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La Coordination nationale étudiante a mené la lutte politique
contre la loi d’autonomie des universités (LRU) votée en août 2007 par le
gouvernement du président Nicolas Sarkozy. Les déclarations de la Coordination
donnent une bonne idée des positions des étudiants qui ont bloqué les
universités et ont défilé contre la LRU, ainsi que des questions politiques
auxquelles les étudiants doivent faire face dans la poursuite de leurs luttes.
La Coordination, et c’est tout à son honneur, a régulièrement
appelé à se tourner vers les travailleurs et a montré qu’elle était tout
à fait consciente des objectifs généraux des réformes de Sarkozy. Elle a
cherché à faire le lien avec les cheminots qui avaient lancé des grèves
nationales à la mi-octobre et la mi-novembre 2007 contre la destruction
planifiée de leurs régimes spéciaux de retraite.
Dans sa déclaration du 29 octobre, la Coordination ajoutait
les revendications suivantes pour appeler à l’abrogation de la LRU :
rétraction des suppressions d’emplois dans le secteur public, opposition
à la franchise médicale, défense des régimes spéciaux, abrogation des lois
contre les immigrés et amnistie pour tous ceux qui avaient été arrêtés durant
les protestations. La déclaration dit : « Au rouleau compresseur du
gouvernement, nous opposons la convergence de tous les secteurs attaqués, qui
seule pourra le faire céder. » Le 8 novembre, des étudiants de Paris et
Rennes avaient bloqué des gares pour marquer leur solidarité avec les
cheminots.
Le 12 novembre, la Coordination appelait à bloquer davantage
de gares pour faire le lien avec la reprise de la grève des cheminots le 14
novembre et pour tenir au moins jusqu’à la grève massive d’une
journée, le 20 novembre, des travailleurs du secteur public contre les
suppressions de postes et les attaques sur les retraites.
Les syndicats qui cherchaient à cantonner les cheminots à des
grèves isolées d’une journée tandis qu’ils négociaient avec le gouvernement,
n’apportèrent aucun soutien aux étudiants. Le dirigeant de Force ouvrière
(FO), Jean-Claude Mailly dit dans un entretien télévisé le 12 novembre, « Je
ne pense pas que bloquer, comme annoncé par certains, les gares demain, soit
une bonne chose, on n'est pas dans cette logique-là. » Didier Le Reste,
leader de CGT-Rail, lui aussi s’opposa au blocage des gares invoquant un « risque
de dérapage au niveau de la sécurité. » Bruno Julliard, président de
l’UNEF (Union nationale des étudiants de France), principal syndicat
étudiant, était lui aussi contre le blocage des gares.
La police eut tôt fait de démanteler manu militari le blocage
des gares. La grève des cheminots, face à l’intention clairement énoncée
des syndicats de négocier un accord avec Sarkozy, tourna court dès le 24
novembre. Les syndicats limitèrent à un jour la grève massive du secteur
public.
Tandis que le mouvement était ainsi étouffé et vaincu secteur
par secteur, la Coordination se trouva désorientée et écrivit le 25 novembre: « Il
est possible de gagner, de faire reculer le gouvernement sur nos
revendications. SNCF et RATP, Air France, EDF-GDF, avocats, salariés de la
fonction publique... Sarkozy a beau dire qu'il ne reculera pas face à nous, lui
et son gouvernement ont été affaiblis par les grèves… Les cheminots en
particulier ont montré que lutter contre Sarkozy et sa politique était
possible. »
En fait, au milieu de l’hystérie sécuritaire attisée dès
le début des émeutes de Villiers-le-Bel le 25 novembre, les blocages
d’université furent progressivement démantelés. Avec la fin de la grève
des cheminots, le gouvernement n’avait plus à craindre que l’usage
de la brutalité à l’encontre des étudiants puisse entraîner la paralysie
totale des chemins de fer. Il envoya donc les CRS dans les universités. Devant
le silence étudié des médias, des vidéos circulèrent sur Internet montrant des
représentants de l’administration des universités en train de frapper des
étudiants bloqueurs. Le WSWS eut vent de reportage faisant état d’étudiants
blessés par des flash balls tirés à bout portant par la police, ainsi que d’un
étudiant risquant de perdre un œil.
La Coordination appela ensuite à une clarification politique,
notant dans sa déclaration du 20 décembre : « Notre mouvement
continue dans une phase de lutte sur la durée, mais aussi dans une phase de
réflexion. »
Conclusions politiques
Le WSWS salue la lutte des étudiants et établit comme objectif
principal celui de clarifier les tâches du mouvement des étudiants, en
solidarité avec tous les membres intéressés du mouvement anti-LRU. Le WSWS
propose les observations suivantes.
