En Belgique, les tensions politiques augmentent
sans cesse tandis que presque six mois après les élections législatives, le
pays n’a toujours pas de nouveau gouvernement.
Les partis régionaux cherchent à se servir de
la crise comme levier pour leurs revendications politiques séparatistes, accroissant
les attentes d’une scission éventuelle du pays à un moment donné. Certains
commentateurs de presse disent ouvertement qu’un nouveau pays
néerlandophone — la Flandre — est en cours de création.
Une contre-manifestation de 25 à 35 mille
personnes a été organisée en novembre dernier pour réclamer le maintien de
l’unité du pays. Une pétition dans ce sens, initiée par une fonctionnaire
et soutenue par les syndicats a recueilli presque 150 000 signatures. La
manifestation nationaliste relativement modeste était surtout francophone, même
si presque un tiers des manifestants étaient des néerlandophones. Denombreuxmanifestants
brandissaient des drapeaux nationaux. Ils se sont ensuite rassemblés devant
l’Arc du Cinquantenaire, érigé pour célébrer l’indépendance de la
Belgique d’avec les Pays-Bas en 1830, et ont entonné l’hymne
national.
Les gros titres de la presse ont qualifié de
« vaudevillesques » les tentatives pour former un gouvernement. Des
pans de la classe dirigeante sont maintenant extrêmement inquiets de ce retard
qui s’accumule. Un porte-parole de la Banque Nationale de Belgique a
prévenu cette semaine que, si l’on ne parvenait pas à un accord les
implications financières seraient très lourdes. Même si le gouvernement sortant
de Guy Verhofstadt est resté aux affaires pour expédier les affaires courantes,
il n’est pas habilité à prendre les décisions budgétaires. Guy Quaden (le
président de la Banque nationale) a exprimé sa crainte que les excédents
budgétaires escomptés de 2,5 milliards d’euros (3.7 milliards de dollars
US) ne seraient peut-être pas atteints à cause de la crise. La Banque prévoyait
un excédent de 0,2 pour cent du PNB pour l’année prochaine, qui devait
servir à subvenir aux besoins des plus âgés
Dans la soirée du 3 décembre, le Roi Albert II
est même allé jusqu’à confier au premier ministre sortant, Guy Verhofstadt
la tâche de former un nouveau gouvernement en consultant tous les partis
politiques.
La Belgique, avec une population de 10,5
millions d’habitants est déchirée par l’explosion des intérêts
rivaux entre élites bourgeoises régionales et leurs parasites petit bourgeois.
Au nord du pays, la Flandre néerlandophone est
plus riche que la Wallonie francophone au sud. Il existe également une
population germanophone peu nombreuse dans l’est du pays. Bruxelles
(ville francophone au sein d’une province néerlandophone) bénéficie
d’un statut linguistiqueparticulier.
Le scrutin est organisé par partis
linguistiques, qui s’organisent ensuite en coalitions pour constituer un
gouvernement national fédéral. Il n’existe pas de parti national, même si
chaque parti politique a son équivalent dans l’autre région linguistique.
Les élections législatives de juin dernier ont été remportées par une alliance
du CD&V (chrétiens-démocrates flamands) d’Yves Leterme et du NVA
(Nouvelle Alliance flamande – nationalistes flamands modérés). Leterme a
été chargé de former un nouveau gouvernement.
Les négociations ont tout d’abord
trébuché sur la question d’une plus grande extension de l’autonomie
régionale de la Flandre. Dans tout le pays les chrétiens–démocrates et
les libéraux ont obtenu 81 députés sur 150 – suffisamment pour former un nouveau
gouvernement, mais pas assez pour faire passer la réforme de la Constitution,
nécessaire à l’extension de cette autonomie.
La situation actuelle est le résultat final de
la renégociation continue des pouvoirs fédéraux et de l’extension de
l’autonomie régionale au cours des 45 dernières années.
Avant les années 60, la Flandre était encore
principalement agricole. La richesse du pays était concentrée en Wallonie qui
était à cette époque le centre de l’industrie lourde et de la classe
ouvrière industrielle. Mais la Wallonie a été ruinée par l’effondrement
de sa richesse industrielle alors que la Flandre devenait un centre pour les
nouvelles technologies. Actuellement, la Flandre représente 60 pour cent de PNB,
comparé aux 24 pour cent que représente la Wallonie. Le taux de chômage dans le
Sud du pays avoisine le double de celui du Nord du pays.
Les séparatistes flamands, tels que le Vlaams Belang
(extrémistes de droite – anciennement Vlaams Blok) veulent couper le pays
le long de sa frontière linguistique afin de mettre fin aux subventions
accordées au Sud du pays. La crise politique montante a vu les positions du Vlaams
Belang faire partie intégrante du courant politique principal. Malgré leur opposition
flagrante au VB, d’autres partis flamands ont adopté la politique
séparatiste et anti-immigrés du VB.
