La résistance acharnée des travailleurs de l’usine de
pneus Goodyear/Dunlop à Amiens dans le nord de la France, contre le projet de restructuration
de la direction a atteint un point critique le 15 juillet. L’entreprise a
annoncé 402 licenciements pour le mois de septembre et 600 autres à venir dans
les prochains mois.
Les 2 700 travailleurs des usines Goodyear/Dunlop, appartenant
à Goodyear Tire and Rubber Company, ont voté à une majorité de 64 pour cent en
octobre 2007 leur refus du projet de mise en place du système des « quatre
huit ». Ce nouveau système fonctionnerait avec quatre équipes (au lieu de
cinq) opérant sept jours par semaine, chaque équipe travaillant en continu deux
matinées, deux après-midi, deux nuits avec deux jours de repos. Ces conditions
inhumaines dégraderaient encore davantage la santé des travailleurs et toute
vie de famille le week-end. A ceci s’ajoutelasuppression
de 450 emplois sur trois ans, due à l’élimination d’une équipe.
Dans une tentative d’intimidation, la direction avait
déclaré que voter « non » se traduirait par la fermeture des deux
usines. Voter « oui » au contraire représentait l’unique
possibilité de maintenir la production de pneus à Amiens, mettant en avant que
la production était de 25 pour cent moins chère en Allemagne. Un projet
d’investissement de modernisation de 52 millions d’euros dépendait
de l’introduction du système des quatre huit.
Goodyear Amiens exporte actuellement les deux tiers de sa
production vers l’Europe, mais pas la variété de pneumatiques de
véhicules de tourisme ou de commerce, à plus forte valeur ajoutée, la plus
profitable, actuellement préférée par la multinationale.
Cette tentative d’intimidation pour faire accepter ce
système aux travailleurs avec comme autre alternative les suppressions
d’emplois et la fermeture de l’usine, a, dans une certaine mesure,
fonctionné. Malgré le refus de la majorité, deux représentants dissidents du
principal syndicat, la CGT (Confédération générale du travail) de l’usine
Dunlop, aux côtés du syndicat FO (Force ouvrière), de la CFTC (Confédération
française des travailleurs chrétiens) et de la CFE-CGC (Confédération française
de l’encadrement - Confédération générale des cadres) représentant
principalement le personnel technique et les cols blancs, ont signé cet accord.
Les deux délégués CGT de Dunlop qui ont pris parti pour la position de la
direction se sont vus depuis retirer par le syndicat leur accréditation
représentative.
En collaboration avec la direction, ils ont imposé un autre vote
le 27 juin, qui s’est traduit par un taux d’abstention de plus de
50 pour cent des ouvriers de production après que la CGT à l’usine
Goodyear a appelé à un boycott. Les 27 pour cent de voix contre, plus les
abstentions, démontrent une fois de plus l’opposition écrasante des
travailleurs. Néanmoins le manque de soutien syndical au niveau national,
notamment de la CGT, a conduit l’usine Dunlop à capituler devant les
exigences de Goodyear.
Goodyear, troisième plus grande usine de pneus au monde qui
emploie 70 000 travailleurs dans 25 pays, a annoncé sa dernière stratégie
commerciale dans un communiqué de presse publié le 26 juin. Elle cherche à tirer
profit de la demande à échelle mondiale de pneus à forte valeur ajoutée dans les
marchés en croissance tels la Chine, la Russie et le Brésil. Elle projette
d’investir 500 millions de dollars en Allemagne, et en Pologne et 500
millions de dollars en Chine. Elle a l’intention de réduire les coûts de
plus de 2 milliards de dollars d’ici 2009 en fermant l’usine
Somerton en Australie et en réduisant de 25 millions de pneus ce qu’elle
appelle « la production à prix élevé ».
Ce communiqué de presse ne dit rien de la situation en France,
mais les avertissements de Goodyear Tire and Rubber Company concernant les
tendances à venir, sont une mise en garde : « Nos projets cependant
sont flexibles de façon à pouvoir ajuster la cadence et la quantité afin de
refléter le macro environnement et les tendances du marché tout en maintenant
une trésorerie positive... Ces facteurs incluent, sans toutefois s’y
limiter, les actions et initiatives prises par les concurrents, les
augmentations du prix des matières premières et de l’énergie, notre
capacité à réaliser des économies anticipées et des initiatives pour réduire
les coûts… »
En d’autres termes, sous l’impact de la crise du
crédit et de la récession mondiale, rien n’est sûr. Ce qui est sûr, comme
dans le cas de General Motors aux USA, qui selon des rumeurs circulant à Wall
Street est au bord de la faillite, c’est que la classe ouvrière devra
payer et que la profitabilité de l’entreprise sera préservée à tout prix.
GM a supprimé 53 000 emplois en deux ans et opéré des baisses de salaire
allant jusqu’à 50 pour cent. La situation pour les travailleurs de
Goodyear à Amiens et de par le monde est donc très alarmante.
