Du 22 au 24 octobre, le président Nicolas Sarkozy s’est
rendu au Maroc pour une visite d’Etat au roi Mohammed VI. Accompagné de
70 chefs d’entreprises, Sarkozy a confirmé des contrats pour une valeur
de plusieurs milliards de dollars pour des entreprises françaises au Maroc. Il
a aussi promu le projet d’une « Union méditerranéenne » qui réunirait
la France, quelques autres nations européennes et les pays du Maghreb.
Le Maroc est devenu une importante plateforme de main
d’œuvre bon marché pour les entreprises européennes, ainsi
qu’une plaque tournante commerciale de transport de marchandises en
provenance du monde entier et passant par le Détroit de Gibraltar. La
connaissance de la langue française par les Marocains a aussi conduit les
banques françaises et les centres d’appel à mettre en place des
opérations de service au Maroc. La France est le plus grand partenaire
commercial du Maroc tant pour les importations que les exportations, et contrôle
plus de 60 pour cent des investissements étrangers directs du Maroc.
Le Maroc entretient aussi des liens politiques étroits avec
les Etats-Unis, où il achète une bonne partie de ses armes. De ce fait, la
visite de Sarkozy avait, pour une grande part, les caractéristiques d’une
visite commerciale, cherchant à garantir contre la concurrence, des marchés et
des contrats pour les entreprises françaises.
Au cours de la visite de Sarkozy, le gouvernement marocain a signé
un contrat de 2 milliards d’euros pour l’entreprise française de
construction Alstom, dont le PDG Patrick Kron avait accompagné Sarkozy au Maroc,
afin de construire une ligne de TGV (train à grande vitesse) entre Tanger et
Casablanca. Il devrait aussi acheter une frégate polyvalente de classe FREMM (multi-mission)
d’une valeur de 500 millions d’euros des chantiers navals de
Lorient et qui sera livrée en 2012.
On rapporte que la PDG de l’entreprise française
d’énergie nucléaire Areva, Anne Lauvergeon, a signé un protocole
d’accord impliquant un programme pour l'extraction et la prospection
d'uranium et de phosphate au Maroc. Les responsables français et la direction
d’Areva ont aussi participé à des entretiens concernant la construction
d’un réacteur nucléaire civil au Maroc, à proximité de Marrakech. Cela
fait partie d’une initiative plus grande de la part d’Areva et du
gouvernement français de vendre des réacteurs nucléaires aux pays
d’Afrique du nord. D’après Libération, de tels réacteurs ont
été proposés à l’Algérie et à la Libye en juillet 2007.
L’entreprise française d’aviation, Dassault a
néanmoins souffert un revers important étant donné que le Maroc a choisi
d’acheter des chasseurs bombardiers américains F16 plutôt que les avions
de combat français Rafale.
Sarkozy a réservé son principal discours de politique pour sa
visite du 23 octobre au complexe portuaire Tanger-Med I. Construit par
l’entrepreneur français Bouygues, qui cherche à obtenir le contrat pour
la construction d’un complexe attenant Tanger-Med II, le port est prévu
pour abriter une grande usine Renault-Nissan, qui produirait 200 000
véhicules en 2010 et 400 000 d’ici 2012. La compagnie de navigation
CGA-CGM a engagé 40 pour cent d’investissements dans le développement du
terminal Tanger-Med II.
A Tanger, Sarkozy a réitéré ses appels à construire une
« Union méditerranéenne » qui réunira la France, certains pays
européens sélectionnés (Espagne, Portugal, Italie, Grèce) et les Etats du Maghreb.
Mis à part les appels à une collaboration d’entreprises,
il n’y avait pas grand-chose dans les projets de Sarkozy. L’appel
de Sarkozy à une « lutte contre les inégalités et la justice, sans
lesquelles il n'y a pas de paix possible» sonne plutôt creux à un moment où il
est en train de préparer la mise en place de réductions massives des retraites et
des droits de sécurité sociale des travailleurs en France. En même temps il
s’est accordé une hausse de salaire de 140 pour cent, portant son salaire
à 240 000 euros par an, soit plus de dix fois le salaire moyen français.
Concernant l’immigration, question clé au Maroc, avec
plus de 500 000 ressortissants marocains vivant en France, Sarkozy a dit
avec cynisme que « la liberté de circulation des hommes se construit ensemble. »
On a pu voir ces derniers mois comment Sarkozy allait précisément construire la
« liberté » des immigrés. Il projette de ne recruter que des
travailleurs qualifiés, au moyen de l’« immigration choisie »
et de mettre en place des conditions humiliantes tels les tests ADN pour ceux
qui souhaiteraient rejoindre leur famille en France par le regroupement
familial. Son ministre de l’Immigration de l’Intégration et de
l’Identité nationale, Brice Hortefeux fait régulièrement pression sur les
préfets pour que ces derniers fassent procéder à des rafles d’immigrés
sans papiers.
La ministre de la Justice Rachida Dati, dont le père est un
immigré marocain, est allée avec Sarkozy au Maroc, établissant des plans avec
des responsables de la justice marocaine pour lutter contre l’immigration
clandestine en France transitant par le Maroc.
