Lundi 22
octobre, dans tous les lycées français, les professeurs sont obligés, par
décret du président Nicolas Sarkozy, de lire à leurs élèves la lettre de Guy Môquet.
Face au refus de beaucoup de professeurs et de plusieurs syndicats enseignants
d'être utilisés à des fins politiques, un des porte-parole de Sarkozy, Henri Guaino,
les a accusés de « prendre les élèves en otage ». Pour cette raison, nous
affichons à nouveau notre article du 4 juin 2007 que nos lecteurs peuvent
télécharger sous forme de tract et distribuer parmi leurs collègues.
Après sa prise de fonction officielle de président de la
République française le 16 mai, le premier déplacement de Nicolas Sarkozy a été
une visite au mémorial de résistants tombés pendant la lutte contre
l’occupation nazie de la France durant la Deuxième Guerre mondiale.
Sarkozy a saisi cette occasion pour prendre sa première
décision présidentielle et décréter que lecture soit faite aux lycéens, à
chaque rentrée scolaire, de la lettre écrite par Guy Môquet à sa famille juste
avant son exécution par un peloton d’exécution nazi le 22 octobre 1941. Sarkozy
cherche à ce que cette lettre soit un exemple de « l’héroïsme » et du
« sacrifice » pour la nation. Môquet était âgé de 17 ans et était
membre de la Jeunesse communiste.
Cette cérémonie commémorative et cette décision mettent à jour
un épisode historique important qui révèle la nature contre-révolutionnaire du
stalinisme français.
L’indignation initiale de la dirigeante du Parti communiste
français (PCF) Marie-George Buffet, devant l’utilisation cynique par Sarkozy de
la mort de Môquet pour promouvoir le nationalisme lors de sa campagne
électorale, a été de courte durée. « La lecture de la dernière lettre de
Guy Môquet est un message fort » a-t-elle déclaré, après que Sarkozy
ait fait part de sa décision présidentielle, « parce que ce jeune homme
était porteur de patriotisme par son engagement dans la
résistance, mais aussi parce que son combat pour l’émancipation humaine
avait un but, celui de construire une République des droits et des libertés
dans une démocratie. »
Le fait que Buffet se range de façon servile derrière Sarkozy
conforte ce dernier dans sa tentative de se présenter comme le président de
« tous les Français. »
Une déclaration du PCF sur Guy Môquet, datée du 21 mai 2007 et
affichée sur son site Internet, dit : « Il a été arrêté le 13 octobre
1940, à la Gare de l’Est. Bien avant l’invasion de l’URSS, par les nazis. Guy Môquet
avait été dénoncé parce que, avec ses camarades de la Jeunesse communiste, il
distribuait des tracts dans les cinémas ou manifestait contre l’Occupation et
la collaboration. Son père, cheminot et député communiste, était alors déporté
au bagne de Maison-Carrée en Algérie et des policiers français gardaient cet
élu du Front populaire dressé contre les 100 familles capitalistes qui
contrôlaient la France, engagé contre le fascisme qui depuis des années
menaçait l’Europe. »
Cette déclaration est un exemple typique de l’école
stalinienne de falsification historique.
Prosper Môquet, le père de Guy, était l’un des 72 députés du
Parti communiste élus à l’Assemblée nationale le 3 mai 1936. En mai 1935,
Staline avait signé un traité de coopération avec le gouvernement droitier de
Laval, acceptant implicitement la politique militaire française et appelant le
PCF à voter pour le budget militaire. Cette alliance de Staline et du PCF avec
l’impérialisme français se poursuivit sous le gouvernement de Front populaire.
Le Front populaire se composait du Parti communiste, du Parti
socialiste et du Parti radical, un parti bourgeois. Il liait la classe ouvrière
à la bourgeoisie et s’opposait au développement d’une perspective socialiste
internationaliste indépendante. Son premier geste avait été d’empêcher que la
grève générale de mai-juin 1936 ne se développe en une insurrection
révolutionnaire. Il voyait la défense de la France face à l’attaque nazie en
termes purement nationalistes et non comme un conflit de grandes puissances
recherchant chacune l’avantage impérialiste et utilisant la classe ouvrière et
les jeunes comme chair à canon.
