Les élections de lundi dernier au Québec
ont fait voler en éclats le cadre politique qui prévalait depuis trente ans dans
la seule province canadienne à majorité francophone.
Les deux partis qui ont formé
alternativement le gouvernement du Québec depuis le début des années 1970 — le
Parti libéral du Québec (PLQ), fédéraliste, et le Parti québécois,
indépendantiste — ont vu du nombre de leurs sièges et de leur appui populaire dégringolé.
L’Action démocratique du Québec (ADQ), un
parti populiste de droite qui n’avait même pas le statut de parti officiel à
l’Assemblée nationale avant le vote de lundi formera désormais l’opposition
officielle.
Pour l’instant, les libéraux de Jean
Charest, qui avaient obtenu la majorité des sièges lors des précédentes
élections en avril 2003, détiennent toujours les rênes du pouvoir, bien qu’ils
forment maintenant un gouvernement minoritaire et faible. Il est faible à cause
de l’ampleur des pertes du PLQ, mais aussi à cause de l’ampleur des gains de l’ADQ.
Les libéraux n’ont obtenu que sept sièges de plus que l’ADQ — 48 contre 41
dans une Assemblée nationale qui en compte 125 — et n’ont récolté que
100 000 voix de plus que l’ADQ.
La part du vote exprimé qui est allé aux
libéraux a chuté de 13 pour cent, passant de 46 pour cent en 2003 à 33 pour
cent lundi dernier, ce qui s’est traduit par la perte de 25 sièges à l’Assemblée
nationale. Quatre ministres libéraux ont échoué à se faire réélire.
L’élection fut un coup encore plus dur pour
le PQ, qui avait perdu le pouvoir en 2003 après avoir formé le gouvernement
pendant neuf années. Durant la plus grande partie des quatre dernières années,
les sondages ont indiqué que le PQ reprendrait le pouvoir aux prochaines
élections. Mais il se trouve relégué au troisième rang, tant en termes de
sièges que de votes.
Au moment de la dissolution de l’Assemblée nationale,
le PQ détenait 45 sièges. Aujourd’hui, il ne lui en reste que 36.
Lors des élections de 2003, la part du vote
exprimé allant au PQ s’était évaporée alors que le nombre des Québécois ayant voté
pour le parti indépendantiste diminuait d’un demi-million, passant de 1,7
million à 1,2 million. Lundi, l’hémorragie a continué. La part du vote exprimé
allant au PQ est tombé d’un autre cinq pour cent et atteint maintenant 28,3
pour cent. Il faut remonter à 1970, deux ans après la formation du PQ d’une
scission d’avec le Parti libéral, pour trouver des chiffres comparables.
Alors que Charest demeurera à la tête du
Parti libéral, au moins à court terme, la presse était pleine de spéculation le
lendemain du vote que le chef du PQ, André Boisclair, vanté pour être un jeune
dirigeant télégénique, subira bientôt d’immenses pressions de la part de son
parti pour sa démission.
Les résultats électoraux constituent une
répudiation populaire massive des partis traditionnels de la grande entreprise.
Ensemble, le PQ et le PLQ n’ont obtenu que 60 pour cent du vote exprimé. Mais
en prenant en compte que près de 30 pour cent de l’électorat n’a pas voté (le
deuxième plus grand taux d’abstention dans une élection au Québec), les partis
de l’establishment n’ont été endossé que par 44 pour cent de l’électorat,
comparé à 65 pour cent il y a neuf ans seulement.
Important
virage à droite
Les élites dirigeantes québécoise et
canadienne ont manœuvré pour que le mouvement de rejet serve à accomplir un
virage important vers la droite. Elles ont considéré que l’élection leur
offrait l’occasion de lancer un nouvel assaut sur les services publics et
sociaux, de redistribuer la richesse encore plus vers la grande entreprise et
les sections les plus privilégiées de la société en diminuant les impôts et
pour faire pression pour une politique étrangère plus prédatrice et militariste
pour défendre les intérêts du Capital canadien sur l’échiquier mondial.
Le gouvernement conservateur minoritaire
canadien, qui est un des alliés les plus fervents de Bush, a considéré le
gouvernement libéral de Charest comme un allié provincial important, sinon le
plus important.
