Dans
la foulée de l’émeute qui a éclaté plus tôt ce mois-ci à Montréal-Nord après
que la police ait abattu un jeune immigrant hondurien de 18 ans qui
n’était pas armé, les médias officiels tentent de blanchir la police et
de dissimuler les causes sociales de la répression sous-jacente des jeunes des
minorités.
André
Pratte, éditorialiste en chef au quotidien montréalais La Presse, commentait samedi:
« personne n’est en mesure de dire aujourd’hui si les
policiers ont commis une bévue tragique ou s’ils se trouvaient en
situation de légitime défense ». Quelques jours plus tôt, un éditorial du
Globe and Mail de Toronto affirmait : « Les circonstances entourant
le coup de feu fatal demeurent nébuleuses. »
Ces
affirmations sont en flagrante contradiction avec les comptes rendus de l’événement
fatal rapportés par les témoins oculaires, lesquels dressent tous un portrait
clair et cohérent de ce qui s’est produit.
Le
soir de la fusillade, Fredy Villanueva jouait aux dés dans un parc public avec
son frère Dany Villanueva et des amis lorsque deux agents de la police de
Montréal les approchèrent et procédèrent à l’arrestation de Dany sans
raison apparente. Lorsque Fredy se mit à protester
contre l’arrestation arbitraire de son frère, l’un des
policiers dégaina son arme et tira quatre coups de feu, tuant Fredy et blessant
deux de ses amis, Denis Méas et Jeffrey Sagor Metellus.
Quelques
heures après l’événement, des porte-parole de la police commencèrent à
faire circuler une version totalement différente des événements, prétendant que
les deux officiers avaient été encerclés par plus d’une vingtaine de
personnes. « À un certain moment, ... un bon nombre d’individus se
sont rués vers les policiers et les ont agressés. Un des policiers présents
aurait alors fait feu en direction des suspects, atteignant trois d’entre
eux. »
Samuel
Meideiros, 18 ans, faisait de la planche à roulettes près des lieux des événements
lorsqu’il vit la paire de policiers s’approcher du groupe de
jeune. « Je ne sais pas ce que la police a en tête, mais vraiment c'est
injuste. Ils étaient six personnes. On ne sait pas exactement ce que le jeune a
pu faire, ce qu'il a pu dire, peu importe. Ils n'étaient pas 20 et ils n'ont
pas agrippé des policiers. »
Claude
Laguerre, l’un des jeunes impliqués dans l’incident, a raconté au
journal montréalais, La Gazette, qu’il n’y avait personne dans le
groupe qui était armé ou qui a fait un contact physique avec les agents de police.
« Nous étions six gars et deux filles. Nous nous sommes approchés, mais
nous ne les avons pas touchés. » Laguerre a expliqué que les officiers
sont devenus agressifs trente secondes après être sortis de leur véhicule.
« Ils ne nous ont pas demandé nos noms, ils sont juste devenus agressifs »,
a dit Laguerre, ajoutant que le policier a ouvert le feu sans avertissement. Il
a précisé aussi que le policer a continué à braquer son arme sur le groupe
après avoir tiré.
Dans
une entrevue télévisée, Dany Villanueva donne un compte rendu détaillé de l’événement :
« Il y avait une partie de dés, on s’amusait, moi, mon frère et puis
ses amis. Ma cousine était là aussi. Il y a eu une auto de police qui est
apparue par en arrière. On était dans le milieu, on s’est retiré.
L’agent de police est venu directement vers moi, il m’a dit :
"toi je t’ai vu jouer aux dés, viens ici." Là il voulait
m’arrêter. Il a pris ma main. Moi au début j’avais une distance de
lui, après ça je me suis approché. Il m’a pris la main, il voulait me mettre
des menottes. J’ai dit : "Pourquoi tu fais ça ? J’ai rien fait
de mal." Il forçait, il forçait. À un moment donné, j’avais mal à
mon bras, je forçais aussi pour mettre mon bras un peu droit. L’autre
policier est venu et ils m’ont lancé devant le capot de l’auto.
J’ai réussi à me relever. L’agent de police m’a pris par le
cou, il m’a fait une jambette et m’a fait tomber à terre.
C’est là que mon petit frère est venu, il a dit : "Qu’est-ce
que tu fais, lâche mon frère. Pourquoi tu fais ça ?" Et puis, j’ai
entendu juste des coups de feu, j’ai vu mon frère à terre. »
Les
représentants du gouvernement refusent de tenir une enquête publique sur la
fusillade policière ayant entraîné la mort de Fredy Villanueva et aucune mesure
disciplinaire n’a été prise contre les agents responsables de sa mort.
