La grève des cheminots qui a paralysé la France jeudi
s’est poursuivie vendredi, mais à moindre échelle.
Malgré l’opposition de la CGT (Confédération générale du
travail) dominée par le Parti communiste et représentant quelque 40 pour cent
des cheminots, les assemblées générales qui se sont tenues vendredi matin ont
voté pour la reconduction de la grève.
Cette grève est la plus importante action de cheminots en
France depuis plus d’une décennie. La participation était, jeudi, plus
élevée qu’en 1995, où les cheminots avaient paralysé le pays pendant
trois semaines et finalement forcé le premier ministre de l’époque, Alain
Juppé, à retirer son projet de démolition du régime de retraite des cheminots.
Cette grève avait miné le gouvernement et conduit à la démission de Juppé.
La raison de la grève actuelle est une proposition similaire,
avancée par le président gaulliste Nicolas Sarkozy, de démanteler le régime de
retraite des cheminots. Quelque 75 pour cent des travailleurs de la SNCF (Société
nationale des chemins de fer) ont participé à la première journée de ce que la
CGT envisageait comme une protestation d’un jour.
Chez les conducteurs de train, la participation a été de 90
pour cent. Ils ont été rejoints par les travailleurs des transports urbains bus
et métro, ceux de la poste, les employés des musées et les travailleurs du gaz
et de l’électricité. Moins d’un train longue distance sur vingt
roulait et le métro parisien était complètement paralysé.
Vendredi matin, la RATP (Régie autonome des transports
parisiens) était encore perturbée, avec 50 pour cent des métros et un tiers des
bus ne circulant pas. Aucun train ne roulait sur les lignes de banlieue très
fréquentées du RER A et B.
60 pour cent seulement des trains internationaux à grande
vitesse Thalys étaient en circulation, les TGV (trains à grande vitesse) du
réseau national circulaient à 35 pour cent et un tiers seulement des trains
régionaux TER roulaient.
On s’attend à ce que le service soit fortement réduit
samedi.
A la Gare du nord à Paris, un adhérent de Sud rail a dit au World
Socialist Web Site que des cheminots en grève de toutes catégories avaient
voté à une très large majorité la reconduite de la grève. Les ouvriers
d’entretien ont voté pour continuer leur arrêt de travail jusqu’à
l’assemblée générale de lundi.
Une assemblée générale à la Gare Saint-Lazare a voté pour la
poursuite de la grève, tout comme l’ont fait les conducteurs de trains et
d’autres catégories lors d’une assemblée plus réduite à la Gare de
Lyon.
A Marseille, FO (Force ouvrière) et Sud rail ont voté en
assemblées générales la poursuite de la grève jusque samedi, tandis qu’à
Nantes les travailleurs ont voté pour la reprise du travail.
La bureaucratie de la CGT a boycotté les assemblées générales,
mais dans certains secteurs, particulièrement à la Gare du Nord, de nombreux
adhérents de base y ont assisté et voté pour la reconduite de la grève.
La grève a un caractère clairement politique. Elle est dirigée
contre un président et un gouvernement qui font du démantèlement des régimes
spéciaux de retraite (des cheminots et autres travailleurs du secteur public)
la pierre angulaire de leur politique. Cette grève annonce le début d’un
vaste mouvement d’opposition au démantèlement de l’Etat providence.
Il est clair que le gouvernement a été décontenancé par l’envergurede la grève. Tandis que tous ses porte-parole en vue ainsi que les
dirigeants du Parti socialiste (PS) insistent pour dire que la « réforme »
des régimes spéciaux est incontournable et ne peut être remise à plus tard, le
gouvernement a fait connaître son empressement à travailler étroitement avec
les syndicats pour imposer ses attaques sur les retraites.
Les syndicats ne demandent que ça, collaborer avec le
gouvernement, et ils sont pressés d’étouffer la grève. Ils ne sont pas
prêts à conduire une lutte politique contre un gouvernement de droite
qu’ils rencontrent régulièrement et avec lequel ils collaborent.
La direction de la petite Fédération générale autonome des
agents de conduite (Fgaac) a signé un accord avec le gouvernement jeudisoir
qui, en retour de concessions insignifiantes, accepte le principe du
démantèlement du système de retraite des cheminots.
