Mardi soir, 13 mars, Olivier Besancenot, le
candidat présidentiel de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) s’est
adressé à quelques 200 de ses partisans à Amiens.
Besancenot parle extrêmement vite, à un rythme
saccadé, précipité et sans notes. Il adopte un ton familier, parsème ses
remarques de toutes sortes de banalités et de questions rhétoriques, le tout
accompagné de gestes exagérés des mains et du corps, une agitation incessante
pendant plus d’une heure sans reprendre son souffle ni prendre le temps
de réfléchir.
Olivier Besancenot à Amiens
Et la réflexion, c’est précisément ce
qu’il veut empêcher. Besancenot n’est pas venu pour penser et
analyser, il est venu pour agiter. Son but n’est pas d’informer et
d’éduquer, mais bien plutôt de créer une certaine ambiance. Il n’a
rien à dire sur les expériences amères que la classe ouvrière française a
vécues ces dernières années, et garde le silence sur les évolutions et les expériences
au niveau international. Pour Besancenot, le monde se limite à la France, à
l’exception de vagues références et éloges faits à l’adresse
d’une poignée de politiciens tels Hugo Chavez et Evo Morales et autres
politiciens bourgeois qui sont en vogue en ce moment dans les milieux petits-bourgeois
radicaux.
Un autre sujet tabou est la politique de sa
propre organisation. Besancenot a adopté le principe du chancelier conservateur
allemand Konrad Adenauer, qui a dit un jour : « Je me fiche pas mal
de ce que j’ai dit hier. »
Besancenot a commencé son discours en consacrant
quelques pensées au président Jacques Chirac qui avait confirmé la veille
qu’il ne sera pas candidat à la prochaine élection présidentielle. La
droite a été en mesure de dominer la politique française ces cinq dernières
années et elle cherche à continuer à le faire, s’est plaint Besancenot.
Il s’est bien gardé de mentionner
qu’il avait lui-même appelé à voter Chirac il y a cinq ans lors des
élections présidentielles et qu’il porte donc une part de responsabilité
pour la politique appliquée par ce gouvernement. En 2002, lorsque Chirac fut
opposé au second tour au candidat d’extrême droite du Front national,
Jean-Marie Le Pen, la LCR exagéra le danger de l’arrivée au pouvoir de Le
Pen pour faire l’éloge de Chirac comme garant des valeurs républicaines
et défenseur de la démocratie.
Mais Besancenot n’a pas parlé de cela, il
n’a pas dit un mot de l’expérience des élections de 2002.
Il s’est aussi abstenu de mentionner le
Parti communiste français (PCF) que la LCR s’évertue à courtiser depuis
des années, mais en vain. Après le rejet de la constitution européenne par les
électeurs français au printemps 2005, la LCR a s’était donné pour
objectif de mettre sur pied « une nouvelle force anti-capitaliste » à
partir des partisans du « non », une gauche « cent pour cent à
gauche ». Le PCF et la LCR devaient constituer le noyau dur de cette
nouvelle formation.
Comme il fallait s’y attendre, le PCF est
déterminé à jouer son rôle de soutien fiable à l’ordre bourgeois en
restant fidèle à son alliance avec le « Parti socialiste ». A la fin
de l’année dernière, le projet pour une « gauche
anti-capitaliste » a lamentablement implosé.
Une fois de plus, Besancenot est passé à autre
chose. Il n’a pas fait la moindre critique du PCF. Après tout, l’on
n’empoisonne pas l’eau que l’on boit et l’on ne mine
pas le terrain sur lequel se construisent les futures alliances opportunistes
entre les deux organisations.
Besancenot n’a pas non plus soulevé de
manière sérieuse les questions politiques immédiates tels la guerre en Iraq ou
les préparatifs américains d’une guerre contre l’Iran. Visiblement,
il est d’avis que la politique étrangère française est entre de bonnes
mains.
Au lieu de cela, Besancenot s’est limité à
condamner les maux de la société capitaliste et divers politiciens bourgeois, y
compris Chirac, le candidat de centre-droit François Bayrou et la candidate du
Parti socialiste, Ségolène Royal.
Il a dénoncé les spéculateurs et les
privatisations d’entreprises publiques. D’un trait, il a évoqué des
figures du mouvement pour les droits civiques, le militant Malcolm X, et le
pape Bénédicte XVI qui avait jadis comparé les capitalistes à des vampires. Il a
accusé le gouvernement de diviser la population. Il a condamné le système de
partenariat social de la France et dénoncé la mondialisation comme origine de
tous les maux. Il a glorifié les manifestations de masse de l’année
dernière et exposé sa vision d’une société meilleure.
Son discours a trouvé une résonance auprès de
son auditoire, en grande partie des jeunes, qui se trouvent pour la plupart au
commencement de leur développement politique et qui sont indignés et préoccupés
par l’état de la société.
La lutte pour une société socialiste requiert,
cependant, plus que de la rage et de l’indignation. Elle présuppose une
compréhension des forces sociales et politiques. Elle requiert la connaissance
des expériences historiques du mouvement ouvrier et d’en tirer les leçons
nécessaires. Bref, elle requiert une perspective reposant sur des fondements
scientifiques permettant à la classe ouvrière d’intervenir dans les
développements politiques indépendamment de la classe dirigeante et de ses
partisans.
C’est ce qui constitue la signification du
marxisme et du mouvement trotskyste qui défendit le marxisme contre les
attaques des réformistes, des staliniens et du radicalisme petit-bourgeois dans
le but de tirer les leçons des principales expériences du vingtième siècle.
