Vendredi dernier, le président George Bush a catégoriquement
défendu son autorisation de méthodes d’interrogation considérées comme de
la torture par le droit international et américain et perçues comme tel par le
monde entier.
Lors d’une rencontre non planifiée d’avance avec
la presse dans le bureau ovale, Bush a réagi à un article publié le jour
précédent dans le New York Times qui révélait l’existence de deux
communiqués secrets du département de la Justice datés de 2005 qui autorisaient
explicitement l’utilisation de méthodes consistant à gifler les détenus,
à les soumettre à des températures extrêmes et à employer le simulacre de
noyade connu sous le nom de « water boarding » (asphyxie par
l’eau).
L’un des communiqués déclarait qu’aucune des
techniques utilisées à l’époque par la Central Intelligence Agency (CIA)
contre de présumés terroristes ne constituait un « traitement cruel,
inhumain et dégradant ». Cet avis juridique, émis par le Bureau du conseil
juridique du département de la Justice, avait été obtenu dans le but de donner
à l’administration une couverture légale contre un projet de loi du
Congrès qui visait à interdire la torture et à la qualifier de
« traitement cruel, inhumain et dégradant ». Ce projet de loi fut
éventuellement ratifié en décembre 2005.
L’article du Times, qui cite des officiels
anonymes qui étaient au courant des communiqués, rapporta aussi que
l’administration avait recommencé à détenir des prisonniers dans des
prisons secrètes à l’étranger contrôlées par la CIA.
Lors de son point de presse, Bush y est allé de son
habituel désaveu pour la forme: « Ce gouvernement ne torture personne »,
tout en ajoutant, « Nous respectons le droit américain et nos obligations
internationales. »
Il est significatif que Bush ait choisi d’employer
les termes « obligations internationales » plutôt que « droit international ».
Ce n’est pas un simple détail, étant donné que les méthodes
d’interrogation que Bush a autorisées et qu’il continue de défendre
constituent de flagrantes violations des Conventions de Genève et des
conventions internationales contre la torture et les traitements cruels et
dégradants.
Bush débuta ses remarques en déclarant : « Si
nous trouvons quelqu’un qui pourrait posséder des informations sur une
possible attaque, vous pouvez être surs que nous allons le détenir et
l’interroger. » Il a ensuite tenté de rejeter la responsabilité de
son utilisation de la torture sur le dos du peuple américain, affirmant :
« Car le peuple américain s’attend à ce que nous trouvions des
informations, des renseignements compromettants, afin de le défendre. »
Il a ensuite ajouté, dans des mots effrayants dignes
d’un commandant de la Gestapo : « Il existe des professionnels
hautement formés qui interrogent ces extrémistes et ces terroristes. Nous avons
des professionnels qui sont formés pour ce genre de travail... »
Bush continua en affirmant que « les techniques que
nous avons utilisées ont été entièrement dévoilées aux membres concernés du
Congrès américain ». Il conclut en déclarant son intention de poursuivre
son programme de torture : « Le peuple américain s’attend à ce
que leur gouvernement agisse pour les protéger contre d’autres attaques.
Et c’est exactement ce que fait ce gouvernement. Et c’est
exactement ce que nous allons continuer de faire. »
Il n’y eut pas de période de questions pour les journalistes
présents.
D’autres représentants de l’administration ont
avoué l’existence des communiqués secrets dévoilés par le New York Times
mais ont refusé de révéler ou de discuter leurs contenus, sous le prétexte
qu’il s’agit de documents secrets et au nom de la « sécurité
nationale ».
La porte-parole de la Maison-Blanche, Dana Perino, confirma
que le Bureau du conseil juridique du département de la Justice avait émis le 5
février 2005 un communiqué gardé secret, mais a soutenu que ce communiqué ne
contredisait ou n’invalidait pas un communiqué public émis par le
département de la Justice en 2004 qui qualifiait la torture
d’« odieuse ».
Elle refusa de dire si l’administration considérait
les méthodes consistant à simuler la noyade ou à gifler un détenu comme de la
torture.
Le conseiller à la sécurité intérieure, Fran Townsend, a
donné, peut-être par inadvertance, un aperçu de la brutalité de la procédure
utilisée contre les présumés terroristes emprisonnés par les Etats-Unis. Elle a
dit à la télévision de CNN : « Nous commençons par la mesure la moins
dure. Ça s’arrête… si la personne devient plus coopérative. »
La porte-parole de la Maison blanche, Tony Fratto, a
réitéré le refus de l’administration de confirmer ou de nier certaines
techniques d’interrogation, invoquant le motif standard que cela pourrait
donner un avantage à « nos ennemis ». En fait, le secret total du
gouvernement sur ses méthodes de torture vise à garder le peuple américain dans
le noir.
Fratto s’est alors attaqué au New York Times
pour avoir publié les révélations, disant qu’avec la « publication
de cette sorte d’information » nous avons « compromis la
sécurité de l’Amérique. »
Les communiqués divulgués par le Times font partie
d’une série qui remonte à l’infâme communiqué sur la « torture »
rédigé secrètement en 2002 et dévoilé en 2004, lequel faisait suite aux
révélations d’Abu Ghraib. Les communiqués restreignent la définition de
la torture aux techniques qui entraînent la destruction d’organes. Depuis
ce temps, l’administration a mis de l’avant des directives pseudo
légales qui définissent la torture et les « traitements cruels et
dégradants » de manière à éluder les décisions des tribunaux et les arrêtés
du Congrès, et elle continue son traitement sadique des prisonniers.
