La déclaration d’indépendance du Kosovo par rapport à la
Serbie a nettement aggravé les tensions politiques internes en Espagne, alimentant
une situation déjà volatile à l’approche des élections législatives qui
se tiendront le mois prochain. La déclaration d’indépendance a encouragé
la poussée séparatiste au sein de nombreuses régions qui constituent
l’Espagne, accroissant la possibilité d’une balkanisation plus
grande de parties de l’Europe.
Le gouvernement espagnol a refusé de reconnaître
l’indépendance du Kosovo. Le ministre des Affaires étrangères Miguel
Angel Moratinos a dit à la presse que la plupart des pays refusant de le faire
étaient géographiquement proches du Kosovo et étaient ceux qui connaissaient le
mieux la région. L’Espagne, a-t-il dit, « ne reconnaîtra pas cet
acte unilatéral » parce qu’il « ne respecte pas le droit
international. »
Alors que Moratinos prétend que la position de son gouvernement
« n’a rien à voir avec l’Espagne », mais n’est
motivée que par son inquiétude qu’un Kosovo indépendant « ouvre la
boîte de Pandore dans les Balkans », ses remarques avaient clairement pour
objectif de contrer les revendications séparatistes déjà très sonores, ou du
moins pour une plus grande autonomie, au pays basque ou en Catalogne. Le Parti
socialiste espagnol (PSOE) au pouvoir et le principal parti d’opposition,
le Parti populaire (PP) ont la même position sur le Kosovo.
La délégation espagnole de l’Union européenne (UE) a
joué un rôle clé dans l’opposition à la reconnaissance du Kosovo par les
principales puissances européennes, Allemagne, Grande-Bretagne et France, lors
de séances cherchant à formuler une position commune. N’étant pas en
mesure d’obtenir la majorité contre la reconnaissance, l’Espagne a
insisté pour que le Kosovo ne soit pas considéré comme un précédent et
s’attribue le mérite d’avoir imposé qu’il soit indiqué
qu’il s’agit là d’un « cas spécial ».
Du point de vue légal, Moratinos a dit que la sécession
exigeait soit un accord entre les deux parties, soit une résolution du Conseil
de sécurité des Nations Unies, et a fait remarquer que la déclaration
d’indépendance était en contradiction avec la Charte des Nations Unies.
Suite à l’insistance de l’Espagne, la déclaration
de l’UE a inclus un engagement à « l’adhésion aux principes de
souveraineté et d’intégrité territoriale » des Etats membres et
retiré les références au Kosovo « en tant qu’Etat
indépendant. » Une autre clause déclare que la décision de reconnaître le
Kosovo devrait concorder avec le « droit international. »
El Pais, journal le plus proche du
PSOE, a, dans un éditorial, fait l’éloge de la position du gouvernement sur
la question de l’illégalité de la déclaration. Il dit que le gouvernement
a adopté cette position parce que la viabilité du Kosovo n’était
« en aucune manière claire, » et ajoute que la déclaration « établit
un précédent dangereux par rapport à d’autres conflits. »
Des commentateurs de droite ont aussi relevé cette notion de
précédent. Le quotidien ABC, proche du PP, a averti, « En acceptant
un Etat qui part de rien… les puissances occidentales établissent un
précédent qu’aucune déclaration théorique ne peut défaire. »
Les divisions sur la question du Kosovo ont placé le PSOE dans
une situation difficile. En effet, elle a besoin de maintenir des relations cordiales
avec ses alliés européens tout en s’opposant au régionalisme et au
séparatisme en Espagne. Mais il ne s’agit pas là d’un conflit qui
peut se résoudre facilement. Finalement, Moritanos a dit que la déclaration de
l’UE était acceptable pour l’Espagne, car elle était parvenue à ne
pas dire que le Kosovo est un Etat.
Néanmoins, l’Espagne est en train de se laisser entraîner
dans le bourbier du Kosovo. Moratinos a engagé 1200 soldats espagnols au Kosovo
dans la force de maintien de la paix de l’OTAN et a aussi promis un
contingent de police et quelque 20 experts pour la mission européenne de 1800
hommes envoyée au Kosovo pour y remplacer la force des Nations Unies.
Les difficultés espagnoles avaient été révélées lors
d’une dispute avec la Russie peu avant la déclaration du Kosovo.
S’opposant à l’indépendance du Kosovo avant cette déclaration
attendue, le président russe Vladimir Poutine avait exprimé sa colère vis-à-vis
de la politique européenne « du deux poids, deux mesures » quand il
s’agissait de résoudre les questions régionales.
« A quoi bon encourager le séparatisme ? » dit-il
lors d’une conférence de presse à Moscou. « Les gens ne veulent pas
vivre en Espagne au cœur d’un Etat unique. Eh bien, encourageons-les,
alors ! »
Bien que Poutine exprimât son hostilité à encourager la
sécession, comparer ouvertement le Kosovo à la Catalogne ou au Pays basque se
révéla être plus que le gouvernement espagnol ne pouvait tolérer.
L’ambassadeur russe fut convoqué pour expliquer ces remarques. Il publia
aussitôt un démenti, déclarant que ces paroles ne constituaient pas une
ingérence dans les affaires internes de l’Espagne et que la Russie
« respecte entièrement le système politique et les institutions
démocratiques espagnoles ».
Les séparatistes basques et catalans se sont empressés
d’accueillir favorablement la déclaration unilatérale du Kosovo, la
qualifiant de précédent pour leurs propres ambitions.