Xavier Bertrand, ministre du Travail, a clairement dit que le
gouvernement n’avait aucune intention de reculer. Il a affirmé au
parlement, « Nous sommes déterminés à continuer la réforme, on ne peut
pas se passer de cette réforme. » Au même moment, il lançait un appel
aux bureaucraties syndicales disant, « On a plus à gagner dans la
négociation que dans le conflit. »
Jean-François Coppé, dirigeant du groupe parlementaire UMP
(Union pour un mouvement populaire) gaulliste a déclaré jeudi, « Les
députés de la majorité ont été élus, il y a quatre mois, avec un engagement
très clair en faveur de la réforme des régimes spéciaux de retraite. Les
Français ont voté en connaissance de cause et ils attendent cette réforme au
nom de la justice sociale. »
L’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin
interviewé jeudi à la télévision a aussi insisté sur le fait que la réforme des
retraites était indispensable. Il a proposé aux syndicats des concessions concernant
la pénibilité du travail. « A un moment, il faut se mettre autour de la
table et négocier ce qu'il y a à négocier… il peut y avoir, sur la
pénibilité des tâches, des discussions. »
Le président Sarkozy a résumé la situation : « Il
y a des réformes à faire, tout le monde le sait, j'ai été élu pour ça. On va
les faire tranquillement, en maintenant le dialogue. »
Laurent Fabius, personnalité en vue du Parti socialiste a
aussi insisté en disant « Il faut faire une réforme, à la fois du
régime général et des régimes spéciaux. » Il a fortement pressé le
gouvernement à négocier. François Hollande, premier secrétaire du PS a exprimé
son accord par ses mots, « Ilfaut une réforme juste et
équitable des régimes sociaux. »
Annick Lepetit, autre dirigeante du PS a dit, « le PS
est favorable à l'évolution des régimes spéciaux, mais le gouvernement doit
ouvrir le plus vite possible des négociations avec les partenaires sociaux. »
Les dirigeants syndicaux ont donné des signes clairs
qu’ils sont prêts à signer un accord exécrable avec le gouvernement du
président Sarkozy. Didier Le Reste, secrétaire général du syndicat CGT
cheminots a dit, « les cheminots en grève attendent que le gouvernement
leur envoie des messages ».
Apportant au gouvernement et à l’élite dirigeante
française l’assurance de l’attitude « responsable »
des syndicats, il a dit, « quand on est dans un mouvement social de ce
niveau, il y a des responsabilités qui sont imputables aux syndicats, mais il y
a d'autres acteurs comme le gouvernement et les directions d'entreprise, à eux
effectivement d'assumer leurs responsabilités ».
Bernard Thibault, dirigeant de la CGT a ajouté sa voix à
celles qui soutiennent la « réforme » des retraites, exprimant
le souhait que les propositions de sa confédération « soient de nature
à influencer le cadre général de la réforme ».
Les syndicats ne se rencontreront pas avant lundi pour
discuter de la suite à donner au mouvement.
Alors que les syndicats oeuvrent pour étouffer le mouvement,
il y a le danger que les travailleurs se retrouvent impréparés pour le conflit
politique avec un gouvernement qui est déterminé à imposer les attaques les
plus vastes de l’histoire de l’après-guerre en France.
La grève massive et la révolte naissante des travailleurs
contre la direction syndicale sont les signes clairs d’une résistance et
d’une combativité grandissantes dans la classe ouvrière, pas seulement en
France, mais dans toute l’Europe et internationalement.
En Allemagne les conducteurs de train font grève pour des
salaires décents, défiant les principaux syndicats et les injonctions du
tribunal leur interdisant le droit de faire grève. En Grande-Bretagne, les
travailleurs de la poste sont engagés dans des grèves sauvages contre leur
direction syndicale. Aux Etats-Unis, les travailleurs de General Motors ont
fait grève pour la première fois depuis 37 ans, et ont immédiatement été trahis
par la bureaucratie du syndicat de l’automobile, l’UAW.
La défense des droits et du niveau de vie des travailleurs
nécessite une nouvelle perspective politique. Les travailleurs doivent briser
l’emprise des syndicats staliniens et sociaux-démocrates et de la « gauche »,
tels le Parti communiste et le Parti socialiste, qui collaborent avec la droite
gaulliste pour détruire tous les acquis arrachés par les générations
précédentes de travailleurs. Il est nécessaire qu’ils se tournent vers la
classe ouvrière européenne et internationale et qu’ils développent un
nouveau mouvement politique basé sur des principes socialistes et
internationalistes.