Besancenot et la LCR rejettent une telle
approche. Ils cherchent délibérément à isoler la classe ouvrière du marxisme et
de sa propre histoire. Ils n’attirent les jeunes radicalisés que pour les
mener dans une impasse qui n’aboutira qu’à des défaites, des
déceptions et de la frustration.
Si l’agitation de Besancenot peut sembler nouvelle
et bienvenue au début, au bout d’une petite
demi-heure cela rebute. Ce père de famille de 33 ans, titulaire d’une
licence d’histoire, doit se donner beaucoup de mal pour conserver son
image de facteur jeune et inexpérimenté. Dénoncer et critiquer ne remplacent
pas l’analyse sérieuse. Il a tout simplement décidé de fermer les yeux sur
les problèmes pressants auxquels est confrontée la classe ouvrière en France et
de par le monde.
Les élections présidentielles à venir sont liées
à un évident virage politique à droite. Les principaux candidats sont, une
soi-disant socialiste pour qui Tony Blair, le premier ministre britannique, est
une référence et l’autre un gaulliste qui affiche ouvertement ses
sympathies pour le Front national. La population penche vers la gauche, mais ne
trouve pas d’expression politique car les organisations ouvrières
traditionnelles, y compris les syndicats, ont fait leur propre virage prononcé
à droite.
Besancenot ferme les yeux sur toutes ces
questions et essaie de mobiliser et d’agiter ses partisans en évoquant
les grandes manifestations de ces dernières années, le référendum contre la
constitution européenne ou les manifestations de masse contre le Contrat
première embauche (CPE).
Mais ces mouvements étaient en premier lieu des
expériences politiques. Ils n’ont pas réussi à empêcher le virage
droitier de la politique officielle mais ils ont révélé la faillite des
vieilles organisations ouvrières, y compris des syndicats qui ont sabordé les
mouvements populaires.
Mais Besancenot garde le silence sur toutes ces
questions. Sa présentation de la situation politique est un mélange de
désinvolture politique et de duperie délibérée. Il représente l’aile
gauche de la politique bourgeoise et lui sert de couverture de gauche. Sa
prestation exagérée ne sert qu’à cacher son propre virage à droite. En
Italie et au Brésil, les organisations soeurs de la LCR ont déjà franchi un pas
supplémentaire en occupant des postes dans des gouvernements de coalition
bourgeois.
La LCR toutefois, est arrivée à un stade où elle
commence à perdre de l’influence. En 2002, à sa propre surprise, Besancenot
avait remporté 1,2 million de voix, soit 4,25 pour cent lors du premier tour
des élections présidentielles. A présent, les sondages lui créditent tout au
plus 3 pour cent.
Les autres partis de la soi-disant gauche et
extrême gauche ont également fortement baissé dans les sondages. Tous ensemble,
ces partis sont à leur niveau le plus bas dans les sondages depuis bien années.
Les analystes des instituts de sondage pensent que l’élection pourra
vraisemblablement être gagnée ou perdue sur la base du vote au sein du camp
conservateur, à savoir entre les partisans du candidat gaulliste Nicolas
Sarkozy et du candidat de centre-droit François Bayrou. C’est le résultat
de la désillusion largement répandue en ce qui concerne la politique « de
gauche » qui n’a rien d’autre à proposer que des clichés.
Besancenot est très conscient de sa dénégation
du marxisme. Ceci est apparu clairement lorsqu’il a dû répondre à une question
émanant de l’auditoire, à savoir pourquoi il s’était publiquement
dissocié du trotskysme. Il n’a donné sa réponse à cette question qu’à
la fin de la réunion et y a répondu avec beaucoup de véhémence.
« Je ne me suis jamais défini comme militant
trotskyste », a-t-il répondu. Il est membre d’une organisation
trotskyste et a beaucoup de respect pour Trotsky, a-t-il affirmé, mais il a
également beaucoup de respect « pour d’autres courants, tels le courant
libertaire et le syndicalisme. » Il critique la Révolution russe parce
qu’elle n’était pas démocratique. Il se fonde aussi sur
d’autres révolutions telles la révolution espagnole et la révolution
cubaine.
Il a déclaré que se concentrer sur le trotskysme
équivalait au « sectarisme. » Il est et reste un « révolutionnaire, »
a déclaré Besancenot, mais son but est d’unir toutes les organisations
qui se trouvent à gauche de la « gauche plurielle », à savoir celles
qui ne sont pas directement associées au Parti socialiste.
Ce n’est pas seulement une question d’étiquettes
politiques. Le trotskysme, rejeté et dénoncé par Besancenot comme étant du
sectarisme, est en fait l’insistance du marxisme à tirer les leçons des
expériences historiques de la classe ouvrière. Trotsky était intransigeant
là-dessus. Si la classe ouvrière est incapable de tirer les leçons de ses
victoires et de ses défaites passées, alors elle sera condamnée à endurer les
mêmes expériences amères encore et toujours.
Trotsky tira tout spécialement une leçon
décisive de la Révolution espagnole où une organisation, le POUM, tout comme la
LCR aujourd’hui, avait élevé l’objectif de l’unité de la
gauche au-dessus de la lutte pour les principes marxistes. Au plus fort de la
révolution, le POUM trahissait la classe ouvrière en rejoignant le gouvernement
de front populaire et en scellant la défaite du soulèvement ouvrier.
Aujourd’hui, cependant, la LCR se trouve bien plus à droite que ne
l’était le POUM dans les années 1930 et n’est qu’une ombre
pâle de la politique française officielle.