Malgré des déclarations de désaccord tactique quant à la forme
de cette indépendance, il y avait dans ces régions l’opinion largement
partagée que cette déclaration leur donnait un certain point d’appui
politique en vue des élections du 9 mars. L’autonomie régionale était
déjà une question politique dans ces élections, le PP accusant le premier
ministre du PSOE Jose Luis Zapatero d’avoir encouragé le séparatisme
basque en cherchant à négocier avec l’ETA (Pays basque et liberté.) Le
PSOE a durci son langage sur le séparatisme à l’approche de la campagne,
et a essayé d’interdire à deux partis basques de se présenter aux
élections.
Les 17 régions autonomes d’Espagne ont toutes des
pouvoirs de gouvernance non négligeables, mais les régions les plus riches,
notamment le Pays basque et la Catalogne, essaient d’obtenir des mesures
d’indépendance en matière de prise de décision économique. Les mouvements
séparatistes se tournent, en grande partie, vers les institutions
internationales comme l’UE. Ils cherchent à attirer des investissements
internationaux en réduisant les impôts sur les sociétés et en ne payant pas les
impôts nationaux, qui sont décrits comme une subvention inacceptable pour les
régions plus pauvres d’Espagne.
Le PNV (Parti nationaliste basque) constitutionnel dirige le
gouvernement régional de coalition au Pays basque. Le président du PNV, Inigo Urkullu
a dit que le parti pousserait Madrid à reconnaître le Kosovo.
Miren Azkarate, porte-parole du gouvernement basque, a qualifié
la déclaration du Kosovo d’« exemple à suivre » pour la
résolution de questions de « conflits d’identité. » Respecter
« la volonté populaire » est « la clé pour résoudre les écueils
politiques, » a-t-elle dit.
C’est loin d’être le cas au Kosovo, où la
déclaration d’indépendance a été encouragée et préparée par les
Etats-Unis et les puissances européennes. Le nouveau premier ministre du
Kosovo, Hasim Thaci était lui-même membre de l’Armée de libération du
Kosovo (KLA), milice secrètement armée et entraînée par les Etats-Unis et
l’Allemagne.
Un autre parti séparatiste, Aralar, a aussi déclaré que cet
acte était « une leçon de défense des droits » et en a appelé au
gouvernement national pour qu’il « garantisse aux Basques le droit
de décider librement et démocratiquement de leur avenir. »
Eusko Alkartasuna (EA), résultat d’une scission d’avec
le PNV et qui fait partie de la coalition au pouvoir, a dit qu’il était
en faveur d’un référendum sur l’indépendance plutôt que d’une
déclaration unilatérale.
Le PNV a l’intention d’organiser dans huit mois un
tel référendum sur l’avenir du Pays basque. Considéré comme illégal par
le gouvernement national, il devrait porter sur le « droit de décision »
des Basques quant aux choix futurs pour la région, dont celui de
l’indépendance.
Le cerveau derrière ce projet, le premier ministre régional
PNV Juan José Ibarretxe, considère que c’est un moyen de résoudre enfin
le conflit de son parti avec l’ETA. Avant la déclaration, l’ETA
avait annoncé qu’elle ferait dépendre ses actions futures de la situation
au Kosovo.
Dans la région du nord-est, la Catalogne, la Gauche
républicaine catalane (ERC) a aussi décrit la déclaration du Kosovo comme
« un précédent important ». Josep Lluis Carod-Rovira, dirigeant de
l’ERC et vice premier régional, a fortement encouragé à reconnaître le
Kosovo. Il a préalablement appelé à un référendum catalan sur
l’indépendance d’ici 2014.
Artus Mas, dirigeant de Convergencia i Una (CiU), parti
nationaliste, a insisté sur le fait que l’Espagne doit reconnaître le
Kosovo. Si le PSOE « refuse de reconnaître ce que la majorité de
l’UE reconnaît, cela montre qu’elle a peur ou alors que ce
n’est pas la démocratie qu’elle a en tête », a dit Mas.
Contrairement au Pays basque, la Catalogne n’a pas de
mouvement séparatiste armé et les politiciens régionaux voulaient absolument insister,
comme l’a dit Mas, sur le fait que « la Catalogne, ce n’est
pas le Kosovo ». Pere Macias de CiU a dit que le Kosovo n’était pas
un modèle pour la Catalogne du fait de son passé violent.
Le séparatisme nationaliste au sein de l’Espagne ne se limite
pas aux deux régions les plus en vue. Les régionalistes de Galicie ont eux aussi
bien accueilli l’indépendance du Kosovo. Francisco Rodriguez du Parti
national galicien (BNG) a dit que « tout processus d’autodétermination
est légitime partout en Europe. »
La réponse du PSOE a consisté à proposer davantage
d’autonomie régionale. Dans un récent article d’opinion intitulé
« Un Kosovo pour Euskadi ? », le journaliste chevronné de El
Pais, Miguel Angel Aguilar a fait remarquer la différence entre le
« panorama sombre » du Kosovo et le « système exemplaire
d’autonomie régionale » des Basques. Il a averti que si les
propositions d’Ibarretxe comportaient « quelque ressemblance avec
l’abîme du Kosovo, alors les Basques feraient bien de garder leurs
distances par rapport à tout cela. »
Malgré de telles mises en garde, les événements politiques ont
leur propre logique. La déclaration d’indépendance du Kosovo marque une
nouvelle étape dans le démantèlement des structures politiques et des Etats existants.
Cela intensifie le danger de guerre, et les lignes de faille s’étendent
bien au-delà des Balkans.