Le 5 avril, Baba Traoré, un immigré sans-papiers
d’origine malienne de 29 ans est mort d’une crise cardiaque après
avoir sauté dans la Marne tandis qu’il essayait d’échapper à un
contrôle de police en gare de Joinville-le-Pont.
Traoré était arrivé en France en 2004 pour donner un rein à sa
soeur qui a aujourd’hui 40 ans et vit en France suite à son mariage avec un
Français. Le professeur Christophe Legendre, grand spécialiste de la
transplantation rénale à l’hôpital Necker de Paris avait demandé que
Traoré vienne en France pour la transplantation. Célibataire, Traoré vivait
avec sa sœur et travaillait pour des agences de nettoyage et d’entretien.
Son permis de séjour avait expiré en 2007 et sa demande de renouvellement pour
raisons médicales lui avait été refusée.
Dans une interview sur Radio-J, le porte-parole du
gouvernement Luc Chatel a qualifié l’événement de « drame »,
mais s’est empressé d’ajouter « un citoyen en règle se conforme
aux contrôles de police ».
Chatel a poursuivi : « J'ai une pensée pour la
famille de ce jeune, c'est un drame qui nous touche tous ; Mais je
voudrais relater les faits. C'est en voulant échapper à un contrôle de la
police ferroviaire que ce jeune Malien s'est enfui et qu'il a chuté
malencontreusement et qu'il s'est noyé. »
En dernière analyse toutefois la mort tragique de Traoré
n’est pas un hasard dû à « une chute malencontreuse », mais
bien plutôt la conséquence de calculs électoraux et de la politique
d’Etat de l’actuel gouvernement français.
Le président Nicolas Sarkozy a remporté l’élection
présidentielle de mai 2007 en partie en faisant appel aux voix anti-immigrés de
l’extrême-droite, un thème qu’il a repris lors de divers voyages
sur la côte méditerranéenne lors des élections municipales de mars 2008.
Peu après son accession au pouvoir, Sarkozy avait nommé son
collaborateur Brice Hortefeux ministre de l’Immigration, de
l’Identité nationale et du Co-développement. Dans un article daté du 1er
juin 2007 publié dans le quotidien conservateur Le Figaro, Hortefeux
avait annoncé que le gouvernement avait fixé à 25 000 le nombre
d’immigrés sans-papiers que les collectivités locales étaient tenues de trouver
et de déporter. Il avait dit, « Nous resterons très fermes : pour
2007, l'objectif est de 25 000 éloignements. Les étrangers sans papiers
n'ont pas vocation à rester en France, mais à être raccompagnés dans leur pays
d'origine, de manière volontaire ou contrainte. »
Il est vite apparu clairement que les collectivités locales étaient
incapables de trouver 25 000 immigrés sans-papiers à déporter, ce qui
souligne le côté arbitraire et politiquement motivé des objectifs chiffrés
décidés par Sarkozy et Hortefeux. Début septembre, Hortefeux convoquait 19
préfets au ministère de l’Immigration afin de les critiquer pour n’avoir
pas atteint les objectifs de déportation fixés.
Un représentant du syndicat de la police, Joaquin Masanet de UNSA-police
a dit au journal Libération: « Il faut faire attention à toute
cette pression sur les préfets qui risque de retomber sur l'ensemble de la
hiérarchie policière. Les fonctionnaires ne sont pas là pour contrôler tout le
monde. On ne va pas mettre un gardien de la paix à chaque carrefour, dans
chaque restaurant ou entreprise pour faire du chiffre en matière
d'expulsion. »
Mais à ce moment-là, les raids de la police avaient déjà des
conséquences mortelles sur les sans-papiers. Le jeune Ivan, 12 ans, se retrouvait
dans le coma à Amiens le 10 août après une chute du quatrième étage alors
qu’il tentait d’échapper à la police d’immigration. Encore en
août, Tarek, 24 ans, sautait d’un immeuble pour échapper à la police à
Toulouse. Une immigrée chinoise, Chunlan Liu, trouvait la mort après s’être
défenestrée le 20 septembre 2007 pour échapper à la police dans le Centre de
Paris.
Le 15 février 2008, l’immigré et athlète kenyan John Maïna,
qui craignait d’être torturé s’il était expulsé vers le Kenya, se
suicidait en apprenant que sa demande d’asile était définitivement
rejetée.