Après la décision de la Cour suprême en juin 2006 déclarant
illégales les commissions militaires de Bush et statuant que tous les
prisonniers détenus par les Américains, y compris des présumés terroristes
d’Al Qaïda, tombent sous la juridiction de la Convention de Genève qui
interdit la torture et les traitements abusifs, Bush a utilisé ses pouvoirs
exécutifs pour émettre une nouvelle ordonnance autorisant « des techniques
d’interrogation musclées ».
Elle a été suivie par l’adoption en octobre 2006 de
la Loi sur les Commissions Militaires, en vertu de laquelle le Congrès donne sa
bénédiction à l’administration et à sa politique de détention indéfinie,
de tribunaux militaires fantoches et de méthodes d’interrogation définies
par la loi internationale comme étant de la torture, tout en protégeant le
gouvernement de toute poursuite. Elle donne également au président
l’autorité « d’interpréter » la Convention de Genève.
D’anciens prisonniers détenus secrètement dans les
prisons de la CIA ou dans les prisons militaires à Guantanamo Bay, Cuba, ont
témoigné qu’ils avaient été soumis à la torture systématique. Ils se sont
plaints d’avoir été privés de sommeil et de la lumière du jour, gardés nus
dans de minuscules cellules qui les exposaient à une chaleur suffocante ou à un
froid glacial, forcés de conserver des heures durant une position douloureuse,
ou bombardés de musique assourdissante.
Plus tôt cette année, le FBI a divulgué certains courriels
de 2004 envoyés par des agents revenant d’un déploiement à Guantanamo
dans lesquels ils dénoncent le traitement dégradant des prisonniers dont ils
ont été témoins.
La dégénérescence politique et la complicité de tout
l’establishment politique dans de tels crimes monstrueux ont été mises en
évidence par l’absence de la moindre réponse sérieuse à la défense
inflexible de la torture offerte par Bush. Aux nouvelles du vendredi soir, la
prestation de Bush à la Maison-Blanche n’a même pas été diffusée par deux
chaînes de télévision, CBS et ABC, et NBC a placé cette nouvelle au troisième
rang. Les trois chaînes ont consacré la plus grande part de leur temps
d’antenne à la coureuse vedette américaine Marion Jones et sa
consommation de stéroïdes.
La réponse des démocrates a été inaudible et timorée. Comme
l’ont souligné Bush et d’autres responsables de son gouvernement,
au moins quelques démocrates en vue du Congrès ont été mis au courant des communiqués
de 2005 et des méthodes d’interrogation approuvées par la Maison-Blanche.
L’un de ceux-là est le sénateur John D. Rockefeller
IV, le président du comité du sénat sur le renseignement. Après la publication
de l’article du New York Times, Rockefeller a écrit à Peter
Keisler, le procureur général en exercice, pour lui demander des copies de tous
les avis juridiques sur les méthodes d’interrogation depuis 2004. Il a
pris soin dans sa lettre et dans ses déclarations sur la question de passer
sous silence le fait qu’il avait été mis au courant du programme de
torture.
De manière similaire, le député John Conyers, le président
démocrate de la commission des Affaires judiciaires de la Chambre, a écrit à
Keisler, qualifiant les communiqués de 2005 de « troublants » et
exigeant des copies des avis juridiques. Conyers a dit que son comité allait
tenir des auditions sur la question.
Le sénateur Patrick Leahy, le président démocrate de la
commission judiciaire du Sénat, a dit qu’il allait questionner le choix
de Bush comme nouveau ministre de la justice, Michael Mukasey, sur ses vues
concernant les méthodes d’interrogation lorsque Mukasey se présente
devant son comité pour des auditions de confirmation plus tard ce mois-ci. Il
n’a pas dit, toutefois, qu’il considérait la défense de la torture
offerte par Bush comme étant un obstacle à la confirmation de Mukasey.
Mukasey appuie ouvertement Bush dans son assertion
qu’il a le droit de garder des individus, y compris des citoyens
américains, en détention militaire indéfinie rien qu’en les qualifiant
de « combattants ennemis illégaux ». En tant que juge fédéral de
New York, Mukasey a statué que Jose Padilla, un citoyen américain, pouvait être
détenu indéfiniment par les militaires. Padilla allait être torturé durant les
trois ans et demi qu’il a passés dans un cachot de l’armée.
Aucun démocrate n’a suggéré la moindre mesure sérieuse
contre Bush et ses co-conspirateurs. Il n’y a eu aucun appel à la
destitution, à des poursuites criminelles – tel que mandaté par la
Convention de Genève contre des représentants de gouvernement qui autorisent la
torture – ou à toute autre action visant à forcer l’administration
Bush à rendre des comptes pour avoir passé outre des jugements rendus par les
tribunaux et violé tant la loi internationale qu’américaine.
Les démocrates sont, en fait, entièrement complices des
crimes de l’administration Bush. Ils étaient au courant des méthodes
illégales et barbares qui étaient utilisées, et ils les ont tacitement
approuvées.
Des enquêtes parlementaires sur la torture pratiquée par
les États-Unis ne mèneront à rien. Elles ne viseront qu’à cacher la
vérité et à limiter les dégâts, tout comme le théâtre parlementaire auquel
s’adonnent les démocrates depuis leur prise de contrôle du Congrès, que
ce soit autour de la guerre en Irak ou des mesures d’état policier prises
par l’administration aux États-Unis.