WSWS : Nouvelles
et analyses : Canada
Le coup d ’Etat constitutionnel du Canada : Un
avertissement à la classe ouvrière
Par Keith Jones
6 décembre 2008
Imprimez cet article | Ecrivez à
l'auteur
Le gouvernement
minoritaire conservateur du Canada, dans une attaque flagrante sur les normes
parlementaires et les droits démocratiques et conjointement avec la
gouverneure générale non-élue, a prorogé le parlement fédéral afin d’empêcher
les partis de l’opposition de faire tomber le gouvernement sur un vote
de confiance prévu pour lundi.
Jamais au Canada, ni même
dans tout autre pays suivant le modèle parlementaire britannique, un
gouvernement n’avait prorogé le parlement dans le but d’éviter un
vote de non-confiance.
Le caractère arbitraire
et antidémocratique de la décision de la gouverneure générale Michaëlle Jean
d’accéder à la requête du premier ministre Stephen Harper de suspendre
le parlement jusqu’au 26 janvier est souligné par deux autres
éléments :
* Dans une élection tenue
moins de huit semaines auparavant, les Canadiens ont refusé une fois de plus
d’accorder la majorité parlementaire aux conservateurs et ont donné aux
trois partis de l’opposition 163 des 308 sièges de la Chambre des
Communes et bien au-delà de la moitié de leurs votes.
* Pour démontrer que les
conservateurs avaient perdu la « confiance » du parlement et en
accord avec une pratique constitutionnelle de longue date, les trois partis
de l’opposition avaient officiellement informé la gouverneure générale
plus tôt cette semaine qu’ils s’engageaient à défaire le
gouvernement à la première opportunité et à soutenir un gouvernement de coalition
de l’opposition pour au moins 18 mois.
Le World Socialist Web
Site a clairement exprimé son opposition politique au gouvernement de
coalition des libéraux et du Nouveau Parti démocratique (NPD) soutenu par le
Bloc québécois. (Voir : « Coup
d’Etat » au Canada : Non à la saisie du pouvoir par les
conservateurs ! Aucun soutien à la coalition des libéraux et du
NPD !)
Mais la suspension du
parlement et du droit des députés de défaire et remplacer l’actuel
gouvernement s’attaque au droit démocratique le plus fondamental :
le droit du peuple de choisir son propre gouvernement.
Totalement à l’opposé
de la réalité, les conservateurs, avec l’appui de la majorité des
médias, ont lancé une campagne acerbe et réactionnaire, qualifiant la
tentative de l’opposition de porter au pouvoir un autre gouvernement d’« illégale »
et d’illégitimes efforts visant à renverser les résultats de l’élection
du 14 octobre.
Ils ont qualifié le
gouvernement libéral-NPD suggéré de « coalition séparatiste », car
le Bloc québécois pro-indépendance québécoise, qui avait auparavant fourni
aux conservateurs le soutien nécessaire lors des votes de confiance, l’appuie.
« Cela frise la trahison et la sédition », a déclaré le député
conservateur Bob Dechert. Même des sections des médias de la grande
entreprise qui préfère la prorogation du parlement ont reconnu que Harper et
les conservateurs avaient ouvertement incité le chauvinisme anti-Québec.
Mercredi, dans un
discours national télédiffusé, Harper a juré qu’il « utiliserait
tous les moyens » à sa disposition pour demeurer au pouvoir. En prenant
en considération qu’il a décrit la tentative de l’opposition de
former un gouvernement de coalition comme étant une menace à « l’unité
nationale » canadienne et à la « démocratie » et qu’il a
maintenant suspendu le parlement, ce serment amène à se demander jusqu’où
lui et ses conservateurs sont prêts à aller dans leurs attaques sur les
procédures parlementaires et démocratiques.
Alors que les
conservateurs ont impunément défendu le droit de gouverner sans la sanction
du parlement, la pierre angulaire de leur coup constitutionnel est la
gouverneure générale, la représentante de la reine du Canada, la reine
britannique Elizabeth II.
Une relique féodale, une
instance archaïque, supposément au-dessus de l’arène politique, possède
— même si c’est généralement peu connu — des pouvoirs
pratiquement illimités. Ces pouvoirs « de réserve » sont presque
toujours inutilisés, mais l’élite dirigeante a décidé de conserver l’instance
du gouverneur général précisément dans le but de court-circuiter la
démocratie parlementaire en période de crise profonde.
Hier, Jean a ordonné la
prorogation du parlement afin d’assurer la survie d’un
gouvernement droitier dans des conditions de crise économique grandissante.
En Australie en 1975, le gouverneur général John Kerr a remplacé le gouvernement
travailliste de Gough Whitlam par le droitiste Malcolm Fraser lorsque la
classe dirigeante australienne perdit confiance dans l’habileté des
travaillistes d’étouffer une montée des luttes de la classe ouvrière.
En continuité avec les
traditions et fonctions réactionnaires de son rôle, Jean ne fournira aucune
explication pour la décision de la suspension du parlement. Légalement, elle
n’est redevable à personne.
