Des émeutes ont secoué la banlieue nord de Paris pendant deux
nuits consécutives, après la mort de deux jeunes, Moushin et Larimi, à
Villiers-le-Bel dimanche 25 novembre, vers cinq heures de l’après-midi. Les
jeunes circulaient sur une moto qui a été heurtée par une voiture de police et
selon des habitants, la police ne leur aurait pas porté secours.
Les détails de cette collision ne sont pas contestés.
D’après le quotidien Le Monde, « la moto a été traînée sur
plus de 20 mètres ». tandis que « l’avant de la voiture de
police a été défoncé et le pare-choc arraché ; le pare-brise avant a été
profondément enfoncé. »
Marie-Thérèse Givry, procureure de Pontoise, a dit que les
policiers avaient quitté les lieux et n’avaient commencé leur enquête que
dans la nuit du fait du « du danger que représentait leur présence à cet
endroit ». Elle n’a pas apporté d’explications supplémentaires,
mais il est clair que les policiers craignaient d’être pris à parti par
des habitants furieux.
Le Monde cite Younès B., un
habitant de Villiers-le-Bel : « Une deuxième équipe de policiers est
venue récupérer leurs collègues. Mais ils ont laissé les deux gamins sans rien
faire. »
Givry a ouvert une enquête pour « homicide involontaire
et non-assistance à personne en danger » auprès de la l’Inspection
générale de la police nationale (IGPN).
Radio RTL a interviewé une habitante qui a dit :
« Une femme […] est descendue pour les aider, c’était une
infirmière. Elle a donné les premiers secours. Quand les gosses du quartier
sont arrivés, elle a dit "c’est fini, ils sont morts". Elle
était toute seule, les flics étaient partis. »
Finalement, des pompiers sont arrivés sur les lieux pour
secourir les victimes. Omar Sehhouli, frère de l’un des jeunes décédés, a
dit à RTL : « J’ai parlé avec un pompier, je ne vous donnerai
pas son nom, il m’a demandé de ne pas le citer. Il a dit, "franchement,
entre nous, les policiers, c’est des lâches". »
Il y a de fortes suspicions que l’incident ait été un
acte délibéré. D’après des reporters du quotidien Libération,
« L'utilisation par les médias de l'expression "homicide involontaire"
suscite en particulier la colère, beaucoup étant convaincus que la collision a
été volontairement déclenchée par la patrouille de police. »
Libération a ajouté : « D'après
des témoignages recueillis sur place, il y aurait eu une sorte de contentieux
entre l'une des victimes et la police. Le père de Larami […] a affirmé
aujourd'hui à des habitants qu'un policier aurait menacé son fils la semaine
dernière. Ce dernier a ainsi rapporté un échange qu'il a eu avec un policier
affirmant queson fils "aura
à faire à eux". »
Les émeutes se sont propagées cette nuit-là pour se
transformer en bataille rangée entre la police et les habitants du quartier. Les
CRS postés autour de la caserne des pompiers ont tiré des flash-balls et des
gaz lacrymogènes sur les manifestants qui eux lançaient des pierres et des bouteilles
de verre. Ces derniers sont ensuite allés vers la gare, brûlant sur leur
passage les commissariats de Villiers-le-Bel et Arnouville-lès-Gonesse et
détruisant leurs ordinateurs.
Le Monde commente: « Malgré
les renforts venus de toute l’Ile de France, les forces de police,
casquées, équipées de gilets pare-balles, de flash-balls et de grenades
lacrymogènes, éprouvent les plus grandes difficultés à reprendre le contrôle.
Elles tentent de bloquer les déplacements de groupes "très mobiles"
selon un commissaire présent sur place, mais sans y parvenir […] De
nombreux habitants insultent les policiers sur leur passage – ce à quoi
les fonctionnaires n’hésitent pas à répondre sur le même ton. »
D’après les chiffres fournis par les services de Givry,
40 policiers ont été blessés, dont un commissaire qui souffre de graves
blessures au crâne. Aucun chiffre n’a été communiqué par les grands
médias sur le nombre de blessés parmi les manifestants ou sur la gravité de
leurs blessures.
Le jour suivant des centaines de policiers sont venus en
renfort dans la région.
L’IGPN a fait un communiqué intérimaire lundi cherchant
de façon provocatrice à blanchir la conduite des policiers. Il les a disculpés
de toute accusation et confirmé la « version des policiers » selon laquelle
l’incident était un « accident de la circulation » causé par
les jeunes roulant « à très vive allure » tandis que la voiture de police
circulait « normalement, sans
dépassement de vitesse en agglomération et sans gyrophare. »
Sur le fait de savoir si les policiers ont tardé à porter
secours aux victimes – ce que les témoins tout comme les autorités
avaient jusque-là unanimement attesté –, le rapport affirme avec
impudenceque cet « aspect de l'enquête plus difficile »
nécessite « plus d'investigations ». Le rapport ajoute que la police
n’a pas commis de « faute grave. »
Les autorités se sont empressées de soutenir le rapport. Givry
a annoncé : «Je ne laisserai pas dire que les services de police n'ont pas
porté assistance aux jeunes. » De Chine où il est actuellement en visite
d’Etat, le président Sarkozy a exigé que « chacun s'apaise et qu'on
laisse la justice déterminer la responsabilité des uns et des autres ».
