L’adoption d’éléments essentiels du
programme du Parti républicain et le largage des positions qu’il a avancées
durant sa campagne des primaires sous le thème « Un changement dans lequel
vous pouvez croire » est maintenant quotidien, alors que le candidat
présidentiel du Parti démocrate, Barack Obama, fait un virage sur les chapeaux
de roue vers la droite.
Dans ses discours et ses conférences de
presse de mercredi et jeudi, Obama a continué à identifier sa campagne au
soutien pour le militarisme américain, alors qu’il prend ses distances de sa
promesse de campagne des primaires d’établir un échéancier pour le retrait des
troupes de combat américaines hors de l’Irak.
A Colarado Springs mercredi dernier, Obama
a donné un discours sur l’enrôlement qui louangeait l’armée américaine et
promettait de faire grossir ses rangs.
Tout en proposant l’expansion d’Americorps,
des Peace Corps et d’autres entités civiles, Obama a été clair sur le fait que
l’enrôlement à laquelle il veut soumettre les jeunes Américains est celui dans
l’armée.
Il a commencé en évoquant les attaques
terroristes du 11 septembre 2001 sur New York et Washington et s’est plaint de
l’échec de l’administration Bush de lancer « un appel à servir » et
« un appel au sacrifice ».
« Il n’y a pas de défi plus grand que
la défense de notre nation et de nos valeurs », a-t-il continué,
louangeant les actions des soldats américains « luttant contre les
talibans résilients » et « qui gardent les déserts et les villes de
l’Irak ».
Quelles « valeurs » sont
incarnées dans la destruction systématique des sociétés afghane et irakienne et
le meurtre de millions de civils dans la tentative d’imposer l’hégémonie
américaine sur les régions riches en pétrole de la planète, le candidat
démocrate ne l’explique pas.
Plutôt, il a insisté sur la « nécessité
de soulager nos troupes de leur fardeau, tout en s’adressant aux défis du 21e
siècle ». Que ces « défis » signifient la continuation des guerres
déjà engagées et de nouvelles guerres est clair. En tant que président, a-t-il
dit, il « appellerait une nouvelle génération de jeunes Américains à
joindre les rangs de l’armée », promettant d’augmenter le nombre des
soldats de 65 000 et celui des marines de 27 000.
Dans un contexte où l’armée lutte pour
atteindre ses quotas actuels de recrutement, cette proposition soulève
véritablement la question de savoir si l’enrôlement que considère Obama ne
signifie le retour de conscription obligatoire.
Lors d’une conférence de presse à Fargo
dans le Dakota du Nord jeudi avant de prendre la parole devant un groupe de
vétérans, Obama admit qu’il « préciserait » sa position sur l’Irak
lors d’un voyage dans le pays occupé cet été.
Prenant ces distances de sa promesse
d’entreprendre un retrait de 16 mois des troupes de combat hors de l’Irak, le
candidat a dit « J’ai toujours dit que le rythme du retrait serait dicté
par la sécurité pour nos soldats et le besoin de maintenir la stabilité. »
Pendant ce temps, il a indiqué que son opposition à la continuation de
l’occupation en Irak au niveau actuel reposait sur la nécessité plus urgente
d’envoyer des troupes en Afghanistan.
Les conseillers d’Obama ont été plus
explicites. Son principal conseiller sur la politique étrangère, Anthony Lake,
un ancien conseiller sur la sécurité nationale de l’administration Clinton, a
dit à la presse qu’une future administration démocrate se consacrerait à
conserver « une force résiduelle pour réaliser des missions
précises » en Irak, ainsi que « pour préparer le terrain pour y
retourner », si nécessaire. « Ce n’est pas la politique de retraiter
et de voir ce qui se passera », a dit Lake, un des architectes des
interventions soi-disant humanitaires de l’administration Clinton en Somalie,
en Haïti et dans les Balkans.