Finalement, il y a eu 21 000 sans-papiers expulsés de
France en 2007. Retenus dans des centres de rétention surpeuplés, les
sans-papiers ont organisé des manifestations et des grèves de la faim pour
faire connaître les conditions de vie terribles auxquelles ils sont soumis. Le
17 avril, cinq policiers ont été brièvement retenus à l’Inspection
générale des services (IGS) pour y être interrogés sur leur conduite du 11
février durant les manifestations de sans-papiers au centre de rétention de
Vincennes. D’après le quotidien Le Monde, « Ils y ont fait usage de
pistolets à impulsion électrique et ont été filmés par les caméras de
vidéosurveillance. Des personnes avaient été hospitalisées à la suite de cette
intervention. »
Une étude de l’organisation humanitaire Cimade, citée
par le Monde, révèle que 35 000 immigrés ont été placés en centres de rétention
collective en 2007. L’étude révèle aussi que les immigrés disposaient de
cinq jours pour faire leur demande de droit d’asile, mais qu’on ne
mettait pas à leur disposition, pour remplir les formulaires, de tables ou de
stylos au prétexte qu’ils risquaient de s’en servir comme
d’armes. Parmi ces sans-papiers retenus en centres de rétention, on
comptait 242 enfants, bien que la législation française les protège de ces
procédures de déportation. L’année dernière, un immigrant s’est
suicidé dans un centre de rétention de Bordeaux et deux retenus avaient tenté
de s’immoler par le feu à Lyon.
Des personnalités plus perspicaces parmi la classe dirigeante
française, tout en remettant en question cette incitation, de la part de
Sarkozy, à des attitudes droitières par une politique anti-immigrés, ont
exprimé leur inquiétude de voir ce programme finalement provoquer une révulsion
généralisée au sein de la classe ouvrière. En septembre dernier, l’ancien
premier ministre Dominique de Villepin s’inquiétait de ce que
d’autres pays où une telle politique était pratiquée n’avaient pas
eux « connu les rafles » de juifs durant l’occupation nazie de la
France, où la police française suivait les ordres des SS et de la Gestapo pour
retrouver les juifs vivant en France et les déporter dans les camps
d’extermination nazis.
La mort de Baba Traoré a provoqué une vague de manifestations
et de protestations. Les 5, 6 et 12 avril des centaines de personnes ont défilé
à Joinville-le-Pont, y compris Nagnouma Komé, la sœur de Traoré, qui a fait
part à la presse de son « incompréhension » sur les circonstances de
la mort de son frère. Elle a ajouté, « On aurait pu sauver Baba, les
policiers pouvaient se jeter à l'eau, on n'a pas voulu sauver Baba, qui ne
savait pas nager et avait peur de l'eau. »
Bahija Benkouka, coordinatrice d’une association de
soutien aux sans-papiers, le 9e Collectif parisien des sans-papiers, a
dit à l’AFP, « La chasse à l'étranger a pour conséquence des drames
humains et ça risque de continuer si Sarkozy va dans le même sens, la
régularisation est la seule solution juste et humaine. »
D’autres associations d’aide aux sans-papiers ont
exprimé leur opposition à la politique du gouvernement. Nathalie Serré,
porte-parole de l’UCIJ (Unis contre l’immigration jetable) a dit,
« L'actualité montre malheureusement que la politique du gouvernement tue
et nous voulons faire cette démonstration alors que dans trois mois la France
va vouloir imprimer sa politique à toute l'UE » lorsque ce sera au tour de la
France de prendre la présidence de l’Union européenne.
Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié des
peuples (MRAP) a publié une déclaration disant, « Après la répétition de
ces drames du désespoir, et le risque d'autres tragédies, il y a une urgence
absolue à mettre un terme à cette chasse aux sans-papiers par un arrêt immédiat
de toutes expulsions. »
Peu après la mort de Traoré, le 15 avril, des centaines de travailleurs
sans-papiers ont commencé une grève dans les restaurants et les entreprises de
nettoyage et de sécurité, qui les emploient. Sans recours possible aux
tribunaux pour obliger les employeurs à leur accorder un salaire régulier et
des prestations sociales, ces immigrés font partie des couches les plus
exploitées de la classe ouvrière.
Selon un reportage du Monde, le British Council et le
Migration Policy Group ont récemment publié un rapport sur les conditions de
vie des immigrés dans toute l’Europe. Le Monde écrit, « Selon
les six critères retenus par cet index - accès au marché du travail,
regroupement familial, résidence de longue durée, participation politique,
accès à la nationalité et non-discrimination - la France se classe 11e avec un
score de 55 sur 100, loin derrière la Suède (88), le Portugal (79) ou la
Belgique (69) et à égalité avec la Slovénie (...) Les ressortissants de pays
tiers résidant légalement en France doivent remplir les conditions les plus
sévères des vingt-huit pays pour le regroupement familial et la résidence de
longue durée. »