Les habitants de Villiers-le-Bel ont organisé une marche silencieuse
lundi après-midi. Ceux qui étaient en tête de cortège portaient des photos de
Moushin et Larimi avec l’inscription pleine d’amertume « Repose
en paix. Décédé le 25 novembre 2007. Mort pour rien. »
Lundi soir, des émeutes ont encore éclaté dans six banlieues
limitrophes, Villiers-le-Bel, Cergy, Goussainville, Sarcelles,
Garges-lès-Gonesse et Ermont. Des sources policières font état de 36 voitures
brûlées en plus de poubelles, d’une école maternelle et d’une bibliothèque.
Trente policiers sont sur la liste des blessés, dont deux gravement blessés. Une
fois de plus, il n’y a aucun chiffre indiquant le nombre de blessés qui
ne sont pas de la police.
Les autorités craignent, si ces manifestations venaient à se
poursuivre et à échapper au contrôle de la police, que ce ne soit la répétition
des émeutes de novembre 2005 qui avaient été déclenchées par
l’électrocution de deux jeunes cherchant à échapper à la police dans la
banlieue parisienne de Clichy-sous-Bois. C’est pourquoi les autorités
annoncent publiquement des préparatifs pour une confrontation de masse.
Un représentant de la police a dit au Monde, « Cela
faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu autant de forces de police
rassemblées. Même en 2005, cela ne s’était pas vu. La ville est
entièrement quadrillée. »
L’utilisation d’expressions rappelant la lutte du
colonialisme français contre la population en Algérie dans les années 1950
n’est pas un hasard. La politique consistant à constituer des corpsde
police à grande échelle capables de mobiliser un grand nombre de policiers pour
procéder à des raids dans les quartiers défavorisés, politique défendue par
Sarkozy à l’époque où il était ministre de l’Intérieur en 2003, a
contribué à transformer la relation entre les habitants et la police en une
guerre continuelle, latente qui éclate à chaque fois que la police tue
quelqu’un, que ce soit par accident ou autrement.
Les soupçons des habitants du quartier, selon lesquels la mort
a été donnée intentionnellement, sont entièrement justifiés. Ce qu’on
peut considérer comme un acte de violence policière survient dans un contexte
politique particulier, celui de l’annulation par la bureaucratie
syndicale d’importantes grèves dans les transports contre les attaques
sur les retraites, mises en place par le gouvernement de Sarkozy.
A chaque fois qu’une importante lutte de masse a été
annulée ces dernières années, en 2003 contre l’attaque sur les retraites
du premier ministre d’alors, Jean-Pierre Raffarin et en 2006 contre le
CPE (Contrat première embauche) de Dominique de Villepin, le gouvernement a cherché
à faire appel aux préjugés racistes ou religieux contre les musulmans et les
immigrés qui constituent une grande proportion de la population des banlieues
défavorisées. En 2003, Raffarin avait préparé un projet de loi qui interdisait
le port du voile islamique dans les bâtiments publics. En 2006, le gouvernement
Villepin avait fait voter une loi anti-immigrés draconienne peu de temps après
la fin des manifestations contre le CPE.
Il est bien sûr difficile de déterminer si cet incident
entraînant la mort s’est produit à un moment où les autorités encouragent
la police à adopter une ligne de conduite plus dure à l’encontre des
jeunes des banlieues. Toutefois, il y a des signes indéniables de préparatifs
d’une nouvelle campagne faisant appel à des préjugés anti-immigrés.
Plusieurs médias, dont Libération et le Nouvel Observateur,
ont récemment publié des articles paraphrasant ce qui semble être des fulminations
anti-musulmanes vulgaires de Sarkozy lors de négociations diplomatiques avec
d’autres chefs d’Etat européens.
Jean Quatremer, journaliste à Libération écrivait le 19
novembre que Nicolas Sarkozy s’était lancé dans un « monologue
confus d’une vingtaine de minutes […] contre le trop grand nombre de musulmans présents en Europe ».
Il a mentionné que Sarkozy avait, à maintes reprises, parlé du « choc des
civilisations » entre l’Islam et l’Europe.
Le Nouvel Observateur, dans un article daté du 26
novembre, a aussi affiché une vidéo de Sarkozy critiquant les pratiques
islamiques, tels l’égorgement de moutons durant le festival de l’Aïd.
Sarkozy avait fait ce commentaire : « on n’égorge pas le mouton
dans la baignoire. »
Dans le contexte politique actuel, on ne peut absolument pas faire
confiance aux enquêtes menées par la police. L’appel « au
calme » lancé par Sarkozy devant la tentative de blanchir la police a des
relents de cynisme des plus écoeurants. Il faut qu’une enquête
indépendante soit menée afin de déterminer la responsabilité des policiers au
regard de la loi et la responsabilité politique des politiciens en vue.