Lorsque les responsables de la guerre lancée par les
Etats-Unis en Irak répondront publiquement de leurs énormes crimes, le week-end
du 15 et 16 septembre 2007 constituera une preuve accablante contre eux.
Vendredi le 14 septembre furent publiés de courts articles sur un sondage
scientifique mené par la firme de sondage britannique ORB, qui concluait que
1,2 million de morts violentes étaient survenues en Irak depuis
l’invasion américaine.
Ce nombre ahurissant démontre deux faits politiques :
1) la guerre américaine en Irak a créé une catastrophe humanitaire aux
proportions historiques, avec un total de victimes dépassant déjà celui du
Rwanda en 1994; 2) ceux qui s’opposent à un retrait des Etats-Unis sur la
base que cela entraînerait une guerre civile, ou même un génocide, dissimulent
délibérément le fait qu’un tel massacre se déroule présentement sous le
contrôle de l’armée américaine.
La réaction au rapport de l’ORB dans
l’establishment politique et médiatique fut un silence quasi total. Après
quelques articles isolés publiés dans les journaux le 14 septembre, aucune
couverture de la nouvelle ne fut présentée aux bulletins d’information de
soirée et sur les chaînes de nouvelles spécialisées. La Maison-Blanche, le
Pentagone et le département d’État ne firent aucun commentaire et aucun
candidat à la présidence ou chef du Congrès, républicain comme démocrate,
n’aborda la question. Aucun des quatre principaux réseaux de télévision
n’abordèrent le sujet lors des talk-shows du dimanche matin.
Et ce n’est pas parce que les personnes concernées
n’étaient pas au courant de l’étude, qui a profité d’une
grande diffusion sur Internet et qui a été rapportée abondamment dans la presse
britannique. La validité des conclusions de l’étude n’a pas
vraiment été remise en question.
Opinion
Research Business (ORB), fondée par l’ancien directeur britannique
des opérations de la firme de sondage Gallup, est une firme de sondage
commerciale bien établie. Elle a présenté une description technique détaillée
des méthodes utilisées pour extraire un échantillon aléatoire de manière
scientifique.
Par contraste, six mois plus tôt, un sondage de l’ORB
en Irak avait été acclamé par la Maison-Blanche car certaines de ses
conclusions pouvaient fournir un éclairage favorable à la propagande de
l’administration. Ce sondage, réalisé en février et rendu public le 18
mars dans le Sunday Times de Londres, concluait que seulement 27 pour
cent des Irakiens croyaient que leur pays était en état de guerre civile et que
la majorité appuyait le gouvernement Maliki et l’augmentation des troupes
militaires américaines, et croyait que la vie s’améliorait au pays.
Ce sondage rapportait aussi des statistiques sur la
violence correspondant à celles du sondage mené en août et publié vendredi
dernier, notamment que 79 pour cent des résidents de Bagdad affirmaient avoir
assisté à une mort violente ou à un kidnapping dans leur famille immédiate ou
au travail. Mais ses conclusions sur les opinions politiques irakiennes —
et non celles sur les statistiques concernant les victimes — furent
publiées à la une des quotidiens américains, dans le Washington Post, le
Christian Science Monitor et d’autres journaux nationaux.
Le porte-parole de la Maison-Blanche, Tony Snow, avait
mentionné le sondage de l’ORB lors d’un point de presse le 23 mars,
utilisant ses conclusions pour réfuter les résultats d’un sondage en Irak
par ABC News, la BBC, le réseau allemand ARD et le journal USA Today.
Lorsqu’on lui avait mentionné les conclusions du sondage de ABC soutenant
que les Irakiens étaient davantage pessimistes face à leur avenir, Snow avait
déclaré : « il y a eu au même moment un sondage britannique avec des
résultats presque diamétralement opposés ». Il avait ajouté que
l’échantillon du sondage britannique était deux fois plus grand que celui
de ABC, et qu’il avait ainsi davantage de crédibilité.
Le sondage ORB de mars avait été largement salué par les
médias de droite, y compris le réseau Fox News. Le magazine de droite National
Review déclarait : « Les partisans de l’Opération Liberté
en Irak seront réconfortés par un nouveau sondage indiquant un haut niveau
d’appui pour le plan de sécurité de Bagdad et pour le gouvernement élu
qui le met en oeuvre. »
Le dernier sondage ORB, qui se concentre sur l’énorme
taux de mortalité produit par l’invasion américaine, n’a pas été
reçu aussi positivement par la Maison-Blanche. Il y a, bien sûr, suffisamment
de raisons pour une telle hostilité. Les chiffres rapportés par le sondage ORB
mine les prétentions de l’administration Bush que son objectif en Irak
est de « libérer » le peuple irakien de la tyrannie et terrorisme, ou
de défendre la « liberté et la démocratie ».