Cela ne veut pas dire que
la décision d’hier était la sienne. L’élite économique canadienne
a bien fait comprendre, par les éditoriaux de ses journaux, qu’elle
préfère voir les principes démocratiques bafoués plutôt que le gouvernement
remplacé par une coalition libéral-NPD.
Cette coalition, de plus,
n’a rien de radical. En concoctant leur alliance avec les libéraux, qui
représentent le parti traditionnel au pouvoir du Canada, le social-démocrate
NPD a promis de soutenir la « responsabilité fiscale » et le rôle
de premier plan du Canada dans la guerre en Afghanistan. Il a aussi mis de
côté sa demande pour l’annulation d’un programme de 50 milliards
de dollars de baisses d’impôts pour les entreprises, étendu sur cinq
ans.
Le caractère de classe de la
coalition, sa soumission à la grande entreprise, est montré par sa réaction
timorée au coup constitutionnel de jeudi. Aucun des trois chefs des partis de
l’opposition n’a osé remettre en cause, encore moins défier, la
gouverneure-générale ou sa décision. Ce n’est que dix minutes après le
début de sa conférence de presse que le dirigeant du NPD Jack Layton a osé se
lamenter que c’était « un jour triste pour la démocratie
parlementaire » avant de rapidement passer à autre chose. Les fissures
apparaissent dans la direction du Parti libéral sur la question de savoir si
le parti, dans « l’intérêt national », ne devrait pas se
rallier au gouvernement conservateur.
La crise politique et
constitutionnelle qui a fait soudainement irruption après que le gouvernement
eut présenté le 27 novembre son énoncé économique et fiscal, a sa source dans
les profonds conflits qui divise la bourgeoisie canadienne sur la réponse à
prendre envers la récession mondiale. Les conservateurs, représentant les
sections les plus rapaces du capital, y compris l’industrie pétrolière
de l’Alberta, ont rejeté les appels pour un plan de stimulation
économique.
La crise est aussi le produit de l’érosion
du soutien populaire pour les principaux partis de la classe dirigeante.
Cette érosion est la conséquence de près d’un quart de siècle de
politiques visant à accroître la richesse des élites financières et
industrielles en démantelant les services publics, en éliminant les droits
syndicaux et en diminuant grandement les impôts et les taxes pour les riches
et la grande entreprise.
Lors des élections de 1993, le
Parti progressiste-conservateur, l’alternative traditionnelle de l’élite
canadienne aux libéraux pour former le gouvernement, a implosé. Le
« nouveau » Parti conservateur, dirigé par l’idéologue
néo-conservateur Stephen Harper, est le résultat de la fusion du parti
populiste de droite, le Parti réformateur devenu l’Alliance canadienne,
avec ce qui restait du Parti progressiste-conservateur. Dans les élections du
14 octobre dernier, les libéraux n’ont obtenu que 26,2 pour cent du
vote, le plus faible résultat de leur histoire.
Le cadre démocratique traditionnel
de la politique bourgeoise est en train de s’effondrer. Cela est dû, d’un
côté, à l’intensité des disputes au sein de la classe dirigeante sur la
façon dont le capitalisme canadien doit chercher à conserver sa position
mondiale dans un contexte de rivalités géopolitiques et commerciales
mondiales et, de l’autre, à son incapacité à trouver une base de
soutien populaire importante et stable pour son programme de réaction sociale
et de militarisme et à sa peur du développement de la lutte de classe.
Les événements de cette semaine au
« royaume paisible » doivent servir d’avertissement pour les
travailleurs de par le monde. La bourgeoisie est de plus en plus préparée à
piétiner les normes et les principes démocratiques les plus élémentaires et à
adopter des formes autoritaires de pouvoir.
Et c’est ce que l’on a pu voir clairement aux Etats-Unis. La
campagne de droite visant à destituer Bill Clinton sous de fausses
accusations fut suivie de l’élection volée de 2000 et ensuite
d’une explosion du militarisme et d’importantes attaques contre
les droits démocratiques sous l’administration Bush. Des dizaines de
millions de personnes ont voté le mois dernier pour le démocrate Barack Obama
dans l’espoir de mettre fin à la guerre et aux politiques économiques
qui ont enrichi une ploutocratie tant en condamnant la très grande majorité
de la population à l’insécurité économique et à des conditions de vie
en déclin. Mais Obama a rapidement rassuré l’élite américaine que la
transition, en ce qui concerne la politique économique ainsi que les guerres
en Irak et en Afghanistan, se ferait « sans heurts »,
c’est-à-dire qu’elle représenterait la poursuite de la même
trajectoire fondamentale.
Et maintenant au Canada, comme aux Etats-Unis, les événements ont révélé qu’il
n’y a aucune section de l’establishment politique et médiatique
engagé à défendre les principes constitutionnels et les droits démocratiques.
La lutte pour la défense des droits démocratiques est inséparable
d’une lutte contre la guerre impérialiste et pour les intérêts
économiques des travailleurs. Elle nécessite la mobilisation politique
indépendante de la classe ouvrière en opposition à tous les partis officiels
et au système capitaliste qu’ils défendent.
(Article original anglais paru le 5 décembre 2008)
|