Le 30 septembre 1938, Neville Chamberlain, représentant la
Grande-Bretagne et Edouard Daladier représentant la France, et tous deux
partisans de la politique d’apaisement, signèrent les Accords de Munich. Ils
donnèrent ainsi aux nazis le feu vert pour envahir la Tchécoslovaquie. Staline
prit peur que la Grande-Bretagne et la France ne soient en train de se préparer
à s’unir avec l’Allemagne contre l’Union soviétique.
Au lieu d’essayer de mobiliser la classe ouvrière mondiale
contre cette alliance impérialiste, Staline procéda à une alliance préventive
de son cru : le Pacte hitléro-stalinien (germano-soviétique) du 23 août
1939.
Moins d’un mois plus tard, le 20 septembre 1939, le Comintern
de Staline informait le PCF de sa nouvelle ligne politique : les partis
communistes ne devaient pas soutenir la guerre contre l’Allemagne déclarée par
la France et la Grande-Bretagne suite à l’invasion de la Pologne par Hitler. Ce
que les staliniens avaient auparavant qualifié de guerre de « défense
nationale » était à présent qualifié de « guerre impérialiste. »
Le Parti communiste devait donc s’y opposer suivant cette ligne politique,
puisque l’Allemagne avait fait une alliance avec l’Union soviétique.
Dans le journal l’Humanité du 26 septembre 1940, le PCF
critiquait sévèrement la résistance gaulliste qu’il accusait de
« va-t-en-guerre avec la peau des autres » et dénonçait « la
volonté commune des impérialistes d’entraîner la France dans la guerre, du côté
allemand ou du côté adverse sous le signe d’une prétendue résistance à
l’oppresseur. »
André Marty, membre dirigeant du PCF et secrétaire de
l’Internationale communiste stalinienne, envoya le 4 octobre 1939 une lettre à
Léon Blum, membre du gouvernement Daladier, critiquant son soutien à la guerre.
« L’actuelle guerre européenne est une guerre provoquée par deux groupes
impérialistes dont chacun veut dépouiller l'autre ; par conséquent, les
ouvriers, les paysans, n'ont rien à voir dans cette affaire. »
En conséquence, le président Edouard Daladier décréta le 26
septembre 1939 la dissolution du PCF. Il fit interner un grand nombre de ses
membres et députés, dont Prosper Môquet. Prosper, arrêté le 10 octobre 1939 fut
jugé en secret par un tribunal militaire en avril 1940 et condamné à cinq ans
d’emprisonnement. Il fut déporté en mars 1941 au bagne de Maison-Carrée en
Algérie.
Les nazis envahirent la France le 10 juin 1940 et le maréchal
Pétain signa l’armistice, douze jours plus tard. La sympathie de larges couches
de la bourgeoisie française pour le fascisme joua un grand rôle dans la déroute
de l’armée française. Le Parti communiste, qui ajustait sa politique aux
besoins de la diplomatie soviétique, avait été interdit et un grand nombre de
ses dirigeants emprisonnés par ses anciens alliés du Front populaire.
Prosper Môquet fut donc emprisonné, non pas pour ses activités
anti-nazies, comme l’affirme le PC dans sa déclaration du 21 mai 2007 (la déclaration,
en fait, laisse entendre des activités anti-nazies) ; au contraire, le
parti stalinien s’opposait, pour le moment, à la guerre contre l’Allemagne
fasciste. En effet, bien qu’il ne fasse pas de doute que d’autres
considérations politiques entraient en jeu (comme par exemple, l’occasion de
réprimer les tendances de gauche au sein de la classe ouvrière) le père de Guy Môquet
fut officiellement condamné pour « intelligence avec l’ennemi » et
n’était certainement pas, à ce moment-là, membre du Front populaire qui
n’existait alors plus. Il était en fait un prisonnier politique du gouvernement
Daladier, dirigeant du Parti radical et ancien ministre du gouvernement de
Front populaire de Léon Blum.
