Le président Nicolas Sarkozy a fait une visite surprise d’un
jour à Kaboul, capitale de l’Afghanistan, le 22 décembre. C’est la
première visite d’un président français en Afghanistan depuis
l’invasion du pays, menée par les Etats-Unis il y a plus de six ans. Il a
promis son soutien à l’occupation menée par les Etats-Unis et à la
« guerre contre le terrorisme », bien qu’il ne se soit pas
engagé à y envoyer davantage de soldats français.
Il était accompagné par le ministre de la Défense Hervé Morin,
le ministre des Affaires Etrangères Bernard Kouchner qui était en visite en
Inde avant de rejoindre Sarkozy en Afghanistan, la ministre des Droits de
l’Homme Rama Yade et le philosophe André Glucksmann.
Durant sa visite, il a rencontré le président afghan Hamid Karzai
et le général américain Dan McNeill, commandant de la Force internationale
d’aide à la sécurité (FIAS) conduite par l’OTAN. Il a aussi
rencontré quelques uns des 1 600 soldats français déployés dans la
capitale Kaboul et ses environs.
Après son entretien avec Karzai, Sarkozy a dit, « Il se
joue ici une guerre, une guerre contre le terrorisme, que nous ne pouvons pas
et ne devons pas perdre. ». Il a insisté sur l’importance de la
« solidité des accords entre les alliés, » et la nécessité de
présenter un « front uni » pour empêcher que l’Afghanistan « ne
devienne un Etat terroriste. »
Par sa visite Sarkozy réaffirme son soutien politique à
l’occupation de l’Afghanistan, menée par les Etats-Unis, et qui est
généralement considérée au sein de l’élite dirigeante française comme nécessaire
pour faire avancer les intérêts impérialistes de la France en Asie centrale.
Le gouvernement afghan a publié une déclaration disant: « Le
président français a mis l’accent sur la présence politique et militaire de
longue date de son pays dans le soutien apporté au peuple et au gouvernement afghans. »
Mais Sarkozy n’a cependant pas donné son accord à la
requête américaine d’une participation militaire européenne plus
importante dans l’occupation de l’Afghanistan. Les représentants de
l’OTAN cherchent davantage de soldats à déployer dans le sud du pays où
la lutte contre l’occupation est la plus acharnée mais la France,
l’Allemagne et d’autres puissances européennes ont refusé
d’engager un nombre substantiel de soldats de l’armée de terre dans
la région.
Sarkozy a évité tout engagement à augmenter le nombre de
soldats français ou à déplacer les forces françaises dans le sud. Il a dit que
les renforts français seraient « qualitatifs » plutôt que
« quantitatifs » et ajouté qu’il ne pensait pas que « la
solution soit uniquement militaire. »
La France a déjà perdu 14 soldats en Afghanistan et
l’opposition populaire est forte en France contre la politique américaine
au Moyen Orient et en Asie centrale. Lorsqu’il était candidat à la
présidence, Sarkozy avaient fait des déclarations suggérant qu’un retrait
des troupes françaises de l’Afghanistan pourrait être imminent, mais sa
politique par la suite a consisté à adhérer de près aux souhaits de Washington.
Le 26 avril, quelques jours seulement après le premier tour
des élections présidentielles, Sarkozy alors candidat avait dit: « Il
était certainement utile qu'on envoie [les troupes] dans la mesure où il y
avait un combat contre le terrorisme. Mais la présence à long terme des troupes
françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. »
Depuis le début de l’occupation de l’Afghanistan
sous la conduite des Etats-Unis en 2001, la France est activement engagée en
Afghanistan comme partenaire important des Etats-Unis. Elle y a 1 600
soldats de l’armée de terre et environ 1 500 de l’armée de
l’air et de la marine.
En 2001, la France a proposé ses ressources et ses moyens
militaires pour soutenir la campagne militaire conduite par les Etats-Unis. La
France était le seul pays mis à part les Etats-Unis à entreprendre des missions
de bombardement aérien au-dessus de l’Afghanistan pour soutenir les
troupes terrestres américaines.