L’isolement et la défaite des étudiants ont été rendus
possible par la fin des grèves des cheminots et ont suivi de près l’échec
des étudiants à véritablement unifier leur lutte avec celle des cheminots. Bien
que la Coordination ait fait de cette unité son objectif, la mettre en pratique
aurait nécessité une vaste campagne politique, en appelant directement aux
travailleurs en passant outre les directions syndicales. Mais toutes les
implications des efforts des syndicats à étouffer les grèves n’ont pas
été perçues par la Coordination.
La Coordination avait une conception plutôt vague de la
manière d’imposer le retrait de la loi. Sarkozy n’a aucune
intention ni aucune marge pour faire un compromis, car il est engagé à faire que
les universités aident le patronat français en matière de recherche afin de
maintenir une supériorité technologique sur les puissances industrielles émergentes,
à main-d’œuvre bon marché, comme la Chine et l’Inde. Un vrai
recul de Sarkozy poserait aussitôt la question de son remplacement par la
bourgeoisie qui trouverait quelqu’un d’autre capable de mettre en
place son programme. Ainsi les protestations anti-LRU posent directement la
question : Quelle classe va gouverner ?
Pendant la répression policière qui s’en est suivie, les
grands médias ont supprimé les reportages qui auraient encouragé l’opinion
publique à prendre parti pour les étudiants et les travailleurs. Cela faisait
partie d’une stratégie politique plus grande, soutenue par la politique
des syndicats durant les grèves : créer la confusion dans le public en
présentant le mouvement anti-réforme comme une action pour la défense égoïste
d’intérêts sectoriels, n’ayant rien à voir avec la masse des travailleurs.
Ce qui a manqué à la Coordination c’est un parti
politique armé d’une critique impitoyable des directions syndicales,
d’une analyse des implications internationales et révolutionnaires de la
lutte, et de la capacité à présenter cette perspective à la classe ouvrière
dans son ensemble. En d’autres termes, la situation politique soulève de
façon objective la nécessité d’un parti de masse trotskyste.
Le rôle de la LCR
Mais cette réalité politique est obscurcie par la ligne
politique opportuniste de ces partis qui prétendent d’une manière ou
d’une autre représenter l’héritage du trotskysme en France. Le plus
en vue est la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) qui bénéficie d’une
certaine écoute parmi les étudiants en même temps que les grands médias commencent
à promouvoir son candidat à la présidentielle de 2007, Olivier Besancenot.
La ligne de Rouge, principale publication de la LCR, a
consisté à encourager une fausse confiance dans la capacité du militantisme
protestataire à imposer à lui seul un accord favorable avec le gouvernement,
tout en éludant les problèmes politiques essentiels posés par le développement
des luttes sociales. La LCR a ainsi joué un rôle essentiel en ce qu’elle
a empêché les étudiants de s’orienter lors des luttes complexes de la fin
de 2007.
Alors que la loi LRU était annoncée pour la première fois à
l’été 2007, Rouge l’avait dénoncée dans un article intitulé « Pas
à la sauvette. » Rouge avait appelé à de vastes manifestations
contre la loi, en faisant référence à la lutte de 2006 contre la réforme du CPE
(Contrat première embauche) proposée par le premier ministre de l’époque,
Dominique de Villepin : « Le CPE l'a montré : une loi votée peut
encore être démontée par la rue. »
C’est tout simplement faux. En 2006 les syndicats avaient
travaillé avec le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas
Sarkozy, pour imposer le retrait du CPE, discréditant Villepin aux yeux de la
bourgeoisie et ouvrant la voie à la victoire de Sarkozy à l’élection
présidentielle de 2007. Sarkozy est à présent en train de réformer le Code du
travail de telle façon que les dispositions anti-ouvrières du CPE, notamment des
périodes d’essai plus longues sans sécurité d’emploi, soient
inscrites dans les nouvelles lois sur le travail. La conclusion à tirer de ceci
n’est pas que le militantisme protestataire porte ses fruits, mais bien
plutôt que des accords opportunistes concoctés avec la bourgeoisie sont totalement
futiles.