Une recherche faite par deux journalistes, Jean-Pierre Besse
et Claude Pennetier, en 2006, dans les archives municipales de Paris, a mis à
jour des notes rendant compte de négociations entre le PCF, dirigé par Maurice Tréand,
et Otto Abetz, représentant de Ribbentrop, le ministre des Affaires étrangères
nazi. Ces notes révèlent que les émissaires de Staline n’hésitaient pas à
essayer d’entrer dans les bonnes grâces de l’occupant nazi en faisant usage
d’antisémitisme bien placé.
Tréand, sous la direction du secrétaire du comité central du
PCF, Jacques Duclos, essaya en vain d’obtenir des nazis l’autorisation de
publier le journal du PCF, l’Humanité. Les négociations durèrent de juin
à août 1940.
Tréand présenta ainsi ses arguments : « Pour l'URSS
nous avons bien travaillé par conséquent par ricochet pour vous... [N]ous ne
ferons rien pour vous, mais rien contre vous. » Attaquant les capitalistes
anglais et leurs alliés français, Tréand fait référence au « Juif
Mandel ». Georges Mandel était le dernier ministre de l’Intérieur avant
l’occupation nazie. Tréand mentionne par trois fois le « Juif
Mandel » qui a « fusillé des ouvriers qui sabotaient la défense
nationale ».
Voici l’extrait d’un texte écrit pas Duclos et présenté aux
autorités allemandes : « L'Humanité publiée par nous se
fixerait pour tâche de poursuivre une politique de pacification européenne et
de défendre la conclusion d'un pacte franco-soviétique, qui serait le
complément du pacte germano-soviétique et ainsi créerait les conditions d'une
paix durable.»
Staline était tout à fait conscient de l’opposition et du
désarroi qu’une telle politique occasionnait parmi la masse des travailleurs et
des membres du parti. Nombreux furent ceux qui démissionnèrent, dont un tiers
des députés du PCF. Beaucoup n’attendirent pas l’invasion de l’Union soviétique
par les nazis pour entrer dans l’activité clandestine contre l’Occupation. Un
télégramme daté du 22 juin 1940 et signé par le secrétaire de l’Internationale
communiste Georgi Dimitrov et le secrétaire général du PCF Maurice Thorez
déclare, « Utiliser la moindre possibilité favorable pour faire sortir
journaux syndicaux, locaux, éventuellement l'Humanité en veillant que
ces journaux... ne donnent aucune impression de solidarité avec envahisseurs ou
leur approbation. »
La police française arrêta et emprisonna Guy Môquet, âgé de 16
ans, le 13 octobre 1940. La France était occupée, mais il fallut attendre
encore neuf mois avant que l’invasion nazie de l’Union soviétique ne mette fin
au pacte hitléro-stalinien. La déclaration du PCF du 21 mai, citée en début
d’article, affirme qu’il était en train de distribuer des tracts « contre
l’Occupation et la collaboration », mais il est très peu probable qu’il
aurait ainsi agi contre la ligne politique du parti. Un autre commentateur
donne cependant une forte indication que les questions pour lesquelles il
faisait campagne et les raisons de son arrestation étaient de nature quelque
peu différente. « Après l’occupation de Paris par les Allemands et la mise
en place du gouvernement de Vichy, Guy fit passionnément campagne, collant des papillons
dans le quartier, qui dénonçaient le nouveau gouvernement et exigeaient la
libération des internés, » l’un d’entre eux étant, bien sûr, son propre
père.
Les médias se sont mis au diapason de la version stalinienne
et n’ont aucunement essayé de faire la lumière sur la situation de Prosper au
moment de l’arrestation de son fils. Ils ont évité au PCF que ne soit découvert
ce secret gênant, veillant ainsi à ne pas perturber cette toute dernière
adaptation du stalinisme au gaullisme.
Avec l’invasion nazie de l’Union soviétique le 22 juin 1941,
le PCF fit une nouvelle volte-face, et adopta à nouveau sa position
d’antifascisme de Front populaire au lieu de sa position d’anti-impérialisme,
et entra dans une alliance avec la résistance gaulliste, avec pour but le
rétablissement d’un régime bourgeois après la Libération plutôt qu’une
république socialiste ouvrière.