Une enquête interne bidon a été confiée à la Sûreté du Québec. L’objectif
de cette enquête est de blanchir les deux policiers impliqués et le service de
police de la ville de Montréal dans son ensemble. « Je ne sais même pas si
l’enquête à fait des progrès, ce qui se passe, rien », raconte
Patricia Villanueva, la sœur de la jeune victime et porte-parole pour la
famille.
Il
y a également une tentative faite par l’établissement dirigeant de nier
tout lien entre la mort du jeune adolescent latino et le harcèlement constant
de la police à l’encontre des jeunes de la minorité.
Dans
l’éditorial de La Presse mentionné plus haut, Pratte insiste pour
rassurer son lectorat qu’ « absolument rien n’indique que les
policiers de Montréal sont une bande de brutes racistes ». La dernière expression
est tout à fait a propos.
« La
relation entre les jeunes hommes et la police dans ces régions chaudes sont
très difficile, » expliquait Marina Mourani, une sociologue et membre du
Bloc Québécois à la Gazette le 12 août. « Si vous êtes un mâle, un membre
d’une minorité visible et conduisez une voiture de sport, vous pouvez
être ciblé », raconte Mouriani. « Un jeune m’a raconté
qu’il avait été arrêté dix fois dans une même journée. C’est
beaucoup et je crois que les jeunes en ont assez ».
Ceci
est particulièrement le cas, et ce, depuis des années, dans le quartier
densément composé d’immigrants de Montréal-Nord, surnommé le
« Bronx », là où Fredy Villanueva a été tué. Le quartier a des zones
très concentrées de pauvreté extrême avec tous les problèmes sociaux associés,
y compris la présence de gangs de rue et la violence liée à la drogue. Ces
problèmes sont combinés à la répression policière et à la criminalisation de la
population.
Jacques
Hébert, professeur d’étude social à l’Université du Québec à
Montréal (UQAM), dit de cette région : « Une étude que j’ai
codirigée en 1996 pour comprendre la trajectoire sociale de jeunes Haïtiens de
ce quartier constatait que la majorité d’entre eux avait été interpellée
"agressivement" par des policiers à l’occasion de contrôles de
routine. Le terme le plus fréquemment utilisé par des représentants de
l’ordre était le mot "nègre".
Observant
la même chose, Pierreson Vaval, un dirigeant d’un organisme d’aide
aux jeunes à Montréal-Nord, a dit à la presse que les jeunes « se
révoltent parce qu’ils n’aiment pas la manière qu’ils sont traités.
Ils n’aiment pas la manière avec laquelle les autorités interagissent
avec eux. »
Cette
remarque a été pointée du doigt par l’éditorial précité du Globe and Mail
comme étant une tentative « d’ennoblir le vol de viande ou les
incendies de voitures en tant qu’expression de la jeunesse
opprimée ».
Le
porte-parole de l’établissement financier du Canada ne veut pas que soient
examinées les racines sociales des émeutes de la semaine dernière à Montréal-Nord
à cause de ce que cela révèlerait : l’augmentation de la brutalité
policière et du racisme comme réponse d’une classe dirigeante qui n’a
aucune solution progressive aux graves malaises sociaux générés par son système
basé sur le profit.
Les
statistiques pour Montréal-Nord en disent long à cet égard : 40 pour cent
de sa population de 85,000 habitants vit sous le seuil officiel de pauvreté,
soit le double du pourcentage provincial ; 46 pour cent des locataires
dépensent près du tiers ou plus de leur revenu pour le loyer, comparativement à
35 pour cent pour l’ensemble de la ville de Montréal ; le taux de
chômage y est de 12% comparativement au taux provincial de 8 pour cent; et
parmi ceux âgés entre 15 et 24 ans, le taux de chômage grimpe à 16 pour cent,
comparativement au taux provincial de 13 pour cent.
Marie
Manseau, une enseignante au primaire dans une école très fréquentée par des élèves
de Montréal-Nord a décrit à La Presse le processus social à travers lequel les
jeunes se retrouvent sans avenir. « C’est normal que ça pète quand
autant de jeunes manquent de buts, d’occupations. Il faut les motiver par
des activités. C’est impressionnant à quel point on peut raviver
l’étincelle grâce à un journal d’école, à une pièce de théâtre ou à
une visite au musée. Malheureusement, les budgets ne sont jamais là et, avec la
réforme, on a sabré les activités à caractère artistique. La moitié des professionnels
ont perdu leur job. »