La question de l’immigration est symbolique de la
crainte de l’élite marocaine pour ce qui est de la population dans la
région. Le quotidien de l’establishment marocain, Le Matin,
a publié le 28 octobre un éditorial de Ikbal Sayah qui déclarait que, pour être
en phase avec l’accroissement de la population, les pays à l’est et
au sud de la Méditerranée devaient créer « près de 40 millions
d’emplois d’ici à 2050, ce qui signifie que le rythme de croissance
de la région devraient au minimum doubler pour passer à 6 voire 7 pour cent l’an. »
Il a ajouté que, étant donné « l’échec de l’unilatéralisme
armé américain, » la région devait compter sur « le partenariat euro-méditerranéen »
pour résoudre « les grands défis qui attendent la région.»
Le Maroc est confronté à ces défis d’une manière
particulièrement aigue. Le CIA World Factbook (publication annuelle officielle
de la CIA détaillant chaque pays du monde, du point de vue géographique, démographique, politique, économique, des communications et militaire) évalue le
PIB par habitant du Maroc à 4 600 dollars américains, soit 60 pour cent seulement
de celui de l’Algérie voisine et 52 pour cent de celui de la Tunisie. Son
taux d’alphabétisation pour l’ensemble de la population est de 52
pour cent, mais de seulement 40 pour cent pour les femmes. Une grande partie de
l’agriculture marocaine, qui emploie encore plus de 40 pour cent de la
population, dépend de la pluie, c'est-à-dire qu’elle n’est pas
irriguée, et les récoltes dépendent fortement du temps. En 1995 après une
grande sécheresse les récoltes de blé et d’orge s’étaient
effondrées et furent réduites de plus de 80 pour cent.
Les passages les plus notoires du discours de Sarkozy,
notamment à la lueur des récents commentaires du président Bush sur la
possibilité d’une troisième guerre mondiale, ont été ses vagues
références à la possibilité d’une guerre de grande ampleur entre
l’Europe chrétienne au nord et l’Afrique musulmane au sud.
Il a fortement encouragé les pays méditerranéens à « mettre toutes leurs forces et tout leur cœur à bâtir
l’Union de la Méditerranée, car ce qui se joue là est absolument décisif
pour l’équilibre du monde…En Méditerranée, se décidera si oui ou
non les civilisations et les religions se feront la plus terrible des guerres
[et] si oui ou non le Nord et le Sud vont s’affronter …Ici on
gagnera tout ou on perdra tout. »
L’attitude fondamentale de Sarkozy envers le peuple
marocain a peut-être été le mieux illustrée par ses louanges particulièrement
ignobles à l’égard du Général Hubert Lyautey, commissaire-résident
général français au Maroc de 1912 à 1925. Dans le monde à l’envers de
Sarkozy, Lyautey n’avait « jamais
d’autre objectif…que de protéger le peuple marocain, parce
qu’il l’aimait et le respectait. »
En fait Lyautey, qui avait dirigé la conquête de Madagascar
par l’impérialisme français en 1897, avait orchestré la conquête finale
du Maroc en 1907 en utilisant le prétexte de l’assassinat d’un
médecin français, Emile Mauchamp, à Marrakech pour faire débarquer des troupes
françaises qui attendaient dans des navires de guerre ancrés près du littoral. Sous
le régime de Lyautey, les forces françaises au Maroc avaient continuellement combattu
des mutineries et des insurrections.
La nature impérialiste des projets français pour une Union
méditerranéenne a été tacitement reconnue par le quotidien Le Monde qui
titre son éditorial sur le sujet « Mare nostrum » (en latin « Notre
mer »), nom donné à la Méditerranée par l’empire romain, et plus
notoirement encore, nom adopté par le dictateur fasciste italien Benito
Mussolini avant la Seconde guerre mondiale. Mais Le Monde attire aussi
l’attention sur l’opposition puissante aux projets de Sarkozy
dans l’Union européenne (UE): «L'absence des Britanniques, des Allemands,
des Scandinaves, etc., assurera-t-elle à cette Union le succès? »
L’initiative d’Union méditerranéenne est en fait
dirigée, d’une manière ou d’une autre, contre les projets
politiques et économiques de plusieurs rivaux importants de la France au sein
de l’UE. Elle sert aussi à protéger Paris contre des accusations de parti
pris anti musulman, eu égard à son opposition à l’entrée de la Turquie
dans l’UE, une entrée souhaitée par la Grande-Bretagne.
Cette démarche vise plus directement encore l’Allemagne.
En rendant encore moins chère la main d’œuvre nord africaine
disponible pour les entreprises françaises, elle cherche à diminuer
l’avantage économique que confèrent à la bourgeoisie allemande ses plus
gros investissements dans les régions de main d’œuvre à bon marché
d’Europe de l’est. Le pétrole et le gaz d’Afrique du nord,
notamment d’Algérie, fournissent aussi une alternative aux importations en
provenance de la Russie, avec laquelle l’Allemagne entretient des liens
étroits en matière d’énergie.
(Article original anglais paru le 2 novembre 2007)