Il y a deux semaines, Leterme (qui lui même
avait fait campagne pour l’extension de l’économie régionale) a
proposé une « convention » de deux ans pour discuter la délégation
des pouvoirs du gouvernement fédéral aux autorités régionales. Il a proposé
d’ébaucher des réformes constitutionnelles tout en permettant au gouvernement
de faire voter d’autres lois. Cette proposition a été rejetée par son
propre parti et par ses partenaires de coalition électorale. Le CD&V a
insisté pour que le futur gouvernement s’engage par avance vis-à-vis des
pouvoirs autonomes dans le domaine fiscal, dans le domaine de la santé et des
transports et ceci afin d’empêcher un blocage de la convention.
Le NVA, enhardi par la crise, a déclaré que la
convention se contenterait de retarder ou bien d’atténuer la délégation
des pouvoirs et qu’ils ne pouvaient compter sur le soutien de ses
militants pour celle ci. Ce qui les gênait c’est que la convention
n’assurait aucun contrôle régional sur les mesures sociales et
économiques comme la possibilité de baisser les taxes professionnelles où la
mise en place d’un système de sécurité sociale pour la Flandre.
En Wallonie, la convention proposée a obtenu
le franc soutien du parti frère du CD&V, le CDH (Centre des démocrates humanistes)
(auparavant les chrétiens démocrates). La présidente du parti, Joëlle Milquet,
qui a été attaquée dans la presse flamande pour son opposition aux propositions
de Leterme, a déclaré qu’à sa grande satisfaction, la convention
présentait « suffisamment de garanties pour renforcer la fédération
(belge). »
En général, les politiciens wallons voient la
fédération nationale d’un meilleur oeil que leurs pendants flamands. Ils
craignent tout particulièrement que la division ait un effet dévastateur sur
les rentrées d’argent en Wallonie. Actuellement, 15 pour cent du revenu
régional wallon provient des taxes fédérales. Francis Delperee du CDH a déclaré
à la télévision néerlandophone : « Nous avons toujours réclamé que la
sécurité sociale demeure une responsabilité fédérale. »
Il semble que les négociations soient allées
plus loin. Le CD&V a proposé que les pourparlers portent essentiellement
sur les questions économiques et budgétaires, mais cette idée a été rejetée sur-le-champ.
C’est dans ce contexte qu’une fonctionnaire,
demeurant à Liège, Marie Claire Houard, a lancé une pétition en ligne pour
réclamer que cesse le gaspillage d’argent « pour des querelles qui
n’intéressent qu’une infime minorité des belges » et demandant
au gouvernement de « respecter notre nation et son unité ».
La manifestation du 18 novembre, initiée par
cette pétition, et qui s’est tenue dans le centre de Bruxelles, a défilé
sous le slogan « Pour l’unité de la Belgique. » Les organisateurs
n’ont pas souhaité de récupération politique, même si plusieurs
personnalités politiques de Wallonie tels que Joëlle Milquet, dirigeant du
Parti socialiste, Elio Di Rupo et des représentants des Verts et des libéraux
étaient présents ce jour là. Les politiciens flamands brillaient par leur
absence. Des banderoles affichaient le soutien au Roi Albert II, monarque
constitutionnel, dont le rôle dans la crise a été d’encourager Leterme
dans la formation du nouveau gouvernement. Certaines banderoles comparaient
Bart de Wever, le leader du NVA à Slobodan Milosevic.
La pétition avancée par les syndicats contrebalance
l’unité nationale non seulement au séparatisme, mais aussi à la lutte des
classes. Cette pétition affirme que « La solidarité entre les citoyens les
plus riches et les citoyens les plus pauvres tout comme la solidarité entre les
régions les plus riches et les régions les plus pauvres sont la base même de
notre société belge. » Une perspective à tel point vouée à l’échec
n’offre rien à la majorité des belges, qu’ils soient francophones,
néerlandophones ou germanophones. D’après un récent sondage, un belge sur
sept vit à la limite ou en dessous du seuil de pauvreté.
Il n’est pas possible de résoudre la
crise en Belgique dans le système politique existant qui a lui-même donné
naissance au nationalisme, au régionalisme et aux inégalités que nous
rencontrons aujourd’hui.
Les divisions entre les travailleurs flamands
et wallons a été en fait encouragée par les syndicats et leurs sympathisants
des partis radicaux. Après leur trahison de la grève générale de 1961, une
partie de la bureaucratie des syndicats francophones a prétendu que les
travailleurs wallons (qui étaient à cette époque les plus avancés et les plus
militants) étaient freinés par leurs collègues flamands.
Le syndicaliste de droite, André Renard, qui
avait joué un rôle important dans le sabotage du mouvement de grève, avait
canalisé les frustrations des travailleurs francophones dans le Mouvement populaire
wallon. Ce dernier avait lutté pour un Etat fédéral et on peut actuellement en voir
l’impact. En 1965, trois ans après la mort de Renard, un Parti ouvrier wallon
était créé, isolant de façon efficace les travailleurs wallons de leurs
camarades flamands.
Seul un programme socialiste peut réaliser
l’unité des travailleurs belges, et ceci non seulement au-delà des
barrières linguistiques en Belgique, mais également de par l’Europe toute
entière afin de créer les Etats unis socialistes d’Europe.
(Article original anglais paru le 7 décembre
2007)