Charest n’a annoncé les élections qu’après d’intenses
discussions avec le premier ministre Harper et ses conseillers. Harper avait
prévu assurer la réélection de Charest en annonçant une augmentation des
transferts fédéraux au Québec dans un budget présenté durant la dernière
semaine de la campagne. Il espérait ensuite utiliser l’effet politique de la
défaite du PQ indépendantiste aux mains de Charest pour tenter d’obtenir une
majorité parlementaire dans une élection fédérale printanière.
Les conservateurs sont impatients d’annoncer une élection,
car ils savent qu’il n’y a qu’une faible base d’appui pour leur programme
néolibéral et militariste. Ils espèrent obtenir une majorité en camouflant leur
véritable programme et en utilisant les politiques de scandale et de
provocation.
Bien qu’inattendue, la soudaine montée de l’ADQ est vue par
Harper et ses conservateurs comme très favorable pour remodeler radicalement le
Canada en faveur de l’élite patronale. Après tout, Mario Dumont se vante
d’avoir voté pour Harper lors de la dernière élection fédérale. L’ADQ et l’aile
québécoise des conservateurs ont en commun plusieurs organisateurs et
activistes, et le programme populiste de droite de l’ADQ équivaut à celui du Reform
Party de Preston Manning — le parti dans lequel Harper a fait ses preuves
politiques et qui constitue l’une des deux principales composantes de l’actuel
Parti conservateur fédéral.
Un Harper radieux a proclamé mardi : « Nous avons
un gouvernement qui est opposé à un référendum [sur l’indépendance du Québec]
et une opposition officielle opposée à un référendum... C’est un grand résultat
pour le Canada. »
Pendant ce temps, les analystes des médias ont ardemment
cherché à présenter les résultats de l’élection au Québec comme l’indication
d’un profond et massif tournant populaire vers la droite. L’ADQ, nous
disent-ils, est la véritable voix du Québec, du moins le Québec à l’extérieur
de la métropole multiethnique de Montréal.
Dumont, dans son discours victorieux de lundi soir, a
déclaré que l’élection était un « cri du coeur » du peuple. Il a fait
plus tard indirectement référence aux politiques de droite qu’il mettra de
l’avant en tant que chef de l’opposition officielle, appelant à la « modernisation
de l’Etat québécois », un synonyme de privatisation et de coupes dans les
services sociaux, et « un système de santé mixte », c’est-à-dire le
démantèlement d’un système de santé public universel de qualité.
En réalité, les résultats électoraux de lundi sont beaucoup
plus indicatifs d’un tournant marqué vers la droite de la part de la
bourgeoisie québécoise que de la classe ouvrière.
Le gouvernement libéral de Charest a implémenté une série
de politiques de droite. Il a amendé le Code du travail pour faciliter la
sous-traitance, a augmenté les frais de garderies, les assurances automobile et
les coûts d’électricité, a décrété des contrats à la baisse d’une durée de sept
ans pour un demi-million de travailleurs du secteur public, et a adopté une loi
permettant l’expansion rapide au Québec du système de santé privé et pour le
profit.
Malgré tout, le gouvernement Charest a été sévèrement
critiqué par la grande entreprise pour ne pas avoir respecté sa promesse de
diminuer les impôts des particuliers de 1 milliard $ par année, soit de 15
milliards $ sur cinq ans, et en général pour ne pas être allé de l’avant avec
des politiques impopulaires visant à rendre le Québec plus profitable aux
investisseurs. La consternation qui règne au sein de l’élite face à la
résistance populaire à leur programme de droite a été exemplifiée par un
manifeste, « Pour un Québec lucide », rédigé par d’éminents
fédéralistes et indépendantistes, y compris l’ancien premier ministre péquiste
Lucien Bouchard qui se plaignait de « l’immobilisme » et de
l’antipathie populaire envers l’entreprise.
C’est pourquoi, lorsque les médias virent
que l’ADQ, qui n’enregistrait que 12 pour cent d’appui dans les sondages
l’automne dernier, réussissait à exploiter l’hostilité populaire envers les
partis de l’establishment qui avaient supervisé le développement d’une plus
grande insécurité économique et polarisation sociale durant les deux dernières
décennies, ils ont donné une attention toute particulière à l’ADQ.
Particulièrement odieuse a été la légitimité qu’ont donnée les médias et, par
la suite le PQ et le PLQ, à la démagogie chauvine de Dumont — que le Québec a
été beaucoup trop accommodant envers les immigrants et les minorités
religieuses.