Pendant ce temps, on parle de plus en plus
qu’Obama se prépare à maintenir à son poste l’actuel secrétaire à la Défense,
Robert Gates. Son camp aurait accepté de mettre en place des équipes de
transition dans les secteurs de l’armée, du renseignement et de la police pour
assurer une continuation sans heurt de la « lutte globale contre le
terrorisme ».
Sa victoire dans les primaires démocrates étant
due pour une bonne part au fait qu’il se présentait comme un opposant à la
guerre en Irak et condamnant son adversaire, Hilary Clinton, pour avoir voté en
faveur de celle-là, Obama se présente maintenant comme un autre
« président de guerre ».
Le virage à droite de la campagne d’Obama
est si évident qu’il a été accueilli par une série de commentaires dans la
presse bourgeoise. Certains s’en réjouissent et d’autres s’inquiètent que sa
manœuvre est si crue qu’elle pourrait s’aliéner une couche importante de la
population envers le processus électoral et exposer la tromperie que constitue
le système des deux partis.
Le Christian
Science Monitor de jeudi, par
exemple, fait référence à des inquiétudes que le virage à droite d’Obama était
« un risque particulièrement pour les jeunes électeurs, qui se sont
présentés et ont milité pour Obama et qui pourraient être désillusionnés par sa
politique de style traditionnelle. »
Parmi ceux qui se réjouissent, on trouve le Wall
Street Journal qui a publié un éditorial ce mercredi intitulé « Le
troisième mandat de Bush ». Le Wall Street Journal, dont la ligne
éditoriale reflète généralement le point de vue des sections de la droite du
Parti républicain qui domine l’administration Bush, a souligné qu’Obama disait
constamment qu’une victoire de McCain signifierait un « troisième mandat
de George Bush ».
« Peut-être est-il inquiet que l’on
remarque qu’il est le candidat qui veut le faire » a affirmé l’éditorial.
L’éditorial continuait en notant que l’annonce
par Obama il y a deux semaines qu’il votera en faveur de la loi de
l’administration Bush qui légitimera le programme d’écoute électronique
intérieur tout en offrant une immunité rétroactive aux compagnies de
télécommunications qui l’ont aidé dans l’accomplissement illégal de cet
espionnage systématisé. L’éditorial indiquait aussi son retrait de ses
promesses électorales pour un échéancier pour le retrait des troupes
américaines en Irak. Et il a mentionné qu’Obama avait appuyé le financement par
l’État de programmes sociaux « basés sur la foi », tout comme une
série de déclarations calculées sur les soi-disant questions chaudes de la
droite politique, qui vont des armes jusqu’à la peine de mort.
Un autre appel démagogique qu’Obama a
abandonné est sa prétention qu’il s’opposait au traité de libre-échange et
qu’il était proche de la position protectionniste de la bureaucratie syndicale.
Dans une interview récente qu’il a donnée au magazine Fortune, le
candidat a déclaré « J’ai toujours été un défenseur du libre
échange » et a admis qu’une partie de la rhétorique des primaires sur
cette question était allée « trop loin ».
« Maintenant, que nous sommes en élection
générale, a écrit le Wall Street Journal, il ne peut plus se permettre
de faire peur à la communauté des affaires. » Il semble que la Bourse ne
soit pas très terrorisée. Selon des données compilées par le Center for
Responsive Politics, Obama a obtenu presque 8 millions en contribution des
sociétés de courtage, presque le double du montant obtenu par son rival
républicain, John McCain.
L’éditorial du Wall Street Journal a
conclu cyniquement, mais avec raison, que « le prochain président,
démocrate ou républicain, fera sienne une bonne partie de la politique
étrangère et politique antiterroriste de M. Bush, qu’il l’admette ou
non. »
En bout de piste, ce représentant de la droite
de Wall Street critique Obama non pas pour sa politique, mais plutôt pour être
ce qu’il appelle une « personnalité politique » douteuse, ce qui
signifie qu’on a pas encore entièrement confiance en sa détermination à
entreprendre des guerres à l’étranger et des attaques contre la classe ouvrière
au pays même que l’élite exige.