Les forces françaises opèrent actuellement une base aérienne à
Dushande, non loin du Tajikistan, avec trois Mirage et trois jets Rafale, en
plus d’avions de transport lourd. Ils ont aussi déployé plusieurs avions
de chasse dans une base aérienne de Qandahar, dans le sud de l’Afghanistan
déchiré par la guerre.
La France joue aussi un rôle significatif dans la formation de
l’armée nationale afghane, ayant fourni 50 formateurs d’opérations
spéciales, aux côtés de ceux venus des Etats-Unis et du Royaume-Uni, et formé
trois bataillons afghans de 500 hommes chacun. D’après une déclaration de
l’Ambassade française aux Etats-Unis, la France est à présent engagée à
former tous les officiers afghans.
Bien que Sarkozy n’ait pas annoncé de nouvelles mesures
militaires substantielles, sa visite en Afghanistan avait une signification
politique définie. En emmenant avec lui une coterie de ministres et
d’intellectuels bourgeois qui parlent de démocratie et de droits humains,
Sarkozy a apporté une couverture politique à l’administration Bush et à son
occupation de l’Afghanistan. Sarkozy savait qu’il pouvait compter
sur les partis « de gauche » bourgeois, à commencer par le Parti
socialiste qui est fondamentalement d’accord avec sa politique afghane,
pour qu’ils ne dénoncent pas son hypocrisie quand il se présente comme le
défenseur des droits de l’Homme tout en se proclamant un allié de
l’administration Bush.
L’impérialisme français a des intérêts économiques de
taille dans la région, avec l’entreprise pétrolière française Total qui a
fait des investissements importants dans le pétrole, le gaz et les oléoducs au
Turkménistan, en Iran et dans d’autres pays du Golfe persique. La
bourgeoisie française vit dans la peur que la possibilité de conséquences
révolutionnaires suite à une sérieuse défaite de l’impérialisme américain
en Irak et en Afghanistan ne rende la région intenable pour ses intérêts
économiques et stratégiques. C’est pour sauvegarder ces intérêts que
Sarkozy s’est rangé derrière la politique étrangère de Washington.
Cette idée était suggérée dans l’éditorial du 14
septembre du quotidien de droite Le Figaro, intitulé « Le nouveau
Yalta pétrolier » Le Figaro regrettait que les producteurs du Tiers
Monde soient « bien décidés à vendre très cher l'accès au trésor de leur
sous-sol, » et présageait que le rapport de force de l’industrie
pétrolière « promet d'[être] de moins en moins favorable » aux « démocraties
industrialisées comme la France. »
Cette manière de se ranger derrière Washington dénote
cependant une certaine instabilité voire même un acte désespéré. Comme
l’avaient démontré très clairement les étapes initiales de
l’occupation américaine de l’Afghanistan où les entreprises
énergétiques françaises avaient été complètement exclues du pays, les intérêts
de la bourgeoisie française passeront très clairement après ceux des Etats-Unis
au cas où l’impérialisme américain s’engagerait dans de nouvelles
tentatives de conquêtes au Moyen Orient. Les investissements français dans les
champs pétrolifères et le gaz, ainsi que les oléoducs reliant l’Iran et
l’Asie centrale sont menacés.
Plus généralement, la politique américaine au Moyen Orient est
fortement basée sur la menace implicite qu’elle fait peser sur les
réserves énergétiques de tous ses concurrents capitalistes, dont la France. Les
tensions géopolitiques intenses provoquées par les interventions américaines en
Asie du sud ouest sont liées à la lutte pour le contrôle du pétrole et du gaz
et de sa livraison aux principaux marchés de l’Eurasie, soit l’Europe
occidentale et l’Asie orientale. En occupant l’Irak et en menaçant
l’Iran, les Etats-Unis bloquent les voies d’oléoducs les plus
directes pour transporter le pétrole et le gaz vers l’Europe occidentale,
c'est-à-dire en passant par l’Iran ou l’Irak, puis vers la Turquie
et les Balkans.
Des risques encore plus importants se posent à plus long terme.