Dans une toute dernière tentative pour contraindre
l’usine Goodyear à plier, le PDG de Goodyear/Dunlop France Olivier
Rousseau a écrit le 4 juillet à Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT,
proche du Parti communiste stalinien, lui demandant « solennellement que la CGT, en tant que
syndicat majoritaire, ne fasse pas jouer son droit d'opposition à l'accord. » En réponse, la direction de la CGT a fait une déclaration
publique le 8 juillet intitulée « Négocier un projet d'avenir et garantir les droits des salariés ». Dénonçant le système des quatre huit comme « cette organisation du travail illégale, non
conforme à la convention nationale du caoutchouc »,
le syndicat demande « solennellement
à la direction de GDTF d'ouvrir des négociations dans le respect de la
législation sur les conditions de travail et la négociation collective ».
La direction de la CGT craignant une poursuite de l’escalade
de la résistance des travailleurs a déclarer : « Il est urgent de répondre à notre demande,
d'autant que la décision de la direction d'instaurer dans l'illégalité un
lock-out dès dimanche soir à tous les salariés est de nature à aggraver le
climat déjà tendu. » Deux cents travailleurs ont
organisé un piquet de grève à l’entrée de l’usine le 4 juillet pour
protester contre les suppressions d’emplois et la réponse de la direction
a été d’imposer un lock-out et de fermer l’usine.
L’entreprise a obtenu du tribunal une injonction d’urgence pour
faire déloger ce piquet de grève pacifique par la police anti-émeute et
l’usine a rouvert ses portes cinq jours plus tard.
Alors que la CGT et d’autres syndicats en appellent au
sens de la négociation de Goodyear et refusent de mobiliser pour une action
générale de soutien à leurs membres contre les actes « illégaux » de
l’entreprise, la détermination des travailleurs de Goodyear se reflète
dans le fait que les deux délégués de la CGT locale ont fait jouer leur droit
d’opposition à l’accord. Un délégué CGT Mickaël Wamen a déjà
exprimé ses craintes sur les réelles intentions de l’entreprise : « Depuis deux ans, nous découvrons une baisse
très nette de l'activité… Nous avons notamment perdu plus de 180 postes
permanents… en même temps que le nombre de travailleurs temporaires
augmente. »Il a déclaré que le système des quatre
huit avait toujours été « fictif ». (Le Courrier Picard, 4
avril 2008.)
La lutte pour la défense des emplois se pose à présent. La
lutte des travailleurs de Goodyear passe par un moment critique et
jusqu’à présent elle a été isolée sans qu’aucune initiative ne soit
prise par les syndicats pour une mobilisation de solidarité au niveau de la
branche, au niveau national ou international. La signature en juin dernier par
la CGT et la CFDT de la « position commune » (accord avec le syndicat
des patrons, le MEDEF, qui a ouvert la voie à la législation remettant en cause
toute réglementation antérieure du travail protégeant les conditions des
travailleurs) a, il ne fait aucun doute, renforcé la main des patrons comme
celui de Goodyear, en faisant passer le message qu’il n’y a aucune
crainte à avoir quant à une quelconque résistance des syndicats officiels.
Comme le président Sarkozy l’a dit avec morgue, « Désormais, quand il y a une grève personne
ne s'en aperçoit. »
La bureaucratie syndicale est la principale responsable de
l’isolement dans lequel se trouvent les travailleurs de Goodyear et les
autres travailleurs tels les enseignants et les cheminots. Néanmoins, la
combativité militante à l’usine Goodyear d’Amiens est incapable de
proposer une perspective remettant en question le chantage de la
multinationale. La branche CGT de l’usine a publié une déclaration le 16
juillet qui, bien qu’elle rejette avec colère les projets de
l’entreprise a néanmoins exprimé des illusions sur la politique du « faire
pression » et d’appels aux sentiments nationalistes du gouvernement.
« Nous continuons à
demander la tenue d'une table ronde, l'Etat doit intervenir dans ce dossier, où
une société américaine bafoue le droit de centaines de salariés français...Nous
sommes toujours ouverts au dialogue... or il n'y a aucun responsable qui
veuille avec nous travailler dans l'intérêt collectif. »
Comme en ont conscience la plupart des travailleurs de
Goodyear, le président Sarkozy était intervenu l’année dernière en vain,
en faisant la promesse aux usines sidérurgiques Arcelor Mittal de Gadranges de
sauver les 575 emplois menacés par la plus grande entreprise sidérurgique. Les
travailleurs de Goodyear sont confrontés à un employeur sans scrupule et c’est
uniquement avec tous les travailleurs engagés dans des luttes similaires
qu’ils défendront leurs intérêts communs. Il faut nouer des liens avec
les collègues de Goodyear en Australie, en Allemagne et dans le monde entier
pour riposter contre les économies opérées par l’entreprise et lutter
pour des actions communes avec les travailleurs de la région amiénoise contre
les mesures d’austérité du gouvernement.
(Article original anglais paru le 23 juillet 2008)