Le 8 novembre, quelques semaines après que les syndicats
soient parvenus, non sans difficulté, à mettre fin à la grève des cheminots du
mois d’octobre, Rouge titrait son article sur les universités « La
grève commence. » Bien qu’il ne fasse aucun doute que la LCR savait
parfaitement que la Coordination souhaitait faire le lien entre la lutte des
travailleurs et celle des étudiants, elle ne rejoignit pas les appels des
étudiants à bloquer les gares. Elle ne mit pas non plus en garde sur les
projets de la bureaucratie syndicale d’étouffer politiquement la grève de
novembre. Elle écrivit : « Avec l'appel à la grève reconductible à la
SNCF, le premier affrontement d'ampleur va commencer. C'est une occasion de
faire céder le gouvernement. L'objectif est donc qu'un maximum de facs rejoignent
la grève dans les prochains jours. »
Ce silence sur le rôle des syndicats se poursuivit, même quand
ces derniers rencontrèrent le gouvernement et se préparèrent à stopper la
grève. Le 22 novembre Rouge écrivait : « Les étudiants
mobilisés ont conscience qu'il faut se lier aux travailleurs pour gagner face
au gouvernement. L'expérience du CPE est là. Il faut développer les rencontres
directes entre grévistes étudiants et salariés, les diffusions de tracts
communes vers les usagers pour populariser les grèves. » Deux jours plus
tard, la grève des cheminots avait en grande partie pris fin et la police
commençait à s’attaquer sérieusement au blocage des universités.
La déclaration de Rouge le 6 décembre sur le mouvement
étudiant, « Malgré les obstacles, la lutte continue », ne tirait
aucune leçon de la défaite de la grève des cheminots. Elle disait que le
mouvement des étudiants soit « se radicalise et se perd dans des actions
minoritaires et inutiles, soit il montre sa force et se massifie davantage. La
manifestation étudiante et lycéenne du 6 décembre, aux côtés des enseignants-chercheurs,
devait être centrale, pour assurer une visibilité du mouvement et ouvrir une
brèche vers le monde du travail. La grève des salariés de l'éducation est
l'autre levier essentiel pour renforcer le mouvement. »
Ce refus persistant de tirer des leçons ou de faire preuve de prévoyance
dans ces luttes n’est pas un hasard, ni ne peut être attribué à
l’inexpérience de ceux qui écrivent dans Rouge. Cela
s’explique par le fait que la LCR est un parti dont la direction est
hostile au marxisme et qui espère créer un grand parti informe à la gauche du
Parti socialiste (PS) et qui se base sur une politique centriste dénuée de tout
principe. Cela est apparu peut-être le plus crûment dans une déclaration de Besancenot
faite lors d’un meeting à Amiens le 13 mars 2007 : « Je n'ai
jamais été trotskyste. »
Le dirigeant de la LCR, Alain Krivine, a mis au grand jour
cette stratégie politique consistant à faire pression lors du meeting
parisien de décembre dernier en présence des ténors du PS, Henri Weber et Manuel
Valls : « pour moi, l'adversaire ce n'est pas le PS, mais Sarkozy, la
droite, et le Medef. Si aujourd'hui on a des désaccords, c'est sur la façon de
combattre Sarkozy. » Il a dit, de façon peu crédible, à Weber, Valls et
compagnie que les « grandes réformes » en France se sont faites parce
que « des millions de gens sont descendus dans la rue, ont fait la grève
générale, vous ont botté les fesses. »
Les diverses tendances soi-disant d’extrême gauche en
France diffèrent les unes des autres dans la manière propre à chacune d’esquiver
sa responsabilité d’apporter une direction socialiste révolutionnaire. La
LCR se spécialise dans ce type de fanfaronnades et de rhétorique bravache
tandis que dans la pratique elle maintient ses liens avec les diverses bureaucraties
discréditées et cherche à diriger de vastes couches de la population vers
celles-ci.
Sa perspective implique, en dernière analyse, la
démobilisation des masses insurgées et la voie libre pour les parlementaires effrayés
et les bureaucrates syndicaux craintifs de mettre au point une espèce
d’accord légalement acceptable. Les étudiants qui ont lutté et se sont
sacrifiés durant l’année dernière doivent se poser cette question :
A quoi sert un énorme mouvement, si en fin de compte ce sont les toujours les
mêmes traîtres qui en déterminent l’issue ? Malgré la popularité de Besancenot,
encouragée par les médias, la perspective de la direction de la LCR n’est
rien qu’un piège médiocre pour les étudiants cherchant à se tourner vers
la classe ouvrière.
Le WSWS répète avec insistance que la tactique du « faire
pression » sur l’Etat doit être abandonnée et remplacée par la
stratégie de la lutte politique contre le gouvernement, en se basant sur
l’ensemble de l’héritage marxiste révolutionnaire. Il a la
certitude que la trahison par la direction de la LCR de ses responsabilités
politiques conduira les étudiants à chercher ailleurs des analyses et des
perspectives. Nous recherchons la discussion, la collaboration et la solidarité
avec tous ceux qui essaient de tirer les leçons politiques des luttes récentes.
(Article original anglais paru le 22 janvier 2008)