Dumont, pour sa part, avait précédemment cherché à obtenir
l’appui du monde des affaires en recrutant Gilles Taillon, l’ancien président
du Conseil du patronat du Québec, la principale association patronale de la
province, comme vice-président de l’ADQ et second en commandement.
Même d’un point de vue électoral étroit, la vague adéquiste
est largement exagérée, entre autres parce que plusieurs de ceux qui ont voté
pour l’ADQ ont dit l’avoir fait en guise de protestation contre l’establishment
politique.
Un peu plus d’un Québécois sur cinq a voté pour l’ADQ. Bien
que l’ADQ ait gagné un demi-million de votes, des partis qui se proclamaient à
gauche du PQ et du PLQ, les Verts et Québec solidaire (QS), ont récolté quelque
250 000 votes de plus que les Verts et l’Union des forces progressistes,
le prédécesseur de QS, avaient récolté en 2003, pour un vote populaire total
combiné juste au-dessous de 8 pour cent.
Ceci étant dit, les résultats de l’élection de lundi
soulignent l’urgence pour la classe ouvrière de rompre avec la politique
nationaliste et pro-capitaliste de la bureaucratie syndicale qui, durant des
années, a été un des principaux piliers du PQ et développer une nouvelle
direction.
Le virage à droite entrepris par l’Assemblée nationale du
Québec va être utilisé pour intensifier l’offensive de la grande entreprise
contre les positions sociales de la classe ouvrière et les droits démocratiques
à travers le Canada. Les politiques chauvines de droite qui diabolisent les
minorités ont gagné une nouvelle légitimité. Le fait que les musulmans aient
été spécialement visés n’est pas qu’un simple incident dans le présent contexte
où l’élite canadienne tente de justifier sa participation dans une guerre
impérialiste en évoquant la nécessité d’émanciper les femmes musulmanes.
Si l’ADQ, avec l’assistance du consortium médiatique, a été
capable de puiser et de manipuler la colère et la frustration des travailleurs
à l’égard de l’establishment, c’est parce que la bureaucratie a complètement
isolé la classe ouvrière et supprimé son opposition à l’assaut contre les emplois,
les salaires, les droits des travailleurs du secteur public.
Le gouvernement Charest a été torpillé par des protestations
de masse. Il y a tout d’abord eu en décembre 2003 une explosion de
manifestations et de grèves de toute la province contre une série de mesure de
droite et au printemps 2005 une grève étudiante qui a duré plusieurs semaines.
Dans les deux cas, les dirigeants syndicaux sont intervenus pour torpiller le
mouvement d’opposition, sous prétexte d’assurer la « paix sociale ».
La participation directe des syndicats au programme de
coupes massives dans les dépenses sociales mené par les gouvernements péquistes
de Parizeau, de Bouchard et de Landry de 1994 à 2003 a été tout aussi importante
Il ne fait aucun doute que la réponse de la direction
syndicale à la montée de l’ADQ sera de collaborer plus étroitement encore avec
les partis de la grande entreprise du PQ et du PLQ.
Le nationalisme a servi à diviser les travailleurs au
Québec de leurs frères et soeurs de classe du reste du Canada anglais, des
Etats-Unis et d’ailleurs dans le monde et à les subordonner au PQ et à son
projet réactionnaire de création d’un Etat québécois capitaliste indépendant.
Il permet maintenant au parti populiste de droite de l’ADQ de manipuler la
colère populaire et la frustration générée par la crise sociale causée par le
système de profit.
L’expérience des travailleurs au Québec au cours du dernier
quart de siècle est fondamentalement la même que celle des travailleurs à
travers le monde. Les vieilles organisations nationalistes syndicales et les
partis sociaux-démocrates sont devenus des instruments que le capital utilise
pour intensifier toujours plus l’exploitation de la classe ouvrière. Pour
vaincre les compagnies transnationales et empêcher que le monde ne soit
entraîner dans une série d’escalade de guerre prédatrice entre les différentes
cliques capitalistes nationales rivales, les travailleurs doivent adopter une
stratégie socialiste internationaliste visant à mobiliser la classe ouvrière
internationale contre la subordination de la vie socio-économique aux profits
privés et contre le système dépassé des États- nations.