Le virage à droite d’Obama est la
manifestation d’un système dans lequel la politique des deux grands partis est
déterminée par une petite couche riche de la population qui n’a que mépris pour
la volonté et les sentiments de la population américaine.
Le programme de droite énoncé par Obama met la
table pour une autre élection où les masses des travailleurs aux Etats-Unis n’auront
pas de moyen d’exprimer leur immense hostilité à la politique de la guerre, à
la destruction de leur niveau de vie et à la politique réactionnaire à laquelle
est identifiée l’administration Bush.
L’évolution rapide d’Obama dans la foulée des
primaires expose les politiques de tromperie et de manipulation de
l’opinion publique utilisées dans sa campagne depuis le début. Elle
n’a jamais représenté un soulèvement de la base, mais plutôt une
tentative d’éléments de l’élite dirigeante de mettre en oeuvre
certains changements de politique concrets mais limités, tout en utilisant
Obama pour donner un nouveau visage à l’impérialisme américain qui est
discrédité au pays et à l’étranger.
La tentative d’utiliser la campagne d’Obama
afin de tromper de larges couches de la population qui cherchent du changement
bénéficie de l’appui proactif et crucial de la majorité de la soi-disant
« gauche » américaine. Ils tentent de masquer ou d’excuser la
trajectoire vers la droite des démocrates. Certains avancent l’argument
cynique qu’Obama ne fait que ce qui est nécessaire pour être élu, car,
selon leurs dires, le peuple américain est arriéré et droitier. D’autres
soutiennent qu’il réagit aux pressions de l’establishment et
qu’il doit être ramené dans la bonne voie par des pressions de la gauche.
Représentante typique de la deuxième école, la journaliste
libérale de gauche Arianna Huffington, qui a publié sur son site Internet un
conseil à Obama, a averti ce dernier que « se maintenir au centre est une
stratégie perdante ».
Elle lui a plutôt demandé de « s’adresser aux 82
millions de personnes qui n’ont pas voté en 2004 », ajoutant :
« La raison d’être de la campagne Obama n’était-elle pas au
départ de pousser l’électorat à exiger un changement
fondamental ? »
En réalité, Obama fait maintenant campagne pour son
véritable programme, celui d’un politicien corrompu et réactionnaire de
la grande entreprise. Il laissera la tâche de continuer à promouvoir des
illusions sur sa candidature à des éléments comme Huffington, The Nation,
et d’autres de la soi-disant gauche, pendant que lui oriente son discours
vers ses électeurs clés, soit l’aristocratie financière et les forces de
l’Etat.
Les démocrates n’ont aucun intérêt à prendre le pouvoir
avec un mandat de « changement fondamental », car ils ne souhaitent
aucunement réaliser de telles transformations. En fait, le dernier virage de la
campagne d’Obama vise en grande partie à créer une nouvelle base
définitivement conservatrice pour des politiques qui seront, en ce qui concerne
les éléments clés, en continuité avec celles de l’administration Bush.
En dernière analyse, la promotion d’illusions dans
Obama et les démocrates ne sert qu’à bloquer l’émergence
d’une véritable alternative basée sur la mobilisation politique
indépendante des masses de la classe ouvrière.
Une chose est sûre, les politiques d’une future
administration Obama ne seront pas déterminées par les anciennes postures
populistes du candidat ni par les pressions exercées par les libéraux de
gauche. Elles seront plutôt dictées par l’énormité de la crise économique
et politique à laquelle fait face le capitalisme américain et par ce qui est
nécessaire pour défendre les intérêts de classe de l’élite dirigeante
dans ces conditions. Le virage à droite durant la campagne est une préparation
à cette tâche fondamentale.