Le quotidien français l’Humanité, historiquement
lié à la politique du Parti communiste français stalinien (PCF) n’est pas
paru les 15 et 16 août, en pleine crise grave et potentiellement fatale. Dans
son numéro du 14 août le journal expliquait que « dans le cadre du plan de
sauvegarde face aux difficultés qui menacent l’existence même de notre
journal, l’Humanité ne paraîtra pas ces vendredi 15 et samedi 16
août. »
Le tirage du quotidien a connu un déclin très important ces
dernières années, parallèlement au déclin du nombre d’adhérents du PCF.
Les événements entourant cette dernière crise ont été soulignés par le
directeur de la publication Patrick Le Hyriac dans son appel aux lecteurs
« pour sortir le journal de l’impasse financière dans laquelle il a
été placé du fait de la non-réalisation de la vente de son immeuble mi-juillet.
»
Afin de rembourser ses dettes, estimées à 8 millions
d’euros, le journal avait mis en vente son siège social, l’année
dernière, pour la somme de 15 millions d’euros. L’immeuble, conçu
par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer en 1989 et situé à Saint Denis,
autrefois un solide bastion du PCF dans la banlieue nord de Paris, avait trouvé
un acquéreur qui avait promis de finaliser la vente en juillet. Le Hyaric
explique que le resserrement du crédit provoqué par la crise financière
mondiale a rendu l’acquéreur incapable de payer. Entre temps, les 240
membres du personnel ayant déménagé dans de nouveaux locaux en juin, le journal
se trouve à présent dans le besoin urgent de trouver 2 millions d’euros
pour survivre.
Le Hyaric a lancé une large souscription: « Ne laissons
pas affaiblir ou bâillonner la voix de l’Humanité au moment où nos
concitoyens ont plus que jamais besoin d’une information plurielle. »
Faisant référence au forum de discussion du président Sarkozy prévu pour
septembre prochain et visant à « aider » la presse, Le Hyaric a
plaidé, « Nous voulons que ces états généraux se traduisent par des moyens
pour le pluralisme de la presse, pour défendre les quotidiens, pour créer les
conditions pour qu’ils vivent, pour une nouvelle réflexion sur les aides
à la presse. »
Comme l’Humanité représente le pilier gauche de
l’establishment médiatique français, la souscription lancée par les
sympathisants de l’Humanité s’adresse en grande partie à l’Etat
bourgeois. Patrick Kamenka, qui écrit pour le syndicat de journalistes SNJ-CGT,
lié au PCF, dénonce que « Ni le chef de l'Etat, ni le ministre de la
Culture, ni les grands médias se sont exprimés. Encore une fois l’Humanité
se meurt dans l'indifférence générale. Hormis la mobilisation des lecteurs de l’Humanité,
c'est le silence radio du côté des penseurs officiels et des idéologues (...)
qui ne visent qu'à renforcer les grands groupes de presse multimédia alliés du
pouvoir.»
Cet appel est tout particulièrement cynique car l’Humanité
s’appuie déjà de façon substantielle, pour son financement, sur les
grands groupes de médias, du fait qu’elle a depuis longtemps abandonné
tout effort de compter financièrement sur une base ouvrière. La chaîne
télévisée privée TF1 et le Groupe Hachette, propriétés de Lagardère, nabab des
médias et de l’armement, détient 20 pour cent du capital de
l’entrepriseconjointement avec la filiale Humanité Investissement
Pluralisme. Les 40 autres pour cent du capital de l’Humanité sont
détenus par diverses associations de lecteurs et d’amis de l’Humanité
et les 40 pour cent restant sont détenus par des membres du PCF.
Dans un effort pour survivre, le quotidien s’est tourné
ces dernières années vers des couches plus larges des classes moyennes de
gauche autour des Verts, des féministes, des mouvements militants anti-OGM, des
sections du Parti socialiste à la rhétorique gauchisante et de tous ceux qui
adoptent une étiquette « antilibérale », y compris des individus
attirés par l’« anticapitalisme » de la Ligue communiste
révolutionnaire (LCR.) Le quotidien a officiellement renoncé à la prétention
d’être la voix du PCF en 1999, après que la fin de l’Union
soviétique ait mis au goût du jour parmi les cercles gauchistes les propos sur
la fin du socialisme.