La véritable raison de la guerre a été révélée par l’ancien
président de la réserve fédérale, Alan Greenspan, dans ses mémoires
nouvellement publiés, dans lesquels il écrit : « Quelles que
soient leurs craintes exprimées quant aux "armes de destruction massive de
Saddam Hussein", les autorités américaines et britanniques étaient
également préoccupées par la violence dans une région qui abrite une ressource
indispensable au fonctionnement de l’économie mondiale. Je suis attristé
qu’il soit politiquement inapproprié de reconnaître ce que tout le monde
sait : la guerre en Irak est essentiellement une question de
pétrole. »
Tout aussi significatif est le silence des démocrates au
Congrès et des candidats démocrates aux présidentielles, qui prétendent tous
être opposés à la guerre en Irak. Cependant, cette posture anti-guerre n’a
rien en commun avec un véritable sentiment de compassion pour les souffrances du
peuple irakien ou avec une opposition de principe aux intérêts prédateurs de
l’impérialisme américain dans ce pays riche en pétrole.
Les démocrates s’opposent à la façon d’ont
l’administration Bush mène la guerre, non pas parce que c’est une
opération sanglante et criminelle, mais parce qu’elle est mal gérée et
parce que les succès escomptés dans l’opération de pillage des ressources
pétrolières et la consolidation de la position stratégique de l’impérialisme
américain au Moyen Orient n’ont pas été réalisés.
Les démocrates ne veulent pas souligner l’ampleur du
bain de sang en Irak, tel que le suggère le sondage ORB, parce qu’ils
partagent la responsabilité politique de la guerre, du vote autorisant
l’utilisation de la force en octobre 2002 jusqu’au passage par le Congrès
d’une série de lois finançant la guerre et totalisant plus de $600
milliards. Dans un procès pour crimes de guerre liés au quasi génocide en Irak,
les dirigeants démocrates trouveraient leur place dans le box des accusés, juste
derrière la cabale Bush/Cheney/Rumsfeld.
Invité à l’émission de télévision Meet
the Press du dimanche 16 septembre, le candidat des démocrates à
l’élection présidentielle américaine de 2004, le sénateur John Kerry, a
dénoncé toute suggestion que les démocrates au Congrès permettraient une
défaite des Etats-Unis en Irak. Il a critiqué l’administration Bush pour
la façon dont elle mène la guerre parce que les intérêts nationaux des
Etats-Unis en matière de sécurité s’en trouvaient affaiblis, surtout face
à l’Iran.
« Nous ne disons pas qu’il faut
abandonner l’Irak, a dit Kerry. Nous disons qu’il faut un
changement de la mission et un ajustement de la mission pour que le gros des
troupes de combat soit retiré au plus tard d’ici un an pendant que nous
continuons à offrir en arrière-garde le soutien de base nécessaire pour
terminer l’entraînement [des troupes irakiennes], pour qu’elles
puissent se tenir debout seules et que nous puissions pourchasser
al-Qaïda. »
Kerry a clairement dit qu’il était en
faveur d’une politique plus, pas moins, agressive au Moyen-Orient.
« Nous devons sortir d’Irak dans le but d’être plus fort face
à l’Iran, a-t-il dit, dans le but de nous occuper du Hezbollah et du
Hamas, de restaurer notre crédibilité dans la région. Et je crois, très
profondément, qu’ils comprennent ce qu’est la puissance. »
Le présentateur de Meet the Press,
Tim Russert, a insisté pour que Kerry prenne position sur le refus des
démocrates de forcer la Maison-Blanche à mettre un terme à la guerre en
refusant de voter les crédits de guerre. Kerry a éludé la question, déclarant,
faussement, qu’un tel geste exige 67 voix au Sénat pour contrecarrer le
veto présidentiel. Le soi-disant problème des 67 voix est un obstacle que les
démocrates au Congrès ont sciemment construit dans le but de continuer leur
double jeu de prendre publiquement la posture d’opposants à la guerre
tout en continuant de permettre à l’administration Bush de la poursuivre.
Kerry a ajouté : « Je vais
octroyer aux troupes les fonds nécessaires pour la protection des intérêts américains
en matière de sécurité, pour l’accomplissement d’une mission qui
améliore notre sécurité nationale et qui protège les troupes elles-mêmes. Nous
ne proposons pas l’échec… »
Que signifie le « succès » dans
le contexte de rapports faisant état de 1,2 million de morts violentes en Irak
depuis l’invasion et l’occupation américaine ? Il signifie que
la dévastation de ce pays continuera tant que la classe ouvrière américaine et
internationale n’interviendra pas pour y mettre fin.