Le secrétaire américain au Trésor Henry
Paulson a présenté ce lundi 31 mars son projet pour retaper le système
américain de régulation du monde financier. Sa proposition, qui renforce les
pouvoirs de la Réserve fédérale quant aux problèmes des marchés et des
institutions financières, affaiblit en fait la supervision du gouvernement
fédéral sur les banques d’investissements américaines et ne touche pratiquement
pas aux énormes marchés secondaires, dit des dérivés, sans réglementation.
Deux semaines à peine après que la Réserve
fédérale soit intervenue pour empêcher la faillite de la banque
d’investissement Bear Stearns et qu’elle ait annoncé de gigantesques prêts aux
autres firmes de Wall Street pour empêcher un effondrement du système
financier, la « proposition pour une réforme du
système fédéral de régulation financière » de Paulson souligne la
détermination des sections les plus puissantes de l’establishment financier à
bloquer toute mesure qui limiterait leur capacité à générer des profits et des
compensations de plusieurs millions de dollars au moyen de la spéculation
financière.
Paulson a présenté cette proposition en grande
partie en réponse à l’éclatement de la bulle immobilière et à la crise des
hypothèques à risque, les subprimes, qui a déjà résulté en la perte de
dizaines de milliards de dollars pour les grandes banques et en une crise de
confiance envers tout le système de crédit américain. En fait, le plan que
Paulson a présenté est en développement depuis le printemps dernier au Trésor
américain qui voulait déréglementer encore plus le système financier américain
pour qu’il soit encore plus profitable et plus concurrentiel face à ses rivaux
en Europe et ailleurs.
Paulson, qui a été un assistant de Nixon et un
dirigeant de Wall Street, défend depuis longtemps l’idée qu’il faut réduire la
réglementation gouvernementale des banques et des firmes financières. Il a été
le PDG de Goldman Sachs, la plus importante banque d’investissement aux
Etats-Unis avant de devenir secrétaire d’État au Trésor sous Bush en 2006. Il a
personnellement tiré profit de la politique du risque débridé sur Wall Street
qui a été encouragée tant par les administrations démocrates que républicaines.
Il a obtenu 37 millions en 2005 selon certains reportages qui prévoyaient qu’il
encaisserait 16,4 millions en 2006. Sa valeur nette est estimée à 700 millions
de dollars.
Il n’est pas surprenant que ni dans les
remarques de Paulson, ni dans son plan de 214 pages, on ne trouve la suggestion
que les firmes de Wall Street ou leurs principaux dirigeants soient imputables
ou légalement coupables pour le désastre économique et social qui a résulté de
leurs politiques et gestes téméraires, parfois trompeuses si ce n’est même
illégales.
Les remarques de Paulson étaient pleines
d’euphémismes qui voulaient cacher la profondeur de la crise économique.
« Les marchés mettent présentement un prix et réévaluent le risque »,
a-t-il dit, faisant référence à l’effondrement de la valeur grossièrement
exagérée des garanties des hypothèques à risque et des autres formes de
spéculation.
Il a cherché à rassurer Wall Street en
déclarant « Je ne suggère pas que plus de réglementation soit la
réponse » et a décrit l’abrogation en 1999 de la loi de Glass Steagall
comme une grande avancée. La loi de Glass-Steagall, a été votée au plus fort de
la Grande Dépression en 1933, en réponse à des révélations de fraudes massives
par les principales banques et institutions financières. Elle a rendu illégale
pour une banque commerciale, c’est-à-dire pour une banque acceptant des dépôts
de particuliers, d’être aussi une banque d’investissement. La levée de cette
interdiction a contribué à former un environnement de grande spéculation qui a
engendré la crise actuelle.
Il a aussi déclaré : « Je ne
crois pas qu’il soit juste ou exact de blâmer notre structure réglementaire
pour les problèmes actuels des marchés. » Cette structure qu’il ne faut
pas « blâmer » a permis, par exemple, aux agences de crédit, payées
par des firmes financières pour évaluer les garanties données par ces mêmes
firmes, de donner des cotes de AAA aux prêts hypothécaires à risque et aux
firmes de comptables de permettre aux prêteurs hypothécaires d’inscrire des
pertes comme des profits.
Le projet du Trésor américain est divisé en
propositions pour le court, le moyen et le long terme. A court terme, il
demande que l’autorité et le nombre de membres du comité présidentiel sur les
marchés financiers soient augmentés. Ce comité mis en place en 1987 après le
crash de la bourse de 1987 comprend actuellement le président de la Réserve
fédérale, le secrétaire au Trésor, le dirigeant de la Securities and Exchange
Commission (SEC), l'autorité des marchés financiers aux Etats-Unis, et le
dirigeant de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), chargée de
superviser les activités des marchés à terme du pays.
Le projet prévoit aussi que le gouvernement
fédéral aura plus de pouvoirs pour superviser les compagnies d’assurances et
que l’Office of Thrift Supervision, un organisme du Trésor chargé de superviser
les institutions de prêt et d’épargne soit aboli.
A plus long terme, ce que Paulson admet
prendra des années à mettre en place, le projet du Trésor prévoit un système de
régulation tripartite dans lequel la Réserve fédérale est privée de ses
pouvoirs de superviser les banques commerciales au jour le jour et se voit
donner des pouvoirs supplémentaires pour réparer l’ensemble des institutions
financières et des marchés. En vertu du plan du Trésor, la Réserve fédérale
pourra inspecter les livres de toute banque, banque d’investissement, fonds
spéculatif (hedge fund), société de financement par capitaux propres ou
compagnie d’assurances et ordonner des mesures comme la nécessité de former des
réserves de capital. Mais ses nouveaux pouvoirs de la Réserve ne seront
applicables que si la Réserve considère que les pratiques d’une compagnie
présentent une « menace » pour le système financier.
Le rôle actuel de la Réserve fédérale dans la
supervision des banques commerciales et des autres institutions de dépôt serait
donné à un nouveau régulateur financier. Il est important de noter que le
mandat de cette nouvelle agence ne s’appliquerait pas aux banques
d’investissement même si ces dernières ont maintenant accès aux prêts garantis
par le gouvernement de la Réserve fédérale.
Finalement, il y aurait aussi un régulateur de
la conduite des affaires qui superviserait le comportement des financières dans
le but de protéger les consommateurs et les investisseurs.
L’immense croissance du secteur financier
américain au cours des dernières dizaines d’années a été alimentée par une
série de bulles d’actifs qui furent possibles à cause du rôle proéminent que
jour le dollar américain dans la structure du capitalisme mondial. C’est ce qui
a permis aux Etats-Unis d’avoir ces immenses déficits et d’accumuler des dettes
à un niveau impensable pour tout autre pays. Mais la période où l’élite
dirigeante américaine pouvait engranger les profits tout en laissant son infrastructure
et sa capacité de production s’effriter était dans son essence propre
transitoire. La crise actuelle représente le début d’un réajustement mondial et
de l’atteinte d’un nouvel équilibre de la puissance économique qui se fera au
détriment du capitalisme américain.
La crise actuelle est la culmination du déclin
prolongé de la position économique mondiale du capitalisme américain, qui a été
partiellement masqué dans le passé par une immense croissance de spéculation
financière et de parasitisme. Ce n’est pas, comme Paulson l’a dit dans ses
remarques lundi passé, simplement une des « périodes de problèmes sur les
marchés » qui se produisent à « tous les cinq ou dix ans ».