Que l’Humanité dépende aujourd’hui de dons
de la bourgeoisie et de l’intervention de grandes entreprises est à mille
lieux des principes initiaux du quotidien quand il avait été lancé le 18 avril
1904 par Jean Jaurès, le social démocrate pacifiste, dont le premier éditorial
stipulait la nécessité de l’indépendance financière.
Le quotidien avait ensuite suivi la majorité des membres du Parti
socialiste, qui avaient décidé après le Congrès de Tours de 1920 de fonder la
section française de l’Internationale communiste, qui devait prendre plus
tard le nom de Parti communiste français (PCF.) Tombant de plus en plus sous le
contrôle des Staliniens au cours des années 1920, son sort a en grande partie reflété
celui du stalinisme français.
A la fin de la Seconde guerre mondiale, lorsque le PCF
jouissait d’un grand prestige populaire du fait de son rôle dans la coordination
de la résistance armée à l’occupation nazie, l’Humanité tirait
à 400 000 exemplaires et le PCF était le parti politique le plus important
de France. Substantiellement affaibli par sa politique perfide après la guerre,
notamment son imposition d’une politique interdisant la grève après la
Libération et sa trahison de la grève générale de 1968, le soutien au parti est
tombé en chute libre avec sa participation à des gouvernements bourgeois et
suite à la dissolution de l’URSS.
Depuis sa participation à des gouvernements de « gauche
plurielle » avec le PS sous la présidence de François Mitterrand en
1981-84 et du président droitier Jacques Chirac 1997-2002, le PCF a perdu
600 000 membres et 15 000 élus. Le tirage de l’Humanité est
à présent au-dessous de 50 000 exemplaires. Le « pluralisme » du
PCF a signifié la cohabitation avec la bourgeoisie française, ce qui a coûté au
parti et à sa presse le soutien des travailleurs, et notamment des jeunes,
tandis que le PCF présidait au chômage de masse et à la destitution sociale
dans de nombreuses villes sous son contrôle ces 30 dernières années.
Lors des élections présidentielles de 2002, Marie-George
Buffet, future dirigeante du PCF, avait déclaré dans l’Humanité
(21/2/2002) avant le premier tour des élections: « Depuis 1997, malgré un
travail important, avec un apport utile des communistes dans la majorité
plurielle, des femmes et des homes constatent que décidemment la politique ne
transforme pas leur quotidien. » Avec une conclusion pareille, on comprend
que Robert Hue, candidat du PCF n’ait recueilli que 3,37 pour cent des
voix.
Juste avant le second tour des élections, où le choix qui
s’offrait était entre le président sortant, Jacques Chirac du parti
droitier au pouvoir l’UMP et le néofasciste d’extrême-droite
Jean-Marie Le Pen (ou l’abstention), le PCF avait donné un sens nouveau
au concept de « majorité plurielle » en mobilisant pour soutenir
Chirac, placardant les murs de France d’affiches appelant à « voter
Chirac. » Ce dernier avait finalement remporté l’élection et un
mandat pour attaquer le niveau de vie des travailleurs. Le fruit de ces
trahisons s’est révélé lors des dernières élections présidentielles en
2007, où la candidate du PCF, la secrétaire générale Marie-George Buffet a vu
son score atteindre le plus bas record de 1,93 pour cent.
Plus la crise économique et sociale met en évidence la lutte
des classes et plus le PCF et l’Humanité virent à droite pour
défendre le « pluralisme de la presse » et une « gauche plurielle »
afin de maintenir le statu quo et empêcher que ne se forme un mouvement de la
classe ouvrière qui soit indépendant. Bien que ce rôle se soit à présent étendu
à la LCR, allié de longue date du PCF, rôle de soupape de sécurité pour le
capital français en crise, le besoin qu’a l’élite dirigeante
française de maintenir un semblant de presse d’opposition signifie que
l’on peut s’attendre à ce que les jours de L’Humanité
ne soient pas tout à fait comptés.
Dans l’attente de l’intervention généreuse
d’hommes d’affaire pour recapitaliser le journal et de l’aide
de l’Etat grâce au président Sarkozy, le journal espère se maintenir à
flot grâce à des dons et aux recettes qu’elle collectera lors de sa fête
annuelle de septembre qui jouit encore d’un large succès notamment parmi
les gauchistes de toutes sortes.