L’organe théorique du PCF, Les cahiers du bolchevisme,
à la fin des années 1941 déclare, « les Français saluent dans les soldats
de De Gaulle, des combattants de la bonne cause, des combattants
anti-hitlériens.» Cette unité avec la bourgeoisie nationale fut consolidée
quand les staliniens entrèrent dans le Conseil national de la Résistance de De
Gaulle en mai 1943. La « bonne cause » se révéla plus tard être
l’oppression des peuples coloniaux de la France en Algérie et en Indochine,
sans parler de la participation des staliniens au gouvernement de De Gaulle en
1945 et à la reconstruction du capitalisme français.
Les communistes, emprisonnés dans des camps d’internement par
les gouvernements de Daladier puis de Pétain, étaient maintenant officiellement
ennemis des nazis et à leur merci.
Le 20 octobre 1941, un commandant allemand Karl Hotz, fut
exécuté à Nantes par trois jeunes communistes. Les nazis exigèrent
immédiatement en représailles la vie de 50 Français. Pierre Pucheu, ministre de
l’Intérieur du gouvernement collaborationniste du maréchal Pétain reçut l’ordre
de choisir 50 prisonniers à exécuter. Pucheu rejeta une première liste de noms
d’anciens soldats jugeant qu’ils étaient « de bons Français » et
préféra une seconde liste constituée d’otages communistes.
Il s’agissait de membres du PCF, à l’exception de Marc Bourhis,
un trotskyste, et de son ami et camarade Pierre Guéguin, maire de la ville de
Concarneau et membre du PCF depuis sa fondation en 1920. Il s’était opposé au
pacte hitléro-stalinien, comme bien d’autres membres du PCF et sympathisait
avec les trotskystes. Lorsqu’une occasion se présenta à Bourhis de s’échapper
du camp d’internement, il décida de rester avec Guéguin, craignant que ce
dernier ne soit maltraité, voire tué par les prisonniers staliniens s’il se
retrouvait seul avec eux. La présence de trotskystes parmi le groupe des 27
prisonniers exécutés avec Guy Môquet par un peloton d’exécution nazi à
Chateaubriand fut niée par les dirigeants du PCF jusque dans les années 1990.
Les staliniens empêchèrent et étouffèrent le développement
d’une lutte socialiste révolutionnaire dans tous les mouvements de résistance
antifasciste, liant les travailleurs, les paysans et les jeunes à leur
bourgeoisie nationale et à leurs alliés. La trahison de la révolution espagnole
de 1936 en fut le premier exemple.
La Conférence d’Alarme de la Quatrième Internationale (QI) en
mai 1940 produisit un manifeste qui fournit une direction essentielle aux
trotskystes pendant les heures sombres de la domination nazie de l’Europe. Le
paragraphe suivant est tiré de l’introduction : « La IVe
Internationale ne se tourne pas vers les gouvernements qui ont poussé les peuples
à l'abattoir, ni vers les politiciens bourgeois responsables de ces
gouvernements, ni vers la bureaucratie ouvrière qui soutient la bourgeoisie en
guerre. La IVe Internationale se tourne vers les travailleuses et travailleurs,
vers les soldats et les marins, vers les paysans ruinés et les peuples
coloniaux asservis. La IVe Internationale n'a pas le moindre lien avec les
oppresseurs, les exploiteurs, les impérialistes. Elle est le parti mondial des
travailleurs, des opprimés et des exploités. Ce manifeste s'adresse à
eux. »
Sources :
The Writings of Leon Trotsky (1939-40), Merit Publishers: 1969
Fac Simile—La Vérité 1940/1944,
Paris, EDI: 1978
Les Trotskystes en France pendant la deuxième Guerre
mondiale, Jean-Pierre Cassard — La Vérité OCI—(undated
but after 1980)
Contre vents et marées, Yvan Craipeau,
Savelli: 1977