Un mois à peine après l’annonce de septembre du ministre des Affaires
étrangères Bernard Kouchner que l’armée française planifiait des frappes
sur l’Iran en conjonction avec les Etats-Unis, Bush avait dit que la
question du nucléaire iranien soulevait la menace d’une Troisième guerre
mondiale.
Craignant les masses françaises et celles du Moyen Orient plus
encore qu’elle ne craint l’impérialisme américain, la bourgeoisie
française a parié sur Washington. Sarkozy avait implicitement reconnu
l’impopularité, aux yeux des travailleurs français, d’une politique
étrangère proaméricaine en minimisant durant la campagne électorale
l’importance de l’engagement français en Afghanistan.
Le fait que Sarkozy ait ressenti le besoin d’emmener
avec lui un charlatan intellectuel comme Glucksmann en Afghanistan souligne
encore plus l’impopularité de sa politique. Il n’ y avait aucune
raison militaire ou administrative d’emmener Glucksmann, écrivain et
universitaire ex-gauchiste dont la principale spécialité est depuis longtemps
l’anticommunisme, et qui n’a aucun poste officiel dans
l’armée ou le gouvernement français. Son objectif principal était de
fournir une coloration démocratique à la politique de Sarkozy, politique de
subordination et de collaboration avec l’impérialisme américain.
Glucksmann a rempli le rôle qui lui avait été alloué, comme on
peut le voir dans une interview accordée au Figaro le 24 décembre, sur
la visite en Afghanistan.
Il a décrit les « chefs d'état occidentaux » y
compris Bush, comme des hommes qui « recherchent la paix, qui ne [sont]
pas forcément [de] parfaits démocrates, mais qui [vont] dans le bon
sens. » Il a continué en faisant un bref résumé de l’histoire
afghane récente en ces termes, « C'est l'invasion des communistes russes, et
les destructions qu'elle a entraînées, qui a permis l'installation des
fanatiques talibans.»
Il a fait l’éloge de Sarkozy pour avoir « rencontr[é]
les soldats français, dont il faut saluer le courage. » Parlant de
Sarkozy, Glucksmann a ajouté, « Il a apporté son soutien à Hamid Karzaï,
qui est, pour al-Qaïda, l'homme à abattre entre tous, et un personnage
extrêmement courageux. »
Que Glucksmann puisse donner de telles interviews et continuer
à être traité comme un intellectuel est symptomatique de la crise de la vie
intellectuelle et politique en France. Son affirmation des références
démocratiques et humanitaires des chefs d’Etat occidentaux est ridicule
et sinistre à la lumière des invasions américaines de l’Afghanistan et de
l’Irak et de la construction des camps de torture américains tel celui de
Guantànamo Bay.
Quant à son histoire de l’Afghanistan, c’est une
falsification. On n’a pas besoin d’être un partisan de
l’intervention du Kremlin en Afghanistan en 1979 pour reconnaître le rôle
prédominant des Etats-Unis et de ses alliés européens dans la promotion et
l’armement d’islamistes de droite et de terroristes internationaux
durant la guerre entre l’Union soviétique et l’Afghanistan. En
fait, comme cela avait été révélé officiellement pour la première fois par
l’actuel secrétaire à la Défense Robert Gates dans son livre publié en
1997 From the shadows (Des ombres), les Etats-Unis ont financé la
résistance islamique au régime du Parti démocratique du peuple d’Afghanistan
(PDPA) dès le début de 1979, des mois avant l’invasion soviétique, avec
pour objectif de donner à l’URSS son propre « bourbier
vietnamien. » Les Etats-Unis et ses alliés ont continué à financer et à
armer les chefs militaires antisoviétiques afghans jusqu’en 1992.
L’essor des Talibans, au milieu de la guerre civile qui
a suivi l’implosion du PDPA en 1992 et sa capitulation à la résistance moudjahidine
antisoviétique, avait aussi été promue par l’impérialisme américain, et
particulièrement ses mandataires, les forces armées pakistanaises et la famille
royale saoudienne. Karzai, que Glucksmann, aussi improbable que cela puisse
paraître, loue comme une sorte d’exemple de démocratie, était en fait l’un
des premiers partisans des Talibans.