensions avec l’Iran se sont
atténuées quelque peu et l’accent est mis sur la diplomatie pour
satisfaire les demandes américaines que Téhéran ferme ses installations d’enrichissement
de combustible nucléaire. Le diplomate américain senior, William Burns, a
participé à une rencontre d’un week-end entre les cinq membres permanents
du Conseil de sécurité de l’ONU, l’Allemagne et l’Iran sur la
question nucléaire, ce qui constitue la première fois que les Etats-Unis participent
à une telle rencontre.
Sur la question de l’Irak, la Maison-Blanche a annoncé vendredi passé
qu’elle se préparait à accepter l’appel de Maliki pour une « limite
générale du temps » qu’il faudra avant de connaître « la réduction
du nombre des soldats combattants américains en Irak ». Le commandant
américain en Irak, le général David Petraeus, soupèse apparemment la
possibilité de rapatrier trois brigades en septembre pour que des troupes
soient disponibles pour venir en « renfort » en Afghanistan d’ici
la fin de l’année. Il est implicite dans l’entente telle que
présentée que des dizaines de milliers de soldats demeureront en Irak
indéfiniment, occupant les principales bases que l’armée américaine a construites
en Irak depuis cinq ans.
Ceci vient à la suite d’annonces par le gouvernement irakien que des
contrats pour le pétrole seront octroyés à de grandes entreprises américaine et
d’autres conglomérats dans le secteur de l’énergie. Une réduction
du nombre des troupes en Irak, en d’autres mots, vient après qu’un
des principaux objectifs de l’invasion, la prise de contrôle des vastes
ressources énergétiques du pays, est sur le point d’être réalisé.
La candidature d’Obama, qu’il gagne ou non en fin de compte, est
ainsi utilisée pour effectuer un changement de la politique étrangère. Durant
les primaires et les caucus, des millions de personnes ont été mobilisées sous
le prétexte qu’Obama était le dirigeant d’un mouvement de la base
contre le statu quo. Aussitôt qu’Obama a été nommé candidat présidentiel,
il a commencé à virer vers la droite, adoptant les politiques de la droite
républicaine. Il est maintenant évident que peu importe celui qui gagnera la
présidence, les guerres continueront.
Encore une fois, les élections américaines sont organisées de façon à priver
le peuple américain de toute influence ou de la capacité à mettre fin à la
politique militariste du gouvernement. Les décisions d’intensifier la
guerre néo-coloniale en Afghanistan ont déjà été prises. Elles sont justifiées
avec encore plus de propagande sur la « menace terroriste ». Les
conséquences seront la perte de milliers d’autres vies et le pillage de
milliards de dollars en ressource.
(Article original anglais